Une chronique du cabinet Dufresne Hébert Comeau - En ces temps troubles, bien des acteurs de l’industrie de la construction s’interrogent quant aux répercussions que pourrait avoir l’éventuel rapport de la Commission Charbonneau.
Dans la récente affaire Lampron c. Énergie Algonquin (Ste-Brigitte) inc. [1], la juge Lise Matteau de la Cour supérieure a dû se pencher sur la possibilité ou non d'utiliser le rapport d'une commission d'enquête dans le cadre d'une poursuite civile postérieure. Suite à une inondation de leurs immeubles situés à proximité du barrage de la rivière Nicolet, des propriétaires riverains (Lampron) ont poursuivi en dommages les propriétaires ou possesseurs des installations (Énergie Algonquin), au motif que « la conception et la construction de la minicentrale hydroélectrique et de son barrage qui ont été érigés au cours des années 1992-1993 entre les rives de la Rivière Nicolet, étaient déficientes et en contravention des obligations contractées par le promoteur de l’époque auprès des organismes régulateurs, causant selon eux la formation d’embâcles de glace qui seraient à l’origine de l’inondation survenue le 13 avril 2001 ».
Pour appuyer ses prétentions, Lampron désirait introduire en preuve certains extraits du rapport produit le 31 mars 1997 par la Commission d’enquête sur la politique d’achat par Hydro-Québec d’électricité auprès de producteurs privés, aussi connu comme le « Rapport Doyon », et dont les conclusions visaient les causes d’inondation survenues entre 1992 et 1995.
La Cour supérieure refusa l’introduction en preuve des extraits du Rapport Doyon. De fait, ces extraits se limitaient à résumer les déclarations des témoins qui avaient comparu devant la Commission ; sans la transcription des témoignages dans leur intégralité, les propos résumés par la Commission ne satisfaisaient donc pas le critère d’admissibilité. Également, la Cour note que le contexte du mandat octroyé à la Commission d’enquête, soit les inondations entre 1992 et 1995, divergeait des questions soulevées par le recours et conclut qu’ « une telle preuve n’offre aucune fiabilité quant aux questions hautement techniques dont le Tribunal devra disposer dans le cadre du présent litige en responsabilité civile, notamment celle de déterminer la cause de l’inondation survenue le 13 avril 2001, laquelle constitue la pierre d’assise du recours entrepris par les demandeurs ». La Commission n’ayant pas analysé l’exploitation du barrage postérieurement à 1995, la juge Matteau conclut à l’absence de pertinence des conclusions de la Commission à l’égard de l’objet du recours civil entrepris par la suite.
Par ailleurs, cette décision ne dispose pas entièrement de la question relative à l’admissibilité en preuve d’un rapport d’une commission d’enquête. Ainsi, un rapport complet, accompagné de la transcription intégrale des témoignages et constituant une preuve pertinente au litige pourrait-il être versé au dossier de la Cour ? Nous citerons l’honorable juge Moulin [2] en réponse à cette interrogation :
« (…) il n’est pas interdit de penser qu’un tribunal (…) pourrait, à une autre étape des procédures, considérer déraisonnable d’exiger la présence de plusieurs ou de tous les témoins rencontrés dans le cadre de la rédaction de ce rapport ou la production de plusieurs ou de tous les documents sur lesquels il s’appuie et statuer qu’il offre des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier et, en conséquence, l’admettre en tout ou en partie en preuve (…).»
Ce commentaire donne ouverture à ce que des parties, dans un futur plus ou moins rapproché, tentent d’utiliser l’éventuel rapport de la Commission Charbonneau comme pierre angulaire de poursuites civiles.
2. Faucher c. Grondin Transport inc., 2009 QCCS 1973, cité par la Cour d’appel dans Bouchard-Cannon c. Le procureur général du Canada, 2012 QCCA 1241
Cette chronique constitue une source d’information générale. Pour toute question plus précise sur le sujet ou pour faire part de vos commentaires, nous vous invitons à communiquer avec l’auteur de cette chronique : Me Audrey-Julie Dallaire, par courriel à adallaire@dufresnehebert.ca ou téléphone au 514 331-5010.
Cette chronique se veut le reflet de l’industrie et l’occasion de mettre en lumière les règles qui la gouvernent. Profitez-en ! Vous aimeriez proposer un sujet ? Communiquez avec nous ! Votre suggestion pourrait être l'objet d'une prochaine chronique Droit et construction sur Portail Constructo.