Le recours à l’hypothèque légale est sans aucun doute le mécanisme de protection de créance le plus important et le plus répandu dans l’industrie de la construction. Plusieurs intervenants ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble peuvent s’en prévaloir si les conditions requises sont respectées.
Afin de protéger leurs droits, les intervenants (à l’exception des ouvriers) qui souhaitent se prévaloir d’une hypothèque légale doivent avoir contracté directement avec le propriétaire ou, dans le cas contraire, avoir dénoncé par écrit leur contrat au propriétaire. Il existe toutefois certaines exceptions à ce principe de la dénonciation écrite, notamment lorsque l’intervenant contracte avec le représentant du propriétaire ou avec une personne qui se présente comme étant le propriétaire.
Le 17 mars dernier, la Cour supérieure rendait un jugement sur le sujet, fournissant notamment des barèmes pour déterminer les circonstances dans lesquelles un intervenant est tenu de dénoncer son contrat au propriétaire afin de bénéficier de son droit à l’hypothèque légale.
Les faits
En 2013, Michel Harel et Martine Beaulieu (les « Propriétaires ») décident de se faire bâtir une nouvelle résidence. Ils retiennent donc les services de 6045901 Canada Inc. (« Mirador »), dont ils ont rencontré le représentant, Stéphane Trépanier, alors que Mirador agissait comme entrepreneur général dans un autre projet immobilier.
Deux contrats sont signés entre Mirador et les Propriétaires : un contrat préliminaire de vente sur formulaire type puis un contrat de gestion de projet de construction neuve.
Les demandeurs sont trois entrepreneurs spécialisés dont les services sont subséquemment retenus dans le cadre de ce projet de construction : TMR3 Couvreur Inc. (« TMR3 »), MIF Mur À Sec (« MIF ») et 173491 Canada Inc. (« Isolation Gravel »). Ces entrepreneurs effectuent divers travaux sur l’immeuble des Propriétaires qu’ils facturent à Mirador. Celleci inclut par la suite ces factures à sa propre facturation qu’elle transmet directement aux Propriétaires. Les Propriétaires acquittent en totalité la facturation de Mirador. Cette dernière fait toutefois cession de ses biens et les demandeurs ne sont jamais payés.
Les demandeurs font tous trois publier un avis d’hypothèque légale sur l’immeuble ainsi qu’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. Il n’est pas contesté qu’aucun d’entre eux n’a préalablement dénoncé son contrat aux Propriétaires.
Les demandeurs allèguent ne pas avoir eu à dénoncer leur contrat, car Mirador agissait comme gestionnaire de projet et pouvait donc être considérée comme une représentante autorisée des Propriétaires. Les Propriétaires réfutent cette prétention et affirment que Mirador agissait à titre d’entrepreneur général en vertu d’un contrat d’entreprise.
La nature du contrat entre les Propriétaires et Mirador ainsi que le rôle de Mirador dans ce projet sont donc au coeur du litige.
La décision
En ce qui a trait au contrat liant les parties, la Cour supérieure est d’avis que le contrat intervenu entre Mirador et les Propriétaires est du type « entreprise hybride », soit à mi-chemin entre un contrat traditionnel d’entrepreneur général et un contrat de gestion de projet. La Cour précise toutefois que la détermination exacte du lien contractuel entre ces parties n’est pas essentielle à la résolution du litige.
L’article 2728 du Code civil du Québecénonce une règle claire : un intervenant, exception faite de l’ouvrier, souhaitant bénéficier de son droit à l’hypothèque légale se doit de dénoncer par écrit son contrat au propriétaire, à moins qu’il n’ait contracté directement avec lui.
La jurisprudence a d’ailleurs établi que la connaissance directe par le propriétaire de travaux exécutés par un sous-traitant ne vaut pas dénonciation au sens de l’article 2728 C.c.Q. Cela n’est donc pas suffisant pour dispenser un sous-traitant de dénoncer son contrat au propriétaire.
