Retour sur les Lab-Écoles : un laboratoire qui fait école

14 novembre 2024
Par Elizabeth Pouliot

L’aventure des Lab-Écoles tire à sa fin. Retour sur cette initiative avec Pierre Thibault, l’un de ses trois instigateurs, et les portraits de deux projets réalisés à Rimouski et à Québec.

Architecte de renommée internationale, Pierre Thibault a plusieurs livres à son actif, dont Et si la beauté rendait heureux, écrit en collaboration avec l’éditeur François Cardinal, alors journaliste. La recherche réalisée pour rédiger cet ouvrage mène les deux hommes à Copenhague, où ils sont époustouflés par une école. « En sortant, on s’est demandé si on avait rêvé », se remémore l’architecte. « Le bonheur était palpable. On voyait un milieu de vie où les enseignants, les parents, les enfants baignaient avec aisance dans la nature et la lumière avec une acoustique et un mobilier réfléchis. » Les deux hommes en rendent compte dans leur ouvrage, vendu à plus de 20 000 exemplaires.

 

Ce succès vaut à Pierre Thibault d’être convié à l’émission Tout le monde en parle. Son souhait de voir naître de meilleures écoles au Québec trouve écho. L’architecte reçoit plusieurs messages à la suite de son passage à la télévision de Radio-Canada dont un de Pierre Lavoie. Cet athlète et entrepreneur social lui indique avoir la même vision que lui pour les écoles québécoises. Les deux hommes s’allient et décident de former un trio en allant chercher Ricardo Larrivée. « On s’est dit que chacun serait porteur d’un aspect : moi, le milieu physique; Ricardo, l’alimentation; et Pierre, l’activité physique; le tout avec le but ultime d’augmenter la réussite éducative des jeunes. »

 

Pierre Thibault, architecte. Crédit : Pierre-Ulric Gagné

 

Le trio, travaillant d’ailleurs bénévolement depuis le début, définit son projet : un laboratoire formé d’une équipe agile et rassembleuse qui ira chercher les expertises les plus pointues dans tous les domaines concernés et qui deviendra un agrégateur de forces vives qui travailleront à bonifier l’environnement scolaire. Une rencontre avec le ministère de l’Éducation s’ensuit, et le Lab-École était né.

 

Projets innovants cherchent employés motivés

Les 70 centres de services scolaires (CSS) du Québec sont approchés. On leur expose le projet et on leur demande, s’ils sont intéressés, de présenter une proposition. Une quarantaine de CSS répondent présents et les sept plus motivés sont sélectionnés : Québec, Saguenay, Shefford, Maskinongé, Rimouski, Gatineau et Montréal. L’équipe du Lab-École va à leur rencontre, s’assoyant à la fois avec la direction, les enseignants, les enfants, les parents et des personnes issues de la communauté et de la municipalité afin de développer, « dans le jargon architectural », le programme et d’établir l’aspect unique et singulier de chaque école. En cours de route, le projet de Montréal doit être abandonné, faute de terrain adéquat.

 

Puis, les concours d’architecture, d’abord anonymes, sont lancés simultanément. « Pour six écoles, nous avons reçu 160 propositions de 135 firmes différentes ! C’était un élan de créativité architecturale au Québec sans précédent. Les projets qui arrivaient étaient extraordinaires. Tout le monde a saisi l’importance de renouveler les concepts des écoles », se souvient Pierre Thibault. Il est primordial pour toute l’équipe du Lab-École que les six projets sélectionnés se distinguent entre eux : milieu urbain versus milieu rural; extension versus construction neuve; petite et grande échelles, etc. « On voulait plusieurs cas d’espèce pour montrer que les environnements ont besoin de diversité. On ne peut pas construire la même école pour 200 ou 500 enfants, ni la bâtir de la même façon si elle est sur le bord d’une rivière, dans un pré ou dans un centre-ville. »

 

Laboratoires universitaires

L’école Stadacona, le Lab-École de Québec, en était déjà à sa troisième rentrée scolaire cette année, ayant été inaugurée en août 2022. Maskinongé, Saguenay, Shefford et Rimouski ont aussi ouvert leurs portes. Ne manque plus que Gatineau, qui devrait se terminer à la fin de l’année. Il s’agit d’un agrandissement, ce qui apporte en soi son lot de défis, et, en plus, un aqueduc municipal passant sur le terrain est venu surprendre l’équipe de réalisation.

 

Des étudiants en pédagogie sont néanmoins déjà à l’oeuvre, colligeant les données des cinq Lab-Écoles en fonction. « Ces universitaires font des tests au niveau de la réussite éducative des enfants, des impacts des ruelles d’apprentissage, des espaces gradins, des espaces polyvalents pour manger, des bibliothèques éclatées. On a essayé différentes typologies et on se demande si certaines seront mieux que d’autres pour l’enfant », explique Pierre Thibault. Bâti entre boisé et pré, le Lab-École de Rimouski vient tout juste d’accueillir ses premières cohortes d’élèves, en août 2024. Dans un bâtiment qui baigne dans la lumière naturelle et qui est surmonté d’un toit surdimensionné, petits et grands sont tout simplement émerveillés par la beauté des lieux.

