Récupérer l’énergie grâce à la cloacothermie

10 novembre 2023
Par Roxanne Caron

Pour son nouveau siège social, Équipe Laurence a mis en pratique une série d’innovations axées sur le développement durable. Parmi celles-ci : la cloacothermie, une technologie permettant de récupérer l’énergie à même un bassin de traitement des eaux usées. Une première au Canada, selon la firme de génie civil.

Auparavant installée dans un bureau à Piedmont, Équipe Laurence a dû se relocaliser en 2019 en raison de son expansion pour le coût de 6 M$. Après avoir trouvé un terrain à Sainte-Adèle, la firme de génie-conseil BPA a été mandatée pour réaliser les systèmes mécanique/électrique et plomberie de ce bâtiment d’un peu plus de 1 600 m2 qu’on souhaitait performant sur le plan énergétique. Pour son système de chauffage, la géothermie a d’abord été envisagée, mais le sol meuble et très escarpé aurait engendré des coûts faramineux. Heureusement, un bassin d’épuration situé à 200 m du site a permis aux ingénieurs de s’en servir à son plein potentiel en l’utilisant pour chauffer et climatiser le bâtiment.

 

Hydrothermie des eaux usées

À l’instar de l’hydrothermie, la cloacothermie puise l’énergie dans l’eau. La différence ? L’hydrothermie s’applique avec les lacs ou les rivières, tandis que la cloacothermie puise l’énergie dans un bassin d’eaux usées. À priori, cette particularité ne semble pas changer grand-chose. Et pourtant !

 

Travailler avec les eaux usées implique des facteurs d’encrassement différents. « Si l’échangeur est sale, il y a moins d’échange thermique, voire plus du tout. De plus, dans le bassin, des mouvements d’eau créés par des compresseurs d’air servent à l’aération de celui-ci. Ces mouvements d’eau aident aussi à l’échange thermique. Ce sont des choses qui étaient plus difficiles à évaluer et qui n’existent pas dans l’hydrothermie classique », détaille Dominic Latour, ingénieur et président-directeur général chez BPA. Pour le fonctionnement du système, deux tuyaux (un pour l’aller et un pour le retour) dans lesquels circule du glycol permettent le transport d’énergie entre le bassin et le bâtiment. À l’intérieur de celui-ci, des systèmes de récupération de l’énergie extraient la chaleur de l’eau pour la transporter dans le bâtiment l’hiver ou, au contraire, pour la rejeter dans le bassin l’été.

 

Dominic Latour, ingénieur et président-directeur général chez BPA. Crédit : BPA

 

L’équipe a d’abord travaillé avec une technologie qui était davantage éprouvée pour l’aménagement des échangeurs dans le bassin. Mais les équipements étaient extrêmement chers et leur délai de livraison s’avéraient trop longs. « Nous avons donc refait des analyses et nous avons opté pour des serpentins de tuyauterie qui ont été descendus dans le bassin », indique Dominic Latour. Le hic ? Comme cet équipement n’est pas destiné pour ce genre de pratique, peu d’informations techniques étaient disponibles de la part du fournisseur. « Nous avons donc dû refaire des calculs pour voir quel serait le niveau d’échange thermique avec ces équipements-là qui sont moins coûteux, mais pour lesquels nous n’avions pas de données. » Ainsi, un total de douze serpentins ont été installés dans le bassin. « Nous regardons l’échange de chaleur pour voir si cela fait une différence, en plus de ne pas les avoir positionnés à la même place dans le bassin pour vérifier comment ce système va évoluer », souligne Alexandre Latour, ingénieur et président d’Équipe Laurence. Le bassin — ou l’étang aéré — qui mesure 40 m sur 90 m peut paraître grand, mais en réalité, celui-ci ne dessert qu’environ 300 maisons à Sainte-Adèle. « C’est ce qui nous fait dire qu’il y a du potentiel pour développer ça ailleurs au Québec, parce que des étangs comme ça, il y en a des bien plus gros ailleurs », indique Dominic Latour.

 

Risques et incertitudes

Comme le système n’avait jamais été éprouvé par d’autres auparavant, plusieurs risques et incertitudes pointaient à l’horizon. C’était notamment le cas pour le retrait des douze serpentins installés dans l’étang lors de la période de vidange des eaux usées exécutée par la Ville. « Il ne fallait pas qu’ils soient dans le fond, parce qu’on ne veut pas qu’ils soient accotés dans le solide, et on ne veut pas qu’ils flottent à la surface parce que l’hiver, en haut du bassin, il y a de la glace », explique Alexandre Latour. Il fallait ainsi être capable de supporter les serpentins entre deux eaux sans trop avoir d’impact sur les infrastructures municipales et en s’assurant que la désinstallation sera efficace. Un système de câbles a donc été conçu pour permettre aux serpentins de se maintenir au niveau voulu. « Il n’y a rien de fixe dans l’étang, donc il faut les faire flotter à l’aide des câbles et les enlever un après l’autre pour les traîner sur le côté », précise Alexandre Latour.

 

Alexandre Latour, ingénieur et président d’Équipe Laurence. Crédit : Altinoa Photographie

 

Lors de la vidange, le système de chauffage n’est donc plus fonctionnel. Pour cette raison, entre autres, le système électrique a été dédoublé. « Nous avons quand même une chaudière électrique et un chauffage en back-up, au cas où ça ne fonctionnerait pas l’hiver », précise le président d’Équipe Laurence. Malgré les -40 degrés Celsius que le Québec a connu l’hiver dernier, Équipe Laurence n’a pas eu besoin d’avoir recours à son système électrique. En puisant de la chaleur dans l’étang, le chauffage consomme 70 pour cent moins d’énergie qu’un système électrique résistif.

 

Un bassin d’épuration situé à 200 mètres du bâtiment permet de chauffer et de climatiser ce dernier. Crédit : Équipe Laurence

 

Sur le plan mécanique, Dominic Latour souligne que tout ce qui concernait l’échange thermique était une source de stress. Plusieurs facteurs — difficiles à considérer — devaient être pris en compte, notamment l’encrassement des tuyaux et la température du bassin. « L’échange thermique de ce tuyau de plastique n’est pas tellement bien répertorié parce que ça ne sert pas à ça. Plusieurs variables inconnues nous empêchaient de savoir si tout allait marcher et combien il fallait mettre de serpentins. » Après toutes ces tergiversations, l’équipe de travail croyait cependant avoir pensé à tout. Puis, l’hiver dernier, l’Hôtel Mont Gabriel, le plus important émetteur d’eaux usées dans l’étang, a été la proie des flammes. « L’hiver, il doit rejeter le tiers de ce qui s’en va dans l’étang », souligne Alexandre Latour. Le système a toutefois été performant, et ce, avec le plus petit débit.

 

Cette technologie a d’ailleurs permis à Équipe Laurence et BPA de mettre la main sur le grand prix Léonard, dans la catégorie Bâtiment mécanique-électrique, lors des Grands Prix du génie-conseil québécois de l’Association des firmes de génie-conseil du Québec.

 

UNE ENTENTE AVEC LA VILLE

Après avoir eu l’idée d’utiliser les rejets d’eaux usées pour chauffer son bâtiment, Équipe Laurence a dû s’entendre avec la Ville afin que celle-ci donne son aval au projet. L’entreprise a obtenu une servitude qui lui permet d’implanter ses infrastructures sur le terrain de la Ville. Une entente écrite a également été signée. Pour montrer sa bonne volonté et faire profiter la communauté de son innovation, Équipe Laurence remet chaque année de l’argent à un OBNL de Sainte-Adèle.