Tout entrepreneur qui réalise des travaux pour le compte d’autrui est tenu d’agir avec prudence et diligence. Cette obligation incombe non seulement à l’entrepreneur lui même, mais aussi aux salariés à son emploi. Si un salarié manque à cette obligation, l’entrepreneur en tant qu’employeur peut être tenu responsable des conséquences qui en découlent. Ce principe a récemment été appliqué par la Cour supérieure dans la décision La Garantie compagnie d'assurances de l'Amérique du Nord c. Beauchamp, Babin & Ass. inc.
Les faits
Le 13 octobre 2004, Jean-Pierre Lafortune (« le propriétaire ») retient les services de son frère, Guy Lafortune (« Lafortune »), pour exécuter des travaux de réfection dans la salle de lavage de son immeuble. L’immeuble, qui était autrefois doté d’un système de chauffage à eau chaude, est à présent doté d’un système de chauffage électrique. Ce jour-là, le propriétaire et son frère Lafortune sont sur place en compagnie du plombier Patrick Bougie (« Bougie »), préposé de l'entrepreneur en plomberie Beauchamp, Babin & ass. inc. (« Beauchamp Babin »).
Le propriétaire est sur place afin de permettre l’accès à l’immeuble ainsi que pour donner des instructions à Lafortune quant à la réfection de la salle de lavage. Bougie, quant à lui, est sur place pour réparer la toilette de l'appartement situé au sous-sol de l'immeuble, le tout à la suite de l’appel de service fait la veille par le propriétaire.
Dans le cadre de son travail, Bougie remarque que le drain de la toilette est obstrué par une racine et que le plancher de la salle de bain est pourri et devra être réparé. Bougie estime qu’une telle réparation lui permettrait de réinstaller correctement la cuvette de la toilette. Bougie en avise le propriétaire qui demande à son frère Lafortune de venir constater l’état du plancher.
C’est à ce moment que Lafortune suggère à son frère, le propriétaire, d'enlever le meuble-lavabo. Selon Lafortune, sans la présence du meuble-lavabo, les réparations appropriées au plancher seront plus faciles.
Lafortune suggère également que les deux tuyaux passant à travers le meuble-lavabo soient enlevés, tant pour faciliter la réfection du plancher que pour des raisons esthétiques, et demande ainsi à Bougie s’il peut les couper et les enlever. Les tuyaux en question sont de dimensions différentes, le plus haut étant d’un diamètre de 1½ po alors que le plus bas est d'un diamètre de 1¼ po.
Bougie s’enquiert alors auprès du propriétaire, à savoir si l'immeuble possède un système de chauffage à eau chaude. Le propriétaire répond que le système a été enlevé deux ans auparavant et remplacé par un système de chauffage électrique. Ce que le propriétaire omet de mentionner, par contre, c’est que les cuisinières de l'appartement du sous-sol et de celui à l'étage supérieur sont alimentées au gaz.
Bougie se satisfait des dires du propriétaire à l’effet que le système de chauffage à eau chaude ne soit plus actif et avise Lafortune qu’il peut procéder au sectionnement des tuyaux. Bougie n’a jamais vérifié l’origine ou la fonction des tuyaux en question avant de donner son approbation afin que ces derniers soient coupés.
Malheureusement, l’un des deux tuyaux sectionnés est une conduite de gaz et un violent incendie s’ensuivit, détruisant l’appartement au sous-sol de l’immeuble et causant des dommages de l’ordre de 125 000 $.
L’assureur du propriétaire débourse le montant réclamé et, parce qu’il se trouve subrogé dans les droits de ce dernier, poursuit Beauchamp Babin, l’employeur de Bougie devant la Cour supérieure.
La décision du tribunal
La Cour est sévère à l’endroit de Bougie en lui rappelant qu’à titre de plombier il se devait d’agir avec prudence et diligence et de se conformer aux règles de l’art de son métier, tel que requis par l’article 2100 du Code civil du Québec, lequel se lit comme suit :
2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.
La prudence et la diligence exigent de vérifier l’origine d’un tuyau avant d’autoriser son sectionnement. Bougie étant le professionnel sur place le matin du 13 octobre 2004, le propriétaire et Lafortune s’adressent à lui avant de couper les tuyaux. Bougie, donc, ne pouvait se satisfaire uniquement des déclarations du propriétaire quant à l’origine ou à la fonction des tuyaux car le propriétaire n’a aucune compétence en plomberie.
Beauchamp Babin tente de s’en sortir en plaidant que le mandat de Bougie ce matin-là consistait uniquement à remplacer une toilette défectueuse et non pas de sectionner les tuyaux en question. Ainsi, estime Beauchamp Babin, ni son employé ni elle-même ne peuvent être tenus responsables des conséquences de l’opération qui a mal tourné.
La Cour écarte ces arguments pour deux motifs. Premièrement, le travail de sectionnement de la conduite s’est avéré nécessaire à l’installation correcte de la cuvette de la toilette et, par conséquent, le sectionnement des tuyaux qui fut approuvé par Bougie faisait partie du mandat de celui-ci. Deuxièmement, la Cour est d’avis que Bougie aurait dû s'abstenir de donner son opinion sur l'opportunité de sectionner les tuyaux s’il estimait que le travail de leur sectionnement n'entrait pas dans le cadre de son mandat. Ainsi, en autorisant la coupure de la conduite sans faire les vérifications appropriées, Bougie a commis une faute qui engage tant sa responsabilité que celle de son employeur.
L’action de l’assureur du propriétaire est donc accueillie et Beauchamp Babin est condamnée à lui payer la somme de 125 000 $ plus intérêts.
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