L’unicité de la fin des travaux et l’hypothèque légale

21 juillet 2011
Par Me Normand D’Amour, B. Ing., LL.B.

La notion de fin de travaux est une notion importante pour ceux qui désirent faire valoir leur droit à l’hypothèque légale. Pour conserver son hypothèque légale, le bénéficiaire est en effet tenu de publier par voie d’inscription au registre foncier, un avis désignant l’immeuble grevé de l’hypothèque et indiquant le montant de la créance qu’il détient. La publication de cet avis doit être faite avant que ne soit expiré un délai de 30 jours après la « fin des travaux ».

 

De plus, l’hypothèque légale de construction, même publiée, s’éteindra six mois après la « fin des travaux » si le bénéficiaire omet de publier une action contre le propriétaire de l’immeuble ou d’inscrire un préavis d’exercice de droit hypothécaire indiquant quel recours hypothécaire il entend exercer. 

 

Définition

La notion de « fin des travaux » est définie à l’article 2110 du Code civil du Québec.

 

Cet article prévoit que « la fin des travaux » a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine.

 

Ainsi, deux conditions sont nécessaires pour décréter qu’il y a « fin des travaux », à savoir : 1) que les travaux soient complétés et 2) que la construction soit devenue prête pour l’usage auquel elle est destinée.

 

Selon une certaine jurisprudence, en l’absence d’une description précise par le biais de plans et devis de l’ampleur des travaux à exécuter, la date de « fin des travaux » correspondrait essentiellement à la date à laquelle la construction a été prête pour l’usage auquel elle est destinée. De plus, la jurisprudence reconnaît de façon générale qu’il y a unicité de « fin des travaux », pour un projet déterminé, de telle sorte qu’il y aura une seule fin des travaux pour l’ensemble des intervenants impliqués dans un projet déterminé.

 

Ces principes ont été énoncés dans un jugement rendu récemment par la Cour du Québec dans l’affaire Michael Logothetis c. Construction Thathion inc. 

 

Les faits

En mars 2009, M. Michael Logothetis (ci‑après « Logothetis ») acquiert une bâtisse dans le but d’y établir sa résidence. Il prévoit exécuter de nombreux travaux avant d’y emménager et il entreprendra de s’occuper lui‑même de l’embauche des divers entrepreneurs spécialisés pour réaliser son projet.

 

L’intérieur de la bâtisse sera complètement dégarni de la cave au grenier.

 

Dans le cadre des travaux qu’il fera réaliser, Logothetis retient les services de Construction Thathion inc. (ci‑après « Thathion ») pour redresser et solidifier les planchers qui s’étaient affaissés. La piètre qualité des fondations et la nature du sol obligent toutefois les parties à réviser considérablement la nature du travail que doit accomplir Thathion. Les parties devront donc se rencontrer à quelques occasions pour réviser l’ampleur des travaux, mais également le coût de ceux‑ci.

 

Les travaux de Thathion qui sont entrepris au printemps 2009 se poursuivent jusqu’en janvier 2010. C’est alors que Thathion présente une nouvelle facture totalisant 39 386 $ pour des travaux additionnels réalisés et non inclus dans les estimations antérieures. Logothetis refusera de payer la facture, de telle sorte que Thathion quittera le chantier et ne reviendra pas. Thathion procédera cependant à la publication d’une hypothèque légale en date du 9 mars 2010 à l’égard de l’immeuble appartenant à Logothethis. Logothetis entreprendra un recours judiciaire pour faire radier l’hypothèque ainsi publiée, puisqu’il considère que la publication de l’hypothèque légale s’est faite tardivement. La question en litige est relative à la date de fin des travaux. 

 

Le jugement

Ce sera l’honorable juge Shamie de la Cour du Québec qui sera saisi du différend.

 

Constatant qu’il s’agit d’un projet où les travaux n’avaient pas à être réalisés selon des plans et devis, le juge en vient à la conclusion que la date de fin des travaux doit correspondre à la date où l’ouvrage est « en état de servir à l’usage auquel on le destine » tel que le prévoit le premier alinéa de l’article 2110 C.c.Q.

 

Le juge constate par ailleurs que le 5 janvier 2010, soit le moment où Thathion quitte le chantier, l’ouvrage n’est pas complété. De fait, des travaux d’installation de toilette et de lavabo seront exécutés en janvier et février 2010 ; des travaux d’installation électrique seront exécutés jusqu’au 9 juin 2010 ; tandis que des installations d’escalier et rampes de l’immeuble seront complétés en mai 2010.

 

Ce n’est qu’en date du 18 mars que Logothetis sera en mesure d’emménager dans l’immeuble pour y habiter. Ainsi, le juge en vient à la conclusion qu’en date du 9 mars 2010, soit en date de la publication de l’hypothèque légale, l’immeuble n’est pas encore prêt à l’usage auquel il est destiné.

 

Logothetis plaide toutefois que l’abandon des travaux par Thathion en date du 5 janvier 2010 doit correspondre à la date de « fin des travaux » sur le chantier.

 

Le juge rejette cette thèse puisqu’il retient le principe qu’il n’existe qu’une seule et unique date de « fin des travaux » pour l’ensemble des participants au projet de construction et non une date particulière pour chacun d’eux, et ce, même s’ils sont liés par différents contrats d’entreprise ou de service. Ainsi, la validité de l’hypothèque légale sera maintenue et la requête en radiation d’hypothèque rejetée.

 


Pour toute question ou commentaire, n’hésitez pas à communiquer avec Me Normand D’Amour : ndamour@millerthomsonpouliot.com
Tél. : 514 871-5487

Miller Thompson Pouliot

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 15 juillet 2011 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !