Une chronique du cabinet Dufresne Hébert Comeau - Le fait pour un client de résilier le contrat d'un entrepreneur incompétent lui permet-il de réclamer à titre de dommages ce qu'il lui en coûtera de plus pour faire terminer les travaux par un tiers ? À l'inverse, le fait, pour un entrepreneur, de voir son contrat résilié sans cause en cours d'exécution lui permet-il de réclamer sa perte de profits ? Voilà des questions qui reviennent fréquemment dans l'industrie de la construction.
En cette matière, il est bon de rappeler que le Québec fait bande à part avec un régime de résiliation sans cause, aussi appelé résiliation unilatérale, plutôt unique en Amérique du Nord. En vertu des articles 2125 et suivants du Code civil du Québec, il est en effet possible pour un client (qui peut être un propriétaire aussi bien qu'un entrepreneur) de résilier un contrat d'entreprise en cours d'exécution sans autre compensation que les frais engagés et la valeur des travaux réalisés. Le législateur évacue donc, dans un tel scénario, une poursuite pour la perte de profits anticipés, à moins qu'une clause du contrat ne prévoie une telle compensation.
Parallèlement à ce régime sans faute coexistent toutefois les règles générales du droit civil, prévoyant qu'une obligation mal exécutée peut donner lieu à une résiliation du contrat et à des dommages. C'est ainsi que les tribunaux ont reconnu qu'il reste possible pour un client qui démontre inexécution grave du contrat d'obtenir la résiliation de celui-ci en plus de réclamer de l'entrepreneur fautif qu'il paie les frais additionnels qu'il en coûtera pour faire finir les travaux.
L'arrêt de la Cour d'appel rendu dernièrement dans l'affaire Construction Argus inc. c. Entreprise A&S Tuckpointing inc. est un rappel intéressant de ces principes. Cette affaire met en cause un important contrat de restauration de maçonnerie sur l'ancienne usine Redpath, aux abords du canal Lachine à Montréal. Construction Argus, qui a confié l'ensemble du contrat à A&S Tuckpointing, se voit forcée de résilier celui-ci en cours d'exécution vu l'incompétence et l'inexpérience de son sous-traitant et de ses employés, qui se révèlent incapables de livrer la marchandise dans les délais requis.
La Cour supérieure donne raison à Construction Argus et confirme dans des termes sans équivoque la résiliation pour cause du contrat : « La preuve permet au Tribunal de conclure qu'A&S a soumis un prix trop agressif pour réaliser ce contrat. A&S s'est épuisée financièrement avec des ressources insuffisantes, inexpérimentées et donc inefficaces. Elle n'a pas été à la hauteur des exigences de ce contrat. » Toutefois, et de façon surprenante, la Cour refuse d'octroyer les dommages réclamés par Construction Argus au motif qu'elle pouvait anticiper, en résiliant le contrat, que des coûts additionnels s'ensuivraient.
La Cour d'appel revient sur le dossier et renverse cette conclusion du jugement de première instance dans les termes suivants : « En refusant d'octroyer des dommages, malgré sa détermination voulant que la résiliation ait été justifiée, la juge a commis une erreur de droit pour laquelle il faut intervenir. » La Cour rappelle à cet égard que la résiliation pour cause entraîne nécessairement le droit aux dommages, ce qui la distingue justement, dans ses effets, de la résiliation sans cause. Elle condamne en conséquence A&S Tuckpointing à rembourser à Construction Argus l'ensemble des coûts additionnels qu'il lui en a coûté pour faire terminer les travaux par d'autres entrepreneurs suite à la résiliation de son contrat. Suite au jeu des compensations, Construction Argus, qui avait été condamnée à une somme de plus de 100 000 $ en Cour supérieure, sort de la Cour d'appel avec un jugement de près de 250 000 $ en sa faveur !
Cette affaire démontre l'importance de bien préparer une résiliation de contrat et, surtout, de ne pas agir à la légère en cette matière. La qualification des faits aura toute son importance une fois le moment venu de réclamer des dommages.
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