Cette dénonciation est nécessaire afin de permettre au propriétaire de réserver les sommes nécessaires pour payer tous les sous-traitants et fournisseurs ayant participé à la construction, et ainsi éviter que son immeuble se retrouve grevé d’un droit hypothécaire.
Cette dénonciation n’est toutefois pas requise lorsque l’entrepreneur spécialisé contracte avec un représentant du propriétaire ou avec une personne qui se présente comme étant le propriétaire. La jurisprudence a exposé au fil des ans des exemples clairs de ce principe : le conjoint du propriétaire, l’unique actionnaire d’une compagnie propriétaire, ou bien un locataire dûment autorisé à agir en tant que propriétaire.
En l’espèce, la preuve démontre que Mirador ne s’est jamais présentée comme une représentante des Propriétaires. Il n’y a pas non plus de lien entre elle et ces derniers qui permettrait d’en arriver à cette conclusion. Le fait qu’elle se soit présentée aux entrepreneurs spécialisés comme étant gestionnaire du projet et non entrepreneur général ne suffit pas pour conclure qu’elle agissait à titre de représentante des Propriétaires.
La Cour estime plutôt que Mirador avait un rôle de maître d’oeuvre vis-à-vis des entrepreneurs spécialisés. En effet, Mirador supervisait les travaux et s’occupait notamment d’obtenir les soumissions des entrepreneurs spécialisés et de faire les recommandations pertinentes aux Propriétaires. Elle était également responsable de la facturation de leurs travaux.
De plus, la preuve révèle que ni MIF ni Isolation Gravel ne connaissaient les Propriétaires. Ils ont fait affaire exclusivement avec Mirador et n’ont eu que très peu de contacts avec les Propriétaires.
La Cour s’appuie également sur deux (2) éléments factuels supplémentaires, soit la licence d’entrepreneur général de la Régie du bâtiment détenue par Mirador, et l’avis d’hypothèque légale que cette dernière a fait inscrire sur l’immeuble des Propriétaires à titre d’entrepreneur général.
La Cour conclut donc que Mirador agissait à titre d’entrepreneur général sur le chantier, et non à titre de représentante ou d’alter ego des Propriétaires. En conséquence, MIF et Isolation Gravel devaient dénoncer par écrit leur contrat aux Propriétaires. Puisqu’ils ne l’ont pas fait, ils ne peuvent bénéficier du droit à l’hypothèque légale.
La situation de TMR3 est légèrement différente, puisqu’elle soutient avoir transigé directement avec les Propriétaires et non avec Mirador, comme l’ont fait MIF et Isolation Gravel.
À cet égard, la preuve démontre que ce sont les Propriétaires qui ont personnellement retenu les services de TMR3. Ils ont contacté son représentant directement, l’ont rencontré et ont eu de nombreux échanges directs avec lui, notamment par courriel.
La Cour retient également que TMR3 a adressé sa soumission directement aux Propriétaires et qu’elle n’a facturé Mirador que sur demande de ceux-ci. TMR3 n’a jamais transigé avec Mirador.
La Cour en vient ainsi à la conclusion que TMR3 a contracté directement avec les Propriétaires, et par conséquent, qu’elle n’avait pas à dénoncer son contrat par écrit. Son hypothèque légale sur l’immeuble des Propriétaires est donc valide.
Conclusion
Cette décision nous rappelle l’importance de la dénonciation écrite prévue à l’article 2728 C.c.Q. Un entrepreneur spécialisé qui ne transige pas directement avec le propriétaire met ses droits à risque s’il omet de dénoncer préalablement son contrat.
Cette décision nous enseigne également que, même lorsqu’un entrepreneur spécialisé contracte avec une personne qu’il présume être le représentant du propriétaire, il est plus prudent de dénoncer malgré tout son contrat au propriétaire, afin d’éviter les mauvaises surprises et de préserver ses droits.
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