Prévenir la détresse psychologique sur les chantiers

12 octobre 2023
Par Émilie Lavergne

Le secteur de la construction, avec ses délais serrés, ses charges de travail importantes, la mixité de ses métiers et sa forte proportion masculine, peut influencer l’identité professionnelle et ultimement, peut déclencher de la détresse psychologique.

Geneviève Cloutier, stagiaire postdoctorale en administration à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a mené une recherche sur la détresse psychologique dans les métiers spécialisés. Son constat : une proportion importante de travailleurs des métiers spécialisés des secteurs manufacturier et de la construction vivent de la détresse psychologique et certaines causes sont associées à l’identité professionnelle. « On peut décrire l’identité professionnelle par le sentiment d’appartenance à son métier, le partage des valeurs et les pratiques qui favorisent la reconnaissance », explique Geneviève Cloutier.

 

Ce qui influence l’identité professionnelle

Dans ses résultats, Geneviève Cloutier souligne que les facteurs influençant négativement l’identité professionnelle d’un travailleur sont, entre autres, la faible intégration des différences de sexe ou d’âge dans l’équipe, les conditions de travail, l’insécurité d’emploi et le degré de valorisation du métier. « Par exemple, sur un chantier, le peintre pourrait être moins valorisé que le charpentier, ce qui affecte la reconnaissance du travailleur », expose l’universitaire.

 

Geneviève Cloutier et stagiaire postdoctorale en administration à l'Université du Québec à Montréal. Crédit : Studio Magenta

 

Toujours selon elle, la compétitivité entre les corps de métier ou encore celle entre les travailleurs de même expertise est un facteur qui mine le sentiment d’identité professionnelle. Il a été noté que la valorisation des heures supplémentaires ou la présence féminine accrue dans une spécialisation peut miner le moral dans une équipe.

 

« Ces valeurs de type masculin, comme celles d’accepter une charge de travail supplémentaire pour montrer qu’on peut en faire plus, de considérer un métier moins viril parce qu’il y a présence de femmes, de juger une profession parce que le salaire est moins important, sont toutes des raisons qui affectent l’identité professionnelle et qui peuvent déclencher une détresse chez le travailleur qui ne se reconnaît pas là-dedans », ajoute-t-elle.

 

Une masculinité parfois toxique

Geneviève Cloutier a calculé que 7 % des réponses au questionnaire de recherche provenaient de femmes, alors qu’elles ne représentent qu’environ 2 % des travailleurs de la construction. Elles étaient plus enclines à parler de leur santé mentale. « Les hommes ont appris à ne pas montrer leurs émotions ; la société a valorisé la masculinité, la force, l’affirmation de soi, mais très peu la vulnérabilité, l’écoute et le partage », expose-t-elle.

 

Pour Véronique Leclercq, présidente et formatrice chez Atout RH, le secteur de la construction présente plusieurs défis sur le plan de la gestion des ressources humaines. « La petite entreprise de construction n’aura pas nécessairement d’équipe de ressources humaines, l’entrepreneur est préoccupé par des délais serrés, donc plus enclin à gérer les étapes du chantier et un peu moins le bien-être de ses travailleurs. C’est un monde plus technique axé sur les livrables où il faut parfois composer avec des individus à l’égo très fort », explique la formatrice.

 

Véronique Leclercq, présidente et formatrice chez Atout RH. Crédit : Cassandra Leclercq | CGL Photographie

 

Véronique Leclercq travaille auprès de plusieurs entreprises de construction au sein desquelles elle remarque que plus l’entrepreneur vise une gestion de proximité, est sensible aux changements de comportement de ses travailleurs et démontre une ouverture à partager et à communiquer, moins la détresse psychologique devient problématique. « Il faut que le dirigeant soit lui-même prêt à développer ses valeurs d’entreprise, au-delà de la culture de performance. » Véronique Leclercq a aussi pu remarquer la compétitivité entre les métiers, mais également au sein d’une même équipe : « Un compagnon qui fait la vie dure à son apprenti, ce n’est pas rare, et l’apprenti va garder ça pour lui. »

 

Des pistes de solution

Pour Geneviève Cloutier, la culture de ces industries doit évoluer : « Il faut agir sur le plan des valeurs masculines, encourager l’écoute, être moins axé sur la compétition et, bien sûr, encourager ses travailleurs à aller chercher de l’aide si l’on détecte une détresse psychologique. » Véronique Leclercq propose aux entreprises de se faire former ou d’engager une ressource externe pour instaurer des mécanismes qui favorisent la proximité entre les travailleurs et leurs superviseurs. Elle propose aux entreprises d’encourager le partage : réaliser un sondage ponctuel sur le moral des troupes, un bulletin mensuel d’information sur les contrats en cours et à venir, rappeler le numéro de téléphone du programme d’aide aux employés. Des solutions qui ne demandent pas trop de bousculer les horaires.

 

La formatrice insiste aussi sur l’importance d’impliquer les cadres intermédiaires, qui sont souvent plus présents auprès des équipes et plus à même de pouvoir détecter la présence de compétitivité néfaste ou le changement de comportement d’un travailleur. « Au-delà de l’identité professionnelle, cette compétition masculine est préoccupante; comment peut-on être heureux au travail si le travailleur ne se sent pas valorisé ou écouté ? », conclut-elle.