Lors du congrès de l’Association des estimateurs et des économistes du Québec (AEÉCQ), qui s'est déroulé les 25 et 26 mai 2017, un débat a été organisé entre plusieurs professionnels du milieu de la construction. Cette rencontre tournait autour de la règle du plus bas soumissionnaire.
Les invités étaient Lyne Parent, directrice générale de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), Luc Martin, vice-président exécutif de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ), André Rainville, président-directeur général de l'Association des firmes de génie-conseil – Québec (AFG), Serge A. Boileau, président directeur-général de la Commission des services électriques de Montréal (CSEM) et Joël Grenier, membre de la Fédération québécoise des associations d’entrepreneurs spécialisés en construction (FQAESC). Le débat était animé par Anik Girard, directrice générale et éditrice du Groupe Constructo.
Le plus bas prix est-il réellement le meilleur prix ?
La première partie du débat a porté sur cette règle qui tend à favoriser la firme qui propose le plus bas prix.
Lyne Parent, directrice générale de l'AAPPQ, estime que la règle du plus bas soumissionnaire n'est pas une bonne approche en ce qui concerne la sélection des firmes d'architecture. Elle explique que lorsqu'il est demandé à des professionnels en architecture de déposer un prix dans le cadre d'un appel d'offres, il est toujours question d'un prix forfaitaire fermé. Des erreurs se glissent couramment dans l'estimation du nombre d'heures ou dans le pourcentage des coûts par exemple. « Tous les honoraires qui seront réclamés par la suite se verront considérés comme des extras et peuvent conduire à des litiges, ce qui rendra plus difficile la poursuite du projet. » Joël Grenier, membre de la FQAESC, a complété la réponse de madame Parent en expliquant que parfois les banques d'heures du projet sont épuisées, ce qui donne lieu à des plans qui ne sont pas comblés. Ce genre de situation a tendance à se terminer en médiation ou devant les tribunaux.
De son côté, Luc Martin, vice-président exécutif de la CEGQ, explique que l'entrepreneur général ne fait pas de conception, sa mission est de réaliser un projet conforme, dans les délais prescrits. Il ajoute : « Nous avons l'habitude de faire appel à des sous-traitants. En règle générale nous choisissons le plus bas soumissionnaire des sous-traitants. » On comprend alors que cette règle se retrouve à tous les niveaux. André Rainville, président-directeur général de l'AFG, estime qu'il faut chercher à comprendre les entreprises qui soumissionnent à rabais, car il faut aussi donner du travail aux équipes. Il poursuit : « On ne demande pas le meilleur prix, on demande le juste prix. »
Serge A. Boileau, président directeur-général de la CSEM, qui représente les donneurs d'ouvrage dans ce débat, propose son point de vue sur le sujet. « Ma philosophie ce n'est pas d'avoir le plus bas prix, mais le meilleur prix. » Il souligne que les contrats ne sont pas forcément accordés à ceux qui proposent le plus bas prix. Le contrat est accordé au plus bas soumissionnaire conforme et c'est tout à fait légal.
La place de l'innovation et du développement durable
Les projets novateurs qui donnent une place prépondérante au développement durable sont des projets plus coûteux investissement, mais ils sont rentables sur le long terme. La question porte alors sur la place de l'innovation et du développement durable dans la règle du plus bas soumissionnaire.
Lyne Parent estime que cette règle incite les professionnels à déposer le plus bas prix, donc le temps qui sera consacré à développer, concevoir et dessiner le projet sera déterminé en fonction de la rentabilité financière de la firme, au détriment de l'innovation et de l'optimisation des propositions techniques. Elle ajoute « ce n'est pas non plus une décision qui encourage le développement durable. »
Un commentaire intéressant est venu se glisser dans le débat durant la période questions/réponses. L'intervenant expliquait que la règle du plus bas soumissionnaire était loin de donner une place à l'innovation. « Vendre l'innovation dans ce contexte est impossible, car ce système freine les compagnies qui viennent avec des idées créatives. » Un commentaire qui nous a poussés à se questionner sur les problèmes vécus par les jeunes entreprises et des jeunes diplômés qui arrivent avec des idées créatives et innovantes et qui cherchent à faire leur place sur le marché.
Le dialogue pourrait-il être une solution?
Durant le débat, les participants se sont entendus sur un point : on ne communique pas assez dans le monde de la construction.
Joël Grenier explique : « Nous n'avons plus le droit de communiquer avec les architectes ou les ingénieurs alors qu'on travaille sur un même projet. » D'autres commentaires ont mis en lumière le manque de détails en ce qui a trait aux appels d'offres. André Rainville estime « qu'il faudrait établir un dialogue en amont et commencer la collaboration dès la publication de l'appel d'offre. »
Joël Grenier et Luc Martin étaient tous les deux d'accord sur le fait qu'il devrait y avoir des visites très tôt dans le processus, afin que l'information circule et qu'il y ait une possibilité d'interagir avec les donneurs d'ouvrage. Cette question a également soulevé l'absence des donneurs d'ouvrage lors de la réalisation des projets. Serge A. Boileau indique « qu'il est nécessaire d'avoir une interface entre le client et le consultant. »
Comment changer les choses?
La fin du débat a porté sur les initiatives à entreprendre pour faire avancer les choses et trouver des solutions viables à cette question de soumission.
Jean Paradis, président de l'AEÉCQ, a tenu à s'exprimer sur le sujet. Il a expliqué que la réalisation des projets demande la collaboration de tous. « Nous devons trouver une excuse pour tous nous réunir et le BIM serait une très bonne excuse, car il affecte tout le monde. Ce n'est pas au gouvernement de prendre des initiatives, car c'est quelque chose qui nous concerne directement. » Serge A. Boileau rejoint cet avis en ajoutant « On récolte ce que l'on sème. » Puis il affirme qu'il faut convaincre les membres de l'industrie qu'ils ont un rôle à jouer dans cette conception.
De son côté, Lyne Parent trouve qu'il faudrait essayer d'améliorer des choses existantes plutôt que de chercher constamment à implanter de nouvelles façons de faire. « Il faudrait prendre une méthode qui fonctionne moins bien et voir comment l'améliorer. »
C'est ainsi que s'est terminé le débat de l'AEÉCQ. Une rencontre riche et conviviale qui a donné lieu à un échange intéressant sur la règle du plus bas soumissionnaire.