Un appel d’offres de la RAMQ battu en brèche : les leçons à en tirer

24 juillet 2012
Par Me Mathieu Turcotte

Le gouvernement a mis en place, en 2008, une structure législative et réglementaire visant à uniformiser les pratiques des différents ministères et organismes publics en matière d’appel d’offres. C’est ainsi qu’est entrée en vigueur la Loi sur les contrats des organismes publics et ses règlements.

 

Les règlements édictés en vertu de cette loi prévoient ainsi la procédure, les exigences et les possibilités offertes dans le cadre d’appels d’offres pour des contrats de construction, mais également des contrats de service et d’approvisionnement. C’est donc un code complet de l’appel d’offres qui a été adopté et qui fait couler beaucoup d’encre depuis lors.

 

Une décision rendue au printemps dernier, dans le dossier Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, nous éclaire particulièrement sur les règles à respecter en matière de contrat d’approvisionnement avec un organisme public. Cette cause met en lumière un appel d’offres lancé en 2011 et portant sur la fourniture de fauteuils roulants et autre matériel de nature médicale.

 

Un contrat à commandes

Orthofab, un important fournisseur de fauteuils roulants auprès de la RAMQ depuis près de 25 ans, soumissionne sur 14 catégories de produits sur les 28 qui font l’objet d’un appel d’offres de la RAMQ. Cet appel d’offres vise l’octroi de contrats à commandes, tel que prévu au Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics pour les cas où des besoins sont récurrents et que la quantité de biens, le rythme ou la fréquence de leur acquisition sont incertains.

 

Bien qu’ayant été identifié comme le plus bas soumissionnaire dans les 14 catégories, Orthofab n’obtient des contrats que dans quatre d’entre elles. S’ensuit des procédures en injonction instituées dans les jours qui suivent, dans le cadre desquelles des ordonnances de sauvegarde sont rendues par la Cour pour surseoir à l’attribution des contrats au deuxième plus bas soumissionnaire. Les parties se retrouvent rapidement à débattre de la légalité de la position de la RAMQ dans le cadre d’une injonction interlocutoire, procédure intérimaire, mais dont les effets auront un impact jusqu’à jugement final.

 

Orthofab allègue que le processus d’appel d’offres est nul parce que contraire au règlement, en plus de comporter des critères à ce point imprécis qu’il en devient arbitraire. Principalement, l’entreprise conteste la légalité de l’exigence d’analyse de conformité pratique du matériel, aussi appelée banc d’essai, et prétend qu’une telle étape n’est pas permise dans le cadre de contrats à commandes.

 

La Cour supérieure, pour répondre à cet argument, procède à décortiquer le règlement applicable et rappelle que, outre l’appel d’offres classique basé sur un prix global forfaitaire, les organismes publics ont l’opportunité de s’approvisionner en biens selon deux types de contrats, soit le contrat à commandes, utilisé dans le présent cas, et le contrat adjugé à la suite d’une évaluation de la qualité.

 

Ces contrats répondent à des exigences très différentes l’un de l’autre et seuls les contrats adjugés à la suite d’une évaluation de la qualité peuvent faire l’objet d’un exercice de pondération qualitative. Le Règlement prévoit par exemple, dans ce cas, que l’évaluation peut porter sur l’atteinte d’un niveau minimal de qualité, ou encore être fondée sur une mesure du niveau de qualité en fonction de critères prédéterminés, suivie d’un calcul du rapport qualité-prix.

 

Cet exercice qualitatif reste cependant une exception au principe établi à l’art. 10 du Règlement, qui prévoit qu’un « organisme sollicite uniquement un prix pour adjuger un contrat d’approvisionnement. » Selon la Cour, ce principe général s’applique pleinement aux contrats à commandes, si bien que ces derniers ne peuvent faire l’objet d’une pondération qualitative, sauf en cas de dérogation obtenue du ministre responsable. Le Tribunal cite à cet effet avec approbation une opinion émise par le Secrétariat du Conseil du Trésor dans un bulletin d’interprétation spécifique intitulé Contrat à commandes et analyse qualitative.

 

La Cour résume ainsi les règles applicables en vertu du Règlement sur l’approvisionnement :

«

  • L’organisme doit procéder à l’appel d’offres soit pour un contrat à commandes, soit pour un contrat adjugé à la suite d’une évaluation de la qualité ;
  • L’organisme a la possibilité, avant de lancer un appel d’offres pour un contrat à commandes, de procéder à l’homologation de biens pour s’assurer de leur conformité à des normes reconnues ;
  • En principe, l’organisme sollicite uniquement un prix ;
  • Par exception, et seulement pour le contrat adjugé à la suite d’une évaluation de qualité, il peut décider d’évaluer la qualité ;
  • Dans le cadre d'un appel d'offres pour un contrat à commandes, rien dans le règlement ne permet à un organisme de requérir les biens, de les examiner et de les évaluer. »

 

Fort de cette interprétation du Règlement, la Cour conclut que le droit réclamé par Orthofab par injonction est sérieux, et elle procède à l’analyse des autres critères, notamment l’existence d’un dommage irréparable en cas de rejet de la demande. Évaluant la perte du chiffre d’affaires de l’entreprise à environ 60 %, la Cour octroie l’injonction interlocutoire et ordonne à la RAMQ de surseoir au processus d’appel d’offres.

 

Au-delà de ce qui précède, la Cour donne également raison à Orthofab sur l’aspect de l’imprécision du devis, qui prévoyait, en plus des critères spécifiques énoncés au document, que les appareils fournis devaient être « sécuritaires, de bonne qualité, solides et robustes ».  De tels critères, énonce la Cour, sont tellement généraux et imprécis qu’ils en deviennent arbitraires et ne peuvent être utilisés dans le cadre d’une analyse de conformité.

 

Ce jugement est non seulement intéressant en ce qui a trait aux règles applicables aux appels d’offres en matière d’approvisionnement, mais également parce qu’il s’inscrit dans une mouvance de plus en plus forte des tribunaux consistant à accorder des injonctions à l’encontre de processus d’appel d’offres, alors que la jurisprudence classique en la matière limitait généralement les recours à l’octroi de dommages a posteriori.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Mathieu Turcotte à mturcotte@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 875-5210.

Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 17 juillet 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !