Le complexe Eastmain-1-A – Sarcelle – Rupert a donné lieu à d’importantes avancées, tant sur le plan environnemental que technologique. Retour sur un chantier novateur.
Par Marie Gagnon
En mars dernier s’achevait le projet de l’Eastmain-1-A – Sarcelle – Rupert, l’un des plus ambitieux chantiers hydroélectriques de l’histoire de la Société d’énergie de la Baie James (SEBJ). Le mégachantier, dont les coûts s’élèvent à 5 milliards de dollars, se caractérise en effet par son étendue, mais aussi par l’ampleur des mesures environnementales intégrées à sa conception ainsi que la mise en oeuvre d’une solution technologique inédite : la construction d’un barrage à noyau asphaltique, une première pour la société d’État.
Comme le rappelle Denis Groleau, directeur de projet de l’Eastmain à la SEBJ, le mégachantier prévoyait la construction de deux nouvelles centrales, soit Eastmain-1-A (768 MW), à proximité d’Eastmain-1, et Sarcelle (150 MW), à l’exutoire du réservoir Opinaca. Il comprenait en outre la dérivation Rupert, qui achemine 52 % des eaux de la rivière Rupert vers les centrales Eastmain-1-A et Sarcelle, puis vers les centrales La Grande-2-A et La Grande-1.
Chaque goutte d’eau étant turbinée quatre fois, le projet est aussi le plus rentable jamais conçu par Hydro-Québec. La dérivation de la rivière Rupert vers les centrales Robert-Bourassa a pour effet d’accroître leur débit turbiné, portant leur production à 5,3 TWh et faisant baisser le coût du kilowattheure à 5,1 cents. Le complexe affiche par ailleurs une capacité annuelle totale de 8,7 TWh, soit suffisamment d’électricité pour alimenter la ville de Québec pendant un an.
On s’en doute, l’une des principales difficultés résidait dans la dérivation partielle, vers le nord, des eaux de la rivière Rupert qui coule naturellement vers l’ouest. Une tâche colossale qui aura nécessité la construction de quatre barrages, de 74 digues, de deux biefs d’une superficie d’environ 346 kilomètres carrés, d’un tunnel d’une longueur de 2,9 kilomètres entre les biefs ainsi que d’un réseau de canaux totalisant près de 12 kilomètres pour favoriser l’écoulement des eaux dans les biefs.
Préserver l’environnement
« Il était hors de question de dériver la rivière Rupert aux dépens des populations autochtones et de la faune terrestre et aquatique, souligne Denis Groleau. C’est pourquoi le barrage de la Rupert comporte un évacuateur de crue. Il sert également d’ouvrage de restitution de débit réservé. On module ainsi le débit au gré des saisons, laissant passer plus d’eau au printemps pour simuler la crue printanière, et moins d’eau en hiver. »
Cette mesure, combinée avec la création de huit seuils hydrauliques sur la Rupert, permet de protéger la diversité biologique, de préserver le paysage naturel et de maintenir la navigation en saison. La conception de ces seuils ne fut pas chose facile. Ils devaient notamment être aménagés en des endroits stratégiques, c’est-à-dire là où la rivière présente des dénivellations naturelles (rapides), et sans bloquer le cours de l’eau afin de ne pas nuire au passage des espèces aquatiques.
« Comme le lit de la rivière diffère d’un endroit à l’autre, chaque seuil présente ses particularités, indique l’ingénieur. Suivant les conditions géométriques des rapides où ils étaient aménagés, certains seuils ont été construits en enrochement, d’autres en béton afin de s’adapter parfaitement à la situation physique du milieu. »
Relever les défis
D’autres défis techniques ont jalonné le projet. Bien sûr, la construction d’un tunnel de près de trois kilomètres entre les biefs amont et aval comportait sa part de difficultés. Rien de comparable toutefois à la construction, à l’intérieur du réservoir, de la prise d’eau de la centrale Eastmain-1-A. Cette partie du projet a en effet nécessité la construction d’une digue temporaire de 24 mètres de profondeur et le pompage d’environ un million de litres d’eau.
Avant d’en arriver à cette solution, les concepteurs ont dû faire leurs devoirs afin de déterminer le type de matériau idéal pour donner forme à cette digue. Faute d’équipement adapté pour mettre en place de la pierre à une telle profondeur et la retirer une fois les travaux achevés, il s’est avéré impensable d’utiliser ce matériau. L’emploi de palplanches en acier s’est donc imposé.
Sur le plan logistique, la planification des travaux n’allait pas de soi non plus. En effet, le chantier s’étendait sur pas moins de 300 000 kilomètres carrés. Les seuils hydrauliques étaient répartis sur 307 kilomètres le long de la rivière Rupert. La réalisation des travaux, pour la plupart réalisés en simultanée, a nécessité la construction de centaines de kilomètres de routes d’accès. Au plus fort des travaux, de 4 500 à 5 000 travailleurs étaient à pied d’oeuvre sur les différents sites.
Aussi, afin de respecter l’échéancier et les dates de mise en service commerciale des centrales, la SEBJ a préconisé l’emploi d’éléments préfabriqués de béton, notamment pour le tablier de la plage aval des aspirateurs et le plancher des alternateurs de la centrale Eastmain-1-A. Ces mesures ont non seulement permis à la société d’État de gagner du temps, mais également d’épargner de l’argent, soit près de 450 millions de dollars sur un budget initial de 5,2 milliards.
Innover en grand
La construction du complexe hydroélectrique a également donné lieu à d’importantes innovations sur le plan technologique. À commencer par la construction du barrage sur la rivière Némiscau, doté d’un noyau bitumineux. « Cette technique est répandue en Europe, où elle est utilisée pour assurer l’étanchéité d’un ouvrage en l’absence de moraine, explique Denis Groleau. La moraine ne manque pas dans la région de la Némiscau, sauf que nous souhaitions nous approprier cette technique avant de l’appliquer à plus grande échelle dans des projets nordiques, comme celui de la Romaine où la moraine est plus rare. »
Autre innovation digne de mention : l’installation de groupes turbine-alternateur bulbes à la centrale de la Sarcelle, une première pour Hydro-Québec. « Habituellement, on utilise des équipements Francis ou Kaplan, souligne le porte-parole de la SEBJ. Cette solution s’avérait intéressante car les groupes bulbes, dont la turbine et l’alternateur se trouvent à l’intérieur d’une enveloppe métallique étanche, conviennent bien aux faibles hauteurs de chute associées à de grands débits. »
Cette centrale, dont la mise en service est prévue avant la fin de l’année, marque la fin de cet ambitieux chantier. Denis Groleau précise qu’il restera encore quelques travaux à réaliser d’ici là. Notamment l’aménagement de pistes de portage et de sentiers de motoneige, sans oublier la remise en état du site.
- Le barrage à noyau bitumineux de la rivière Némiscau
- Le batardeau en palplanches d’acier de 24 mètres de profondeur
- Les groupes turbine-alternateur bulbes à la centrale de la Sarcelle
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2012. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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