En matière d’appel d’offres, de nombreuses décisions discutent du principe de l’égalité de traitement entre les soumissionnaires et de la conformité des soumissions. Dans un jugement récent[1] , le tribunal a dû décider si le non-respect d’une condition des documents d’appel d’offres, soit l’utilisation de prix unitaires représentatifs des coûts d’exécution des travaux, constituait une non-conformité justifiant le rejet de certaines soumissions.
Les faits
En juin 2010, la Municipalité de Val-Morin procède à l’émission de deux appels d’offres publics distincts pour la réfection de rues et d’infrastructures situées sur son territoire (« Contrat du tronçon 4-1 » et « Contrat des 7e et 19e rues »). Entreprise TGC inc. (« TGC ») dépose une soumission en réponse à chacun de ces appels d’offres. Bien que ses soumissions soient les plus basses, elles sont jugées non conformes et sont rejetées par la Municipalité. Croyant avoir été injustement écartée du processus, TGC se tourne vers les tribunaux pour obtenir réparation : elle poursuit Val-Morin pour lui réclamer les profits perdus liés à la réalisation des deux contrats, soit un montant de plus de 500 000 dollars.
Plus précisément, les consultants en ingénierie mandatés par la Municipalité remarquent que certains prix unitaires annoncés par TGC ne semblent pas représentatifs du coût réel des travaux à effectuer, ce qui serait contraire aux exigences des documents d’appel d’offres.
Dans le Contrat du tronçon 4-1, le cahier des charges générales prévoit ceci : e) Considérés individuellement, les prix unitaires indiqués par le soumissionnaire aux différents articles doivent être proportionnés, c’est-à-dire ni trop élevés, ni trop bas. S’ils sont non proportionnés, la soumission pourra être jugée non conforme. Une clause analogue existe dans le Contrat des 7e et 19e rues.
Le président de TGC témoigne sur les raisons justifiant les prix unitaires si bas et que, malgré tout, ces prix reflètent les coûts réels d’exécution des travaux. Il explique les économies de coûts que son entreprise peut réaliser : elle peut utiliser des matériaux de remblai qui lui reste au terme d’un autre contrat, elle prévoit revendre une vieille conduite en métal et elle récupère du matériel d’excavation qu’elle peut réutiliser.
De plus, il explique que, pour la main-d’oeuvre et l’équipement, certains prix unitaires sont presque nuls au motif que certains travaux sont amortis dans d’autres sections du devis puisqu’il s’agit des mêmes main-d’oeuvre et équipements déjà sur place. Selon lui, prévoir un prix unitaire distinct serait une séparation artificielle et inutile. Par exemple, les travaux de fondation et de sous-fondation ne sont pas distincts et font partie de l’excavation. L’enlèvement d’une vielle vieille conduite d’aqueduc et l’installation d’une nouvelle impliquent les mêmes personnes et équipements.
Quant à elle, Val-Morin est d’avis que le défaut de fournir un prix unitaire proportionné pour chacune des tâches à accomplir affecte certainement le prix des soumissions et l’équilibre entre les soumissionnaires. Ainsi, puisque les soumissions de TGC ne respectent pas cette exigence, la Municipalité n’a d’autre choix que de les déclarer non conformes.
La décision
En résumé, le tribunal doit décider si le défaut de préciser un prix unitaire proportionné aux coûts constitue une non-conformité majeure, laquelle entrainerait le rejet des soumissions de TGC.
La décision nous rappelle que le processus d’appel d’offres doit être mené avec équité. Lorsqu’une condition de conformité est mentionnée aux documents d’appel d’offres, le donneur d’ouvrage doit l’appliquer uniformément à tous les soumissionnaires.
En comparant les autres soumissions déposées avec celle de TGC, le tribunal remarque que, pour plusieurs catégories de travaux, les prix unitaires des compétiteurs de TGC jugés conformes sont largement inférieurs à ceux des autres soumissionnaires. Cependant, Val-Morin est incapable de dire lesquels, parmi les prix unitaires soumis, sont proportionnés ou représentatifs des coûts réels, puisqu’elle n’a pas fait cette étude. Selon le juge, ceci démontre que l’exigence d’indiquer des prix unitaires proportionnés aux coûts réels n’est pas essentielle pour la Municipalité et que cette dernière n’a pas appliqué cette condition uniformément entre les soumissionnaires. Val-Morin ne pouvait donc pas utiliser cette raison pour déclarer TGC non conforme et refuser de lui octroyer chacun des deux contrats.
De plus, la raison invoquée par Val-Morin pour rejeter les soumissions peut sembler surprenante à première vue. En effet, le propre d’un appel d’offres est d’obtenir le meilleur prix possible pour les travaux : est mal venu le donneur d’ouvrage qui se plaint d’obtenir un prix unitaire trop bas! Cependant, la Municipalité justifie cette exigence en fonction d’une logique bien précise : si les prix ne sont pas répartis équitablement entre les divers postes et que la Municipalité souhaite augmenter ou réduire la somme des travaux à effectuer, elle pourrait devoir payer plus pour un poste ou être créditée d’un montant moindre, simplement parce que le coût de l’item ajouté ou retranché ne correspond pas à son coût véritable[2] .
Le juge n’est pas d’accord avec cet argument de Val-Morin. Selon lui, dans le cadre de travaux de réfection de rue ou d’infrastructures, tous les travaux et leurs sous-catégories doivent être exécutés sur la même longueur (ex. : excavation, remblai, pavage). Si certains prix unitaires sont sous-évalués, d’autres sont nécessairement surévalués. Donc, si la Municipalité retranche 100 m de travaux à réaliser, au total le prix demeurera proportionnel à la distance effectuée, ce qui rencontre l’objectif de la Municipalité[3] .
Insatisfait des explications fournies par Val-Morin, le juge conclut que la Municipalité a eu tort d’écarter TGC, qui était la plus basse soumissionnaire conforme, et la condamne à verser plus de 370 000 dollars à cette dernière. Il est à noter que cette décision a été portée en appel. C’est une histoire à suivre…
1. Entreprise TGC inc. c. Municipalité de Val-Morin, 2017 QCCS 2616
2. Par. 48
3. Par. 49
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