Appel d’offres : attention aux clauses de réserve

17 janvier 2011
Par Me Mathieu Turcotte

Le domaine des appels d’offres est un sujet de prédilection pour les observateurs du monde de la construction. Étape cruciale dans l’attribution des contrats, notamment les contrats publics, ce processus s’est vu décortiqué et amplement commenté par la jurisprudence de toutes les époques, si bien que certains paramètres sont maintenant bien connus, telle l’obligation du donneur d’ouvrage de traiter les soumissionnaires de façon totalement équitable, par exemple.

 

Cette obligation d’agir équitablement se décline en plusieurs facettes, comportant toutes, pour le donneur d’ouvrage, des obligations à la fois distinctes et se rapportant au même principe de base, soit celui d’une compétition juste et honnête entre les soumissionnaires. Ainsi, le donneur d’ouvrage devra rigoureusement remettre la même information aux soumissionnaires, leur donner un accès égal aux documents et au site, évaluer leurs soumissions en fonction de critères identiques et s’en tenir aux paramètres et conditions énoncés à ses documents d’appel d’offres.

 

Face à ces obligations implicites, les clauses de réserve et autres clauses d’exonération de responsabilité offrent une protection plus que limitée. Au mieux ont-elles été considérées comme valides, mais d’application restreinte, tel qu’en fait foi la décision rendue il y a à peine un an par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tercon, où la Cour avait rappelé que les clauses d’exonération de responsabilité du donneur d’ouvrage doivent être interprétées restrictivement et que la moindre ambiguïté (et Dieu sait que les avocats sont capables d’en trouver partout !) doit jouer en faveur du soumissionnaire lésé.

 

La décision 2852-6648 Québec inc. c. 125269 Canada inc., rendue cet automne par le juge Daoust de la Cour du Québec, illustre bien la sévérité dont font preuve les tribunaux à l’égard des donneurs d’ouvrage, de même que les effets pour le moins limités des clauses de réserve insérées par automatisme dans les documents d’appel d’offres.

 

Un appel d’offres serré

125269 Canada inc. est le promoteur immobilier d’un projet de développement résidentiel à Alma. En vertu d’une entente avec la Ville, il a pris en charge la construction des infrastructures nécessaires à la mise sur pied du développement, pour éventuellement les remettre à la Ville une fois le projet complété. Dans ce contexte, le promoteur décide de procéder à un appel d’offres public pour les travaux d’agrandissement du secteur. Il est à noter que comme le contrat est du domaine privé, aucune obligation n’impose de procéder de la sorte ; le promoteur aurait aussi bien pu attribuer le contrat de gré à gré ou procéder à un appel d’offres sur invitation.

 

Les soumissionnaires se livrent une chaude lutte et 2852-6648 Québec inc. coiffe ses rivaux au poteau avec une soumission à 132 764 $, contre 132 916 $ pour l’entreprise Rosario Martel inc., le deuxième plus bas soumissionnaire, soit une différence d’à peine 150 $. Le promoteur fait fi de cette différence et préfère, contre l’avis de la Ville, octroyer le contrat à Rosario Martel inc., entreprise qu’il connaît bien et en qui il a pleinement confiance. Le plus bas soumissionnaire, s’estimant lésé par cet accroc au processus d’appel d’offres, intente peu après une poursuite contre le promoteur pour lui réclamer sa perte de profits sur le contrat manqué.

 

Un processus optionnel, mais contraignant

Le promoteur justifie sa décision d’octroyer le contrat à Rosario Martel inc. en expliquant à la Cour qu’il préférait choisir une entreprise dont il connaît déjà la réputation et avec qui il avait eu de bonnes expériences dans le passé, s’assurant ainsi d’une tranquillité d’esprit valant amplement la différence de prix. Il plaide également que comme il n’avait pas l’obligation de procéder à un appel d’offres public, il n’est pas contraint d’octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire conforme, ce qui, selon lui, est d’ailleurs spécifiquement permis par la clause de réserve se trouvant au document d’appel d’offres : « Le propriétaire ne s’engage à accepter ni la soumission la plus basse ni aucune soumission. »

 

La Cour rejette d’emblée les prétentions du promoteur et rappelle à ce dernier que même s’il n’avait effectivement pas l’obligation de procéder par appel d’offres public, il doit respecter les règles qu’il s’est lui-même imposées de façon à préserver l’équité entre les soumissionnaires. Or dans le présent cas, l’appel d’offres prévoit non seulement la clause de réserve mentionnée plus haut, mais également l’obligation pour le promoteur de retenir la plus basse soumission conforme : « L’entrepreneur retenu est celui qui a déposé la plus basse soumission conforme. »

 

Dans ces circonstances, la seule possibilité ouverte par la clause de réserve aurait été, selon la Cour, de ne retenir aucune des soumissions, par exemple en cas de dépassement budgétaire inattendu, mais en aucun cas d’accorder un avantage injustifié à l’un des soumissionnaires en considérant des critères additionnels non énumérés aux documents d’appel d’offres, comme par exemple, dans notre cas, l’expérience du directeur général, l’âge des équipements ou la réputation des entreprises en lice.

 

Forte de cette conclusion, la Cour a condamné le promoteur à compenser 2852-6648 Québec inc. pour sa perte de profits, soit plus de 23 000 $.

 

Cette affaire rappelle que le processus d’appel d’offres emporte des règles strictes qu’il reste hasardeux de contourner. À cet égard, la clause de réserve classique que l’on trouve dans les documents standards offre bien peu de protection, et un donneur d’ouvrage aurait avantage à consulter avant de s’y fier pour octroyer un contrat à une autre entreprise que le plus bas soumissionnaire conforme.

 


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