L'estimation des coûts d'un projet, une science inexacte

5 avril 2021
Par Ruby Pratka

Quels moyens s’offrent aux entrepreneurs afin d’éviter les tensions occasionnées par une mauvaise estimation budgétaire ?

Que ce soit devant l’opinion publique ou entre le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur, un dépassement de couts en construction est souvent sujet à la contestation. En ces temps incertains, les ressources financières nécessaires pour réaliser un projet sont d’autant plus difficiles à prédire.

 

L’estimation en construction constitue une science inexacte et la pandémie, le manque de main-d’oeuvre ainsi que la pénurie de matériaux n’ont rien pour aider. Pourtant, une approximation fiable des couts demeure essentielle pour mener un projet à terme, puisqu’une estimation initiale mal calculée peut mener à des dépassements importants. Stephan Doré, comptable spécialisé en estimation et président de l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec (AEECQ), expose cette situation.

 

Un cocktail explosif

Dans un rapport publié en 2014 par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), les dépassements de couts sont définis comme « la différence entre le cout final total du projet de construction pour le donneur d’ouvrage et l’estimé initial réalisé au moment de la décision de construire ».

 

Plusieurs facteurs peuvent en être responsables lors de la réalisation d’un projet de construction. Les caractéristiques ou la complexité d’un projet, la qualité de l’estimation des couts, la gestion financière ainsi qu’un manque de communication au sein de l’équipe de réalisation correspondent à quelques-unes des causes justifiant des frais supplémentaires. Quant aux erreurs techniques et aux omissions de calcul, elles s’ajoutent aux facteurs intangibles qui échappent souvent à notre contrôle.

 

En guise d’exemple, un trop grand nombre de projets d’envergure dans une même ville peut affecter la disponibilité de main-d’oeuvre et des équipements, ce qui pourrait avoir une influence à la hausse sur les couts. Ces paramètres sont souvent imprévisibles et donc, difficiles à calculer. Plus près de nous, Stephan Doré rappelle que les blocus ferroviaires, la grève du port de Montréal et les fermetures des frontières en raison de la pandémie correspondent à plusieurs éléments ayant occasionné des délais et des dépassements budgétaires au cours de la dernière année et demie. Pendant les premières semaines de la pandémie, par exemple, l’arrêt des chantiers, suivi de quelques semaines d’ajustement et de la mise en place des mesures sanitaires, a fortement impacté les estimations forfaitaires et les échéanciers initialement estimés pour plusieurs projets.

 

Stephan Doré, comptable spécialisé en estimation et président de l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec (AEECQ). Photo : HATCH

 

« Tout ça mis ensemble, on a un cocktail qui n’est pas simple à évaluer. Surtout quand il y a une surchauffe de travail avec une pénurie de main-d’oeuvre, dans un contexte d’incertitude, c’est difficile de voir où est-ce que ça va aller. Les budgets sont beaucoup plus difficiles à évaluer, donc on doit y mettre un effort supplémentaire », explique le président de l’AEECQ.

 

Comment désamorcer la situation ?

Chaque estimation est un calcul complexe comportant de nombreuses données, telles que les couts de construction et d’exploitation, les honoraires professionnels et les couts de contingence. « Il faut prendre le temps de s’assurer que ces éléments-là sont intégrés dans le cout de projet réel, explique-t-il. Si ce n’est pas le cas, on a souvent l’impression d’avoir un dépassement de couts entre le chiffre qui est annoncé et le chiffre réel. »

 

Une meilleure investigation initiale des dépenses potentielles pourrait donc contribuer à la fiabilité des estimations. Pour ce faire, une collaboration accrue entre les professionnels lors de la production des plans et devis pourrait s’avérer bénéfique. Par faute de temps ou de motivation, ce travail de coordination est fréquemment escamoté par les différentes parties. L’adoption des méthodes BIM (Building Information Modelling) et PCI (Processus de conception intégrée) peut permettre une meilleure communication entre les professionnels, les gestionnaires et les entrepreneurs.

 

D’une part, le BIM centralise l’information partagée entre les membres de l’équipe de réalisation du projet, tandis que le PCI les engage dans une démarche collaborative. L’ensemble de l’oeuvre peut ainsi être mieux orchestré et le chantier, livré dans les temps et les frais prévus.

 

Une situation conflictuelle

Une mauvaise estimation peut d’ailleurs mener à des désaccords entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage : « Normalement, quand les entrepreneurs font une estimation des couts, les choses sont assez précises parce qu’elles sont basées sur les plans et devis. S’il y a une divergence entre ce qui a été soumissionné et ce qui est livré sur le chantier, ce n’est pas la responsabilité du client. Cependant, l’entrepreneur ne peut pas être tenu responsable pour des changements qui se font en cours de route », explique Stephan Doré. Dans cette perspective, la gestion des risques ne repose donc pas uniquement sur l’entrepreneur.

 

Le type de contrat choisi par le propriétaire et le mode de réalisation du projet pèsent eux aussi dans la balance. Difficile donc de prévoir l’imprévisible. C’est pourquoi les analyses préalables à un projet, que ce soit le dossier d’opportunité, l’étude de faisabilité ou l’étape de conception des plans et devis préliminaires, ne doivent pas être prises à la légère, car leurs conclusions peuvent venir modifier substantiellement l’ampleur d’un chantier et, ultimement, engendrer des dépenses imprévues.

 

13 FACTEURS DE RISQUES À SURVEILLER

Le CIRANO a relevé, dans son Étude des facteurs de risques de dépassements de couts dans les projets de construction de routes et de grands travaux au Québec, 13 grandes catégories à prendre en compte pour bien circonscrire les paramètres économiques d’un projet :

  1. Caractéristiques du projet
  2. Complexité du projet
  3. Qualité de l’estimation des couts
  4. Planification et conception
  5. Processus d’octroi
  6. Gestion financière
  7. Facteurs de gestion
  8. Facteurs de communication
  9. Facteurs politiques et exigences légales
  10. Facteurs climatiques et écologiques
  11. Ressources humaines
  12. Facteurs économiques
  13. Facteurs reliés à la fraude