[Au tribunal] Une fois établie, la renonciation à la procédure de réclamation s’infère pour tous les travaux additionnels !

24 septembre 2019
Par Me Tania L. Pinheiro, sociétaire

Les entrepreneurs doivent respecter la procédure de réclamation contractuelle pour couts supplémentaires. La fatalité du non-respect de cette exigence peut néanmoins être évitée si la preuve démontre que le donneur d’ouvrage a renoncé au respect de la procédure.

 

La décision Sintra inc. c. Ville de Léry[1] aborde plusieurs principes importants applicables au domaine du droit de la construction. Cet article porte sur l’enjeu touchant le respect de la procédure de réclamation pour couts supplémentaires prévue au contrat.

 

Les faits

Au printemps 2010, la Ville de Léry (« Ville ») lance un appel d’offres pour la mise en place de réseaux d’égout sanitaire gravitaire et d’aqueduc. Au terme du processus d’appel d’offres, le contrat est octroyé à Sintra inc. (« Sintra »).

 

L’exécution du contrat ne se déroule pas comme prévu, notamment en raison de la présence d’une quantité importante d’eau sur le chantier, de mésententes sur les directives de changement et de divergences d’opinion sur la procédure contractuelle applicable aux travaux supplémentaires.

 

À l’issue des travaux, Sintra cumule des réclamations qui s’élèvent à 3,9 millions de dollars, lesquelles sont vivement contestées par la Ville.

 

Il est admis que la procédure de réclamation et d’approbation pour les travaux imprévus n’a pas été suivie sur le chantier. Malgré tout, la Ville prétend que la procédure contractuelle demeure applicable pour certaines réclamations subséquentes. Ainsi, la Ville refuse de dédommager Sintra vu le défaut de cette dernière d’avoir respecté la procédure de réclamation prévue au contrat, laquelle prévoyait qu’en cas de contestation, Sintra devait transmettre à la Ville un avis écrit dans les 10 jours suivant le début des « difficultés ». La procédure prévoyait également que Sintra devait présenter une réclamation détaillée, accompagnée de toutes les pièces justificatives, dans les 120 jours suivant la date de la réception provisoire des travaux visés par sa réclamation. Finalement, la procédure prévoyait que le défaut de Sintra de se conformer à cette procédure était réputé constituer une renonciation de sa part à exercer tout autre recours pour des modifications aux travaux ou des travaux supplémentaires.

 

La décission

Le tribunal rappelle d’abord le principe selon lequel les formalités de la procédure de réclamation en matière de contrats de construction doivent être strictement respectées pour que l’entrepreneur puisse s’en prévaloir, sous peine de déchéance de son droit à toute compensation pour couts additionnels.

 

Cependant, les tribunaux reconnaissent que les parties peuvent renoncer à ladite procédure, mais la renonciation, bien qu’elle puisse être implicite et découler du comportement des parties, doit être sans équivoque, c’est-à-dire que l’intention de renoncer doit être clairement démontrée.

 

En l’espèce, la Ville reconnait que ses professionnels ont accepté de bonne foi d’étudier et de payer certaines réclamations de Sintra, y compris lorsqu’elles étaient formulées tardivement ou en l’absence d’avis. Conséquemment, le tribunal est d’avis que la Ville a renoncé au bénéfice de la procédure de réclamation. La Ville soutient que son indulgence ne peut être invoquée à titre de renonciation générale pour toutes et chacune des réclamations de Sintra, dont celles refusées d’emblée ou celles n’ayant jamais été présentées en cours de chantier.

 

Or, le tribunal rejette cet argument et conclut qu’une fois établie, la renonciation s’infère pour tous les travaux additionnels requis dans le cadre du chantier. Le tribunal appuie son raisonnement sur le devoir de cohérence découlant des exigences de la bonne foi. Ce devoir implique que la Ville ne peut agir en contradiction avec une attente suscitée par elle, et à laquelle Sintra était en droit de se fier, soit la réception et le paiement de réclamations présentées hors du cadre de la procédure de réclamation contractuelle.

 

Le tribunal conclut que même si la Ville n’a pas renoncé à être informée des travaux requis préalablement à leur exécution, les parties ont dans les faits repoussé l’analyse des couts des demandes de changement et travaux supplémentaires. Ainsi, Sintra exécutait les travaux imprévus ou les modifications requises sans s’entendre avec la Ville ou ses professionnels sur le cout desdits travaux. Le tribunal conclut que la Ville n’exigeait donc pas l’application stricte de la procédure contractuelle.

 

De l’avis du tribunal, tenter maintenant d’imposer les formalités et la rigueur de la procédure contractuelle va à l’encontre des principes de la bonne foi qui demandent une certaine cohérence dans les agissements des cocontractants et qui doivent gouverner les parties tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.

 

Suivant la preuve présentée, le tribunal a octroyé à Sintra la somme de 1,9 million de dollars, principalement pour des couts associés à des travaux supplémentaires.

 

Conclusion

Cette décision rappelle l’importance de la procédure contractuelle de réclamation ainsi que les obligations des entrepreneurs et donneurs d’ouvrage quant à son application.

 


1.Sintra inc. c. Ville de Léry, 2019 QCCS 2616 (à ce jour, aucune déclaration d’appel n’a été déposée).


Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Tania L. Pinheiro par courriel au tpinheiro@millerthomson.com ou par téléphone au 514.879.2115.

 

Miller Thomson avocats

 

Miller Thomson avocats

 

Cet article est paru dans l’édition du 16 août 2019 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.