L'économie circulaire comme perspective d’avenir

4 juin 2021
Par Elizabeth Pouliot

Les matériaux de construction représenteraient le tiers des ressources consommées dans le monde et près du tiers des déchets produits au Canada.

Il est légitime de se demander, avec la menace climatique et la pénurie de matériaux actuelle, si ces résidus ne pourraient pas être recyclés. Entre en scène le principe de l’économie circulaire, adopté par un nombre grandissant d’industries.

 

En opposition à l’économie linéaire – extraire des ressources, produire des biens, les consommer puis les jeter –, l’économie circulaire propose une alternative. « Il s’agit d’un système de production, de consommation et d’échange qui vise à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des sociétés », résume Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) de l’École de technologie supérieure (ÉTS). La version québécoise du concept d’économie circulaire se décline en quatre grands principes : repenser en amont les biens et services, réduire la consommation à la source, utiliser de façon plus inventive les biens et services, allonger leur durée de vie; et valoriser, en bout de ligne, ce qui ne peut plus être circularisé. Mais comment s’y prendre en construction ?

 

Penser la fin dès le début

En économie circulaire, le travail en amont demeure essentiel; c’est ce que l’on appelle l’écoconception. Elle consiste à penser un bâtiment pour que son impact environnemental soit limité, que sa durée de vie soit optimisée et que l’ensemble de ses éléments soient réutilisables à la fin de sa vie. Penser utiliser, lors de la construction d’un bâtiment, des matériaux de seconde main et prévoir sa déconstruction au moment de sa conception s’intègrent à l’écoconstruction. Comme son nom l’indique, la déconstruction consiste à déconstruire, et non pas à démolir, afin de réutiliser le plus de matières possible. C’est ce qui a été fait avec l’hippodrome de Montréal et ce qui a cours avec l’ancien pont Champlain.

 

Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) de l’École de technologie supérieure (ÉTS). Crédit : Petite flèche photographie

 

« L’analyse du cycle de vie lors de l’écoconception permet aussi de visualiser à quel endroit sont les grands impacts d’un bâtiment ou de ses matériaux, et ce qu’on peut faire pour les éviter », ajoute Hortense Montoux, à qui on a confié la mise sur pied du laboratoire d’accélération en économie circulaire pour le secteur de la construction au Québec, au sein de l’Écosystème de laboratoires d’accélération en économie circulaire (ELEC). Plus l’écoconception s’invitera à la table à dessin, plus les ressources, les matières et les matériaux seront conçus de manière à pouvoir être circularisés dans l’économie, et ce, à plusieurs reprises.

 

Leader dans le domaine, la Commission européenne, avec des acteurs comme la Belgique, les Pays-Bas et la France, met en oeuvre des initiatives intéressantes depuis une dizaine d’années déjà. En Europe circulent les passeports matériaux, qui facilitent la traçabilité des matériaux utilisés dans la construction des bâtiments. Un catalogue contenant toutes les composantes, leurs caractéristiques techniques et leurs quantités est sauvegardé dans une base de données dans le but de maximiser la déconstruction des bâtiments à la fin de leur vie.

 

Ici comme ailleurs, petits et grands acteurs peuvent trouver complexe d’amorcer le virage vers l’économie circulaire. Il est donc essentiel d’encourager de telles pratiques, par exemple en ajoutant des critères spécifiques aux appels d’offres, en réglementant les contrats, en proposant de la formation et en sensibilisant les acteurs aux bienfaits et aux gains potentiels pour leurs entreprises.

 

« Ça peut vraiment se faire à toutes les échelles, explique Hortense Montoux. C’est sûr que certaines grandes entreprises ont davantage les moyens d’investir dans la recherche et le développement pour travailler avec de nouveaux matériaux ou intégrer des matériaux recyclés. Mais l’économie circulaire peut aussi avantager les plus petites structures, capables de se positionner, de bouger vite dans les marchés et de changer de modèles d’affaires. »

 

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De nouvelles façons de faire

Comme l’ont prouvé Uber dans les transports ou encore Airbnb dans l’hôtellerie, les plateformes de partage représentent aussi des outils intéressants pour l’économie circulaire en construction. Au Québec est apparu il y a trois mois à peine BizBiz Construction, commercialisée par BizBiz Share, une entreprise en technologie créant des plateformes d’économie circulaire business to business (B2B) depuis six ans. Témoin d’un besoin dans le milieu, cette dernière a marié son expertise à celle de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) afin d’implanter la plateforme, qui a pour « objectif de permettre aux entrepreneurs de l’industrie de la construction de louer, acheter ou vendre de l’équipement, des inventaires, des espaces ou des résidus ».

 

Acheteurs et vendeurs peuvent y afficher des produits offerts, annoncer des produits recherchés, se mettre en lien et faire des transactions sécurisées. « On a stratégiquement décidé de débuter avec les membres de l’APCHQ. Progressivement, on ouvre la plateforme à l’industrie de la construction au Québec puis éventuellement au Canada », explique André Mondor, chef de la commercialisation chez BizBiz Share. Avec la croissance des exigences liées au développement durable, une telle plateforme peut faciliter le détournement de résidus des sites d’enfouissement, la récupération de matériaux et le transfert de surplus d’inventaire en plus d’offrir une alternative aux prix élevés des équipements et des produits. « La construction est le secteur qui devrait connaitre la plus grande croissance économique d’ici 2025.

 

Hugo Pépin-Laporte, directeur au développement des affaires de l’APCHQ. Crédit : Gracieuseté

 

Plusieurs facteurs rendront le milieu propice aux solutions d’économie circulaire », confirme Hugo Pépin-Laporte, directeur au développement des affaires de l’APCHQ. Si elle ne rencontre pas de limite pour l’instant, l’économie circulaire se bute tout de même à se faire connaitre auprès des acteurs du milieu et s’intégrer à long terme à leurs pratiques. « Toutes ces stratégies impliquent un changement de fonctionnement entre les acteurs et un changement de culture », soutient Hortense Montoux. Car une logique du plus bas soumissionnaire perdure et l’attrait pour les bâtiments et les matériaux neufs séduit toujours. « Et il y a une difficulté de travailler avec tout le monde autour de la table et de penser à la fin de la vie du bâtiment qu’on est à peine en train de concevoir et de fabriquer. Ça demande beaucoup d’anticipation, ce qui n’est pas toujours possible avec les calendriers serrés et les contraintes des projets. »

 

En somme, le Canada est peut-être en retard sur l’Europe, mais le Québec est en avance, non seulement sur les autres provinces, mais en Amérique du Nord. En travaillant en amont, entrepreneurs et clients gagnent à entrer dans le cercle de l’économie circulaire, pouvant tous y trouver leur compte et réaliser des gains… tout comme la planète.

 

QU’EST-CE QUE L’ELEC

Porté par le CERIEC et soutenu à hauteur de 2,1 millions sur cinq ans par Desjardins, l’écosystème de laboratoires d’accélération en économie circulaire (ELEC) est un ensemble de huit à neuf laboratoires d’accélération en économie circulaire. Chercheurs et membres de l’industrie identifieront l’ensemble des freins à l’économie circulaire dans un domaine donné, le premier étant la construction. S’ensuivront des projets d’expérimentation concrets et des analyses, desquels seront tirés des données et des enseignements transférables à l’ensemble de l’industrie.