Une décision rendue le 10 mai 2017 dans l’affaire Habitations Prestige design et Fils inc. c. Bélanger[1] vient mettre en lumière l’importance de définir de manière précise les droits et obligations des parties dans le cadre d’un contrat de construction.
Les faits
Le 10 octobre 2013, un couple (les « Propriétaires ») retient les services de l’entreprise Habitations Prestige Design et fils Inc. (« l’Entrepreneur ») afin de réaliser divers travaux sur leur maison, dont notamment le rehaussement du toit, le remplacement de fenêtres et des travaux de maçonnerie. Les parties s’entendent alors sur un prix de 53 356,47 $.
Puisque les Propriétaires doivent quitter le pays pendant la durée des travaux, ceux-ci signent alors une procuration en faveur de l’Entrepreneur lui donnant « plein droit de décision sur les rénovations de la maison » et l’autorisant à faire « toute démarche auprès de la Ville ».
Durant l’absence des Propriétaires, l’Entrepreneur leur fait parvenir plusieurs photos qui témoignent de l’avancement des travaux et leur indique que les travaux devraient être complétés à leur retour. Cependant, une fois revenus au Québec, les Propriétaires constatent que les travaux ne sont pas entièrement complétés et que la qualité du travail effectué semble laisser à désirer. Ils décident donc de retenir une somme de 37 236 $.
Les Propriétaires apprennent ensuite que la facture finale s’élève à 71 312,88 $, soit environ 18 000 $ de plus que le montant forfaitaire convenu au départ, et ce, en raison de travaux additionnels (extras) effectués par l’Entrepreneur. Ce dernier inscrit alors une hypothèque légale sur la maison pour le montant total du coût des travaux et réclame cette somme par voie de recours judiciaire. Les Propriétaires se portent pour leur part demandeurs reconventionnels alléguant que l’Entrepreneur leur a facturé des sommes supplémentaires à ce qui était originalement prévu sans qu’elles aient été préalablement approuvées. Les Propriétaires allèguent également que le montant exigé par l’Entrepreneur est exagéré compte tenu que les travaux n’ont pas tous été complétés et qu’il existe de nombreuses malfaçons.
La décision
Le tribunal constate d’abord que le devis initial fourni par l’Entrepreneur ne comporte pas la moindre mention de ce qu’il advient si des travaux supplémentaires sont requis lors des rénovations. Ainsi, le tribunal qualifie le contrat qui lie les parties comme un contrat d’entreprise à forfait au sens de l’article 2109 du Code civil du Québec et retranche de la facture de l’Entrepreneur les extras qui n’avaient pas été approuvés par les Propriétaires. En effet, lors d’un contrat à forfait, le prix convenu pour les travaux reste le même, quand bien même des modifications sont apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, et l’Entrepreneur ne peut prétendre à une augmentation du prix pour le motif que l’ouvrage a exigé plus de travail que prévu. De plus, l’article 1432 du Code civil du Québec énonce que dans le doute, le contrat s’interprète en faveur du consommateur. Par conséquent, puisque l’Entrepreneur n’est pas parvenu à établir que les Propriétaires avaient acquiescé aux travaux supplémentaires, il ne peut prétendre à une augmentation de prix initial du devis.
Par ailleurs, le tribunal énonce que le fait d’accorder à un Entrepreneur plein droit de décision sur les rénovations de la maison n’a pas pour effet de lui donner carte blanche. En effet, malgré la « vaste portée potentielle de l’expression employée », celle-ci n’a pas pour effet de soustraire l’Entrepreneur aux obligations prévues à l’article 2100 du Code civil du Québec, lequel prévoit que l’entrepreneur doit toujours agir au mieux des intérêts de son client, avec prudence et diligence et conformément aux règles de l’art. De plus, le tribunal rappelle encore une fois que toute ambiguïté par rapport à la portée de cette expression doit être interprétée en faveur des Propriétaires.
Enfin, quant aux malfaçons alléguées par les Propriétaires, le tribunal constate effectivement que plusieurs travaux effectués par l’Entrepreneur ne respectent pas les règles de l’art et requièrent des travaux correctifs. Puisque l’Entrepreneur est tenu de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception ou découvertes dans l’année qui suit sa réception (article 2120 du Code civil du Québec), les Propriétaires étaient alors justifiés de retenir une somme en prévision des travaux correctifs à effectuer, le tout conformément à l’article 2111 du Code civil du Québec.
Conclusion
Cette décision est un parfait exemple de l’importance pour les propriétaires comme pour les entrepreneurs de définir de manière précise leurs attentes concernant les travaux à réaliser dans un document contractuel clair, notamment par rapport au prix et aux ajustements pour travaux supplémentaires.
Cette décision souligne également l’importance pour les propriétaires de définir avec précision les pouvoirs confiés à l’entrepreneur dans le cadre des travaux, plus particulièrement si ces mêmes propriétaires sont absents du chantier ou sont incapables de le suivre durant les travaux.
Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre MePhilip Thibodeau par courriel à pthibodeau@millerthomson.comou par téléphone au 514 879-2128.
Cet article est paru dans l’édition du vendredi 14 juillet 2017 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.