 

Sudhir Suri, architecte sénior principal associé, L’ŒUF Architectes. Crédit : Caroline Corbex

 

« On a implanté le bâtiment à deux étages sur une pente. Ça veut dire qu’à n’importe quel moment, on peut sentir la liberté de sortir. C’est quelque chose d’important pour la région, la connectivité entre la personne et l’extérieur. À l’intérieur, c’est léger, avec le blanc, le bois, les couleurs. Ça respire », révèle Sudhir Suri, architecte sénior principal associé chez L’OEUF Architectes. La cour, déjà adorée des élèves, est en partie protégée, comme elle se trouve à l’intérieur du « C » que forme le bâtiment et qu’elle contient plusieurs préaux, ce qui permet aux enfants d’y jouer beau temps mauvais temps. L’OEUF a oeuvré en collaboration avec Lapointe Magne et associés dans le cadre de la conception et de la réalisation de ce projet scolaire. Le consortium a d’ailleurs grandement apprécié travailler avec le CSS des Phares tout au long du processus, qui a dû être réalisé en partie durant la pandémie de COVID-19.

 

Du côté de Québec, le cas de figure était tout autre. Le mandat ? Construire une nouvelle école là où il s’en trouvait une à déconstruire, et ce, en pleine zone urbaine et dense. Ce projet particulier n’a pas découlé d’un concours, comme ce fut le cas des cinq autres Lab-Écoles. En partenariat avec l’OBNL, c’est l’architecte Jérôme Lapierre qui a conçu les plans. « C’était un petit terrain, et l’école s’est déployée en verticalité », indique Dany Blackburn, architecte associé chez ABCP Architecture, la firme responsable de la réalisation du projet. Le bâtiment est donc composé de quatre étages hors sol et d’un sous-sol où se trouve le gymnase.

 

Dany Blackburn, architecte associé, ABCP architecture. Crédit : ABCP architecture

 

« Une école verticale, c’est innovant à travers le monde. Et la cour, étant donné qu’elle était petite, s’est déployée sur des toitures. Ça ne s’était jamais vu. » À noter également que l’école Stadacona évolue dans un milieu défavorisé. Il importait aussi pour le Lab-École de démocratiser l’architecture. « Car l’architecture de qualité, c’est pour tout le monde », soutient M. Blackburn.

 

Tirer des leçons

Résidant et travaillant tout près, Pierre Thibault aime bien se rendre de temps en temps à l’école Stadacona. « C’est impressionnant de voir comment la dynamique des enfants, la lumière naturelle, le paysage, les lieux de collaboration, les gradins ont un impact énorme sur la vie des élèves et des enseignants. Ça prenait des gens aussi dynamiques, prêts à innover, à accueillir de nouvelles façons de faire. À travers les années, on s’est retrouvés avec des gens extrêmement motivés qui ont donné beaucoup de leur temps. On a senti leur engouement. On a été les déclencheurs, on a organisé les choses, mais ça s’est fait avec l’énergie incroyable de tous ces acteurs », insiste l’architecte. « Et on peut dire mission accomplie ! » Avec ses Lab-Écoles, l’équipe souhaitait montrer qu’il était possible de sortir du modèle d’école conventionnel. En les concevant, en les construisant, en mesurant l’impact sur la réussite éducative que permettent les environnements innovants, l’OBNL espérait « tirer tout le monde vers le haut comme société ».

 

« L’école de Rimouski, aujourd’hui, est probablement une des meilleures écoles au monde. Ce qu’on avait vu à Copenhague, François Cardinal et moi, on se disait qu’il fallait faire aussi bien ou mieux. On a mis la barre le plus haut possible pour montrer que le Québec peut atteindre le plus haut niveau d’excellence », indique Pierre Thibault.

 

L’architecte, avec Pierre Lavoie et Ricardo Larrivée, d’ailleurs devenus de grands amis, a donc fait oeuvre utile en éducation. Il espère dépasser cette seule sphère et en inspirer d’autres à emboîter le pas. « Est-ce que d’autres personnes pourraient s’inspirer du Lab-École pour changer le processus dans un autre secteur ? Les maisons pour les aînés, les hôpitaux… On est fiers du Lab-École et on souhaite que cet exemple soit repris… même si ça prend une certaine dose de naïveté au départ ! », termine Pierre Thibault.

 

ÉQUIPE DE PROJET

LAB-ÉCOLE DE RIMOUSKI : ÉCOLE DU BOISÉ-DES-PRÉS DU CSS DES PHARES

  • Conception et réalisation en consortium : Lapointe Magne et associés et L’OEUF Architectes
  • Génie civile : Vinci Consultants
  • Génie : Latéral
  • Génie mécanique et électrique : GBI
  • Entrepreneur général : Technipro
  • Architecture de paysage : Pratte Paysage +

 

LAB-ÉCOLE DE QUÉBEC : ÉCOLE STADACONA DU CSS DE LA CAPITALE

  • Conception : Jérôme Lapierre, architecte, en collaboration avec le Lab-École
  • Réalisation : ABCP Architecture
  • Génie civile et en structure : Tetra Tech
  • Génie mécanique et électrique : Pageau Morel et associés
  • Entrepreneur : Dalcon