Dans notre dernière chronique, nous avons présenté un premier volet de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Birdair inc. c. Danny’s Construction Company inc. (2013 QCCA 580.) en discutant de la question de l’obligation de coopération des parties à un contrat et son importance lors de la résiliation du contrat. Après un rappel des faits, nous continuons notre revue de la décision sur son autre aspect important : la question de l’évaluation des dommages pour résiliation fautive du contrat.
Rappel des faits
La Cour donne raison à Danny’s Construction Company inc. (« DCCI »), sous-traitante de Birdair inc. (« Birdair »), dans l’action en dommages intentée par DCCI pour la résiliation par Birdair du contrat de sous-traitance. Les parties avaient conclu leur sous-contrat dans le cadre de l’important projet de réfection de la toiture du Stade olympique. Birdair avait conclu le contrat principal de conception-construction à forfait avec la Régie des installations olympiques. Birdair, leader mondial en matière de toitures en toile, devait concevoir la nouvelle toiture et son installation, ainsi que construire le fruit de sa conception. C’est le volet construction du projet qui fut sous-traité à DCCI à prix forfaitaire.
L’ensemble du projet devait être réalisé suivant un échéancier très serré. D’ailleurs, le contrat de conception-construction principal était un contrat de type fast track, où l’exécution des travaux se fait alors que les plans ne sont pas complétés dans leur intégralité. Évidemment ce type de contrat requiert une planification solide, une communication efficace et une grande collaboration entre les parties impliquées, sans lesquelles le projet peut vite dérailler, ce qui fut le cas dans ce dossier.
Suite à de nombreux changements effectués par Birdair en cours de construction – changements qui visaient à la fois la conception du projet et les méthodes d’exécution – les travaux doivent être nettement accélérés et DCCI subit de sérieuses difficultés financières. Malgré des tentatives de trouver des solutions, la relation des parties dégénère et Birdair finit par résilier le contrat.
La Cour conclut que Birdair a résilié le contrat de manière fautive et abusive en manquant à son obligation de coopération, tel que discuté dans notre dernière chronique. Elle conclut qu’il pouvait avoir une évolution de la conception tout au long des travaux, mais qu’elle devait être prévisible et proportionnée. Conclure que DCCI devait faire tous les travaux supplémentaires exigés par Birdair aurait imposé un fardeau trop lourd sur DCCI. Or, c’est justement ce que Birdair avait tenté de faire : exiger que DCCI s’adapte aux changements et continue les travaux coûte que coûte, en dépit des conséquences financières. De l’avis de la Cour, Birdair avait accumulé de nombreux manquements vis-à-vis de DCCI et ne pouvait agir ainsi.
L’évaluation des dommages
Vu la faute commise par Birdair en résiliant le contrat, DCCI a le droit d’être pleinement indemnisée pour les dommages qu’elle a subi. Cette conclusion tirée, la Cour doit se pencher sur le montant à accorder à DCCI en dédommagement et la manière de le calculer.
Des dommages ont été accordés à DCCI sur plusieurs points, mais nous nous concentrons ici que sur les dommages accordés suite aux changements à la conception et aux méthodes d’exécution, soit les travaux additionnels et les coûts dus aux retards et l’accélération des travaux.
Pour les dommages résultant des changements de conception, la Cour juge que ces changements n’étaient pas que des ajustements de conception, mais des changements qui dépassaient largement ce dont les parties avaient initialement convenu, modifiant substantiellement et imprévisiblement la tâche de DCCI. Birdair doit donc assumer les coûts de ces changements.
Pour les dommages résultant des changements aux méthodes d’exécution ainsi qu’aux retards et à l’accélération des travaux, la décision de la Cour est intéressante car elle aborde une méthode d’évaluation controversée dite « approche des coûts totaux ».
Cette méthode est controversée parce qu’il s’agit d’une estimation du préjudice subi, et non pas un montant calculé de manière stricte et précise. De plus, cette approche ne permet pas de tenir compte de la responsabilité du demandeur (DCCI dans ce cas) pour les changements qui lui incombent. Il y a donc un problème de causalité au niveau des dommages : le demandeur risque de recevoir des sommes auxquelles il n’aurait, en droit stricte, pas droit. L’approche des coûts totaux est donc critiquable et son utilisation n’est pas encouragée.
Néanmoins, la Cour juge que l’approche des coûts totaux peut être utilisée dans certains cas. En effet, lorsque les travaux s’accélèrent, il est difficile de distinguer les tâches reliées aux travaux prévus de celles reliées à l’accélération. Lorsque la preuve révèle qu’il est trop compliqué de tout démêler avec précision, une estimation peut être acceptable, car il serait injuste d’exiger une preuve d’une précision quasi inatteignable. Notons que dans ce cas, les mesures d’accélération étaient complètement dues à Birdair, ce qui semble rendre cette approche plus acceptable.
Cette décision sera sans doute invoquée beaucoup dans les années à venir, surtout dans le cadre de litiges survenus dans des grands projets de construction complexes. D’une part, l’ampleur de l’obligation de coopération des parties à un contrat (dont nous avons discuté dans notre dernière chronique) sera à préciser, car une telle obligation peut grandement affecter les relations des divers intervenants sur le chantier. D’autre part, il est probable que bien des demandeurs tentent d’utiliser l’approche des coûts totaux pour calculer leurs dommages, celle-ci leur facilitant la tâche au niveau de la preuve à administrer au procès.
Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Patrick Garon-Sayegh à pgsayegh@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5425.
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 31 mai 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !