Avec la révolution verte qui entraine une transformation en profondeur de l’industrie de la construction, les concepteurs sont confrontés à une quantité d’information toujours grandissante et parfois difficile à interpréter. En effet, les fabricants de matériaux de construction cherchent continuellement à mettre de l’avant les qualités environnementales de leurs produits, souvent en établissant des comparatifs avec leurs compétiteurs.
Afin de permettre une véritable analyse des caractéristiques environnementales des matériaux, il est essentiel d’avoir accès à une information claire et standardisée, permettant d’évaluer les différents produits offerts. Les déclarations environnementales de produits (EPD), encadrées par la norme ISO 14025, et dont il fut question dans une de mes chroniques précédentes, aident les concepteurs à effectuer des choix éclairés sur les matériaux à intégrer dans une construction durable. La plus récente version du système d’évaluation LEED octroie des crédits pour les matériaux pour lesquels une EPD a été produite, et cela, sans regard à leur performance environnementale.
L’objectif est évidemment de favoriser l’amélioration des matériaux de construction, par la divulgation de l’ensemble des informations pertinentes. Au-delà de cette exigence, la version 4 du système d’évaluation LEED va encore plus loin, par la reconnaissance des matériaux certifiés « Du berceau au berceau » (Cradle to Cradle en anglais ou C2C).
L’industrie de la construction et du design fut fortement sensibilisée à l’importance de choisir des matériaux à impact environnemental positif lorsque le livre Cradle to Cradle : Remaking the Way we Make Things 1 fut publié en 2002. Les auteurs, le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain Bill McDonough, plaident pour des produits ayant un impact nul sur l’environnement (zéro pollution, zéro déchet), voire positif. Leur discours, particulièrement avant-gardiste et inspirant, traite de design régénératif. Dès 1991, ces deux visionnaires élaboraient le concept « berceau à berceau », avant même que le USGBC2 soit constitué et que l’industrie de la construction débute la profonde transformation dont nous sommes actuellement les témoins et acteurs.
En effet, le Adams Joseph Lewis Center for Environnemental Studies, situé sur le campus du Collège Oberlin aux États-Unis, conçu par Bill McDonough et dont la construction fut complétée en l’an 2000, constitue encore aujourd’hui un des exemples de bâtiment vert parmi les plus avancés de l’histoire. Le bâtiment aurait obtenu la certification LEED de niveau Platine s’il n’avait pas été construit avant que celle-ci ne soit mise en œuvre : il produit davantage d’énergie qu’il en consomme, traite sur place ses eaux usées et des jardins maraîchers y sont annexés. Il a d’ailleurs été couronné comme étant le bâtiment vert le plus important des 30 dernières années par le prestigieux Architect Magazine en 2010.
Aujourd’hui, le concept C2C fait son chemin et commence à être mis en œuvre au sein du secteur manufacturier. Il redéfinit la philosophie et les méthodes de production industrielle, cherchant à combiner l’objectif d’un impact environnemental positif avec celui de l’abondance, deux concepts parfois perçus comme inconciliables. Afin d’obtenir la certification C2C, un produit doit passer par un processus rigoureux de vérification, suivant les cinq catégories suivantes :
- L’utilisation de matières sécuritaires et saines au niveau de l’environnement et de la santé ;
- La possibilité de recycler et/ou de composter la totalité du produit à la fin de sa vie utile ;
- L’utilisation d’énergie renouvelable et la mise en œuvre d’un plan de gestion du carbone lors du processus de fabrication ;
- La saine gestion de l’eau ;
- L’équité sociale.
Afin d’obtenir la certification, les manufacturiers doivent soumettre une liste complète des ingrédients entrant dans la composition de leurs produits. Chaque ingrédient est vérifié afin de s’assurer que celui-ci ne figure sur aucune « liste rouge » de produits à risque pour l’environnement ou pour la santé humaine.
Le produit doit également atteindre l’ambitieux objectif du « zéro déchet », c’est-à-dire que 100 % du produit doit pouvoir être recyclé ou composté à la fin de son utilisation. Le processus de manufacture doit utiliser de l’énergie issue de ressources renouvelables et doit avoir un plan de gestion des émissions de gaz à effet de serre, cela, dans l’objectif de minimiser l’empreinte écologique liée à la fabrication.
En ce qui a trait à la bonne gestion de l’eau, l’objectif est que l’eau qui sort de l’usine de fabrication soit plus propre que l’eau qui y entre. Finalement, les objectifs de l’aspect « équité sociale » sont notamment de favoriser l’utilisation de ressources locales, d’offrir des conditions justes aux employés de l’entreprise et d’entrainer des impacts positifs pour les communautés locales.
Il est fascinant d’imaginer pouvoir concevoir et construire à l’aide de matériaux à impacts environnementaux positifs, recyclables à l’infini, à l’intérieur des limites de la biocapacité. Des bâtiments qui seraient composés uniquement de matériaux certifiés C2C seraient donc en conséquence recyclables à l’infini, sans impact environnemental négatif, régénératif. Voilà une idée inspirante et rassembleuse pour notre industrie. Une bonne idée.
Voici un extrait du livre de McDonough et Braungart, Cradle to Cradle : Remaking the Way We Make Things , originalement en anglais, qui résume bien la philosophie derrière le concept, que je me permets humblement de traduire ici :
« Considérez le cerisier : des milliers de fleurs créent des fruits pour les oiseaux, les humains et les autres animaux, afin qu’une graine puisse finalement tomber sur le sol, prendre racine, et grandir.
« Qui regarderait le sol jonché de fleurs de cerisier et se plaindrait : quelles inefficacité et inutilité ! L'arbre fait abondamment de fleurs et de fruits sans épuiser son environnement. Une fois qu'ils tombent sur le sol, ils se décomposent en éléments nutritifs qui nourrissent les micro-organismes, les insectes, les plantes, les animaux et le sol. Bien que l'arbre produise effectivement plus de produits qu’il en a besoin pour son propre succès, dans un écosystème, cette abondance a évolué (par des millions d'années de succès et d'échec ou, en termes d'affaires, de recherche et développement), pour servir des fins riches et variées. En fait, la fécondité de l'arbre nourrit à peu près tout autour d'elle. »
Pour la période des Fêtes qui approche à grands pas, je vous invite à offrir, à vous ou à un(e) ami(e), ce merveilleux ouvrage de McDonough & Braungart de même que le second ouvrage publié par les deux mêmes auteurs, The UpCycle : Beyond Sustainability – Designing for Abundance, qui constitue une vision rigoureuse et optimiste du design de même que l’un des manifestes environnementaux les plus pertinents et percutants des dernières années. À tous les fidèles lecteurs, je vous souhaite de bonnes vacances et que 2015 soit une année charnière qui nous amènera bien au-delà de la durabilité telle que nous la concevons aujourd’hui.
1. McDonough, William; Braungart, Michael (2002). Cradle to Cradle: Remaking the Way We Make Things. North Point Press, ISBN 0-86547-587-3.
2. US Green Building Council, http://www.usgbc.org/
L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy à Gaspé. On peut communiquer avec lui par courriel à mfleury@vachonroyarchitectes.com.
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 11 décembre 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !