Les règles sont désormais bien connues : le donneur d’ouvrage doit traiter les soumissionnaires équitablement et sur un pied d’égalité ; et la soumission retenue doit être substantiellement conforme à l’appel d’offres, bien qu’elle n’ait pas à être conforme en tout point sur les éléments secondaires. Ainsi, alors qu’une irrégularité majeure entraîne le rejet automatique de la soumission, le donneur d’ouvrage jouit d’une discrétion en présence d’une irrégularité mineure.
Malheureusement, comme le soulignait récemment un juge dans une affaire de Ville de Rimouski c. Les Structures GB ltée , il est difficile de trouver un fil conducteur à travers les décisions de nos tribunaux puisque chacune s’appuie sur les faits particuliers du dossier. Le facteur déterminant ? L’irrégularité ne doit pas avoir un effet sur le prix de la soumission ou sur une exigence de fonds prévue à l’appel d’offres.
Les faits et le jugement de première instance
Dans cette affaire opposant Ville de Rimouski à Structures GB, la Cour d’appel devait qualifier l’irrégularité résultant du fait que le montant du cautionnement de soumission ne satisfaisait pas les exigences des documents d’appel d’offres. Ceux-ci requéraient le dépôt d’une garantie de soumission pour un montant de 150 000 $. Par contre, le texte quelque peu ambigu des instructions aux soumissionnaires permettait de croire, si la garantie prenait la forme d’un cautionnement, que celui-ci devait correspondre à 10 % de la valeur du contrat.
Structures GB, dont la soumission s’avèrera être la plus basse, a déposé un cautionnement de soumission pour un montant correspondant à 10 % du prix de sa soumission, soit un écart négatif de 9 500 $ par rapport aux exigences. La municipalité conclut à la non-conformité de la soumission de Structures GB pour cette raison et octroie le contrat au 2e plus bas soumissionnaire.
Structures GB réclame à la municipalité sa perte de profits anticipés, au motif que Ville de Rimouski avait l’obligation d’accepter sa soumission, la plus basse, malgré l’insuffisance du montant de son cautionnement, une irrégularité mineure selon elle, d’ailleurs corrigée avant l’octroi du contrat. La Cour supérieure lui donne raison, concluant que la municipalité avait fait preuve d’une rigidité excessive qui servait mal l’intérêt de la collectivité.
La décision de la Cour d’appel
Dans un jugement rendu le 8 février dernier, la Cour d’appel s’est penchée sur les deux questions suivantes : (1) L’insuffisance du cautionnement de soumission constituait-elle une irrégularité majeure ou mineure ? (2) Si l’irrégularité n’était que mineure, la municipalité avait-elle la discrétion de rejeter la soumission alors qu’elle était la plus basse ?
Sur la première question, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et conclut comme suit en l’absence d’une clause soulignant l’importance du montant du cautionnement ou précisant que toute dérogation dans le montant entraînera le rejet de la soumission : le montant du cautionnement, par opposition au cautionnement lui-même, ne constitue pas une exigence essentielle. Il faut souligner que l’insuffisance du montant de la garantie était telle (moins de 10 000 $, tout comme dans deux autres affaires sur lesquelles la Cour d’appel s’appuie) que l’objectif recherché par l’exigence d’une garantie de soumission était atteint, à savoir empêcher les soumissions pouvant manquer de sérieux, s’assurer de l’engagement du soumissionnaire et protéger le donneur d’ouvrage dans le cas contraire.
Sur la seconde question, la Cour d’appel rejette l’opinion du juge de première instance. Selon celui-ci, la municipalité avait l’obligation, vu le caractère mineur de l’irrégularité, d’accepter la soumission de Structures GB puisque celle-ci était la plus basse et que l’intérêt public dictait ce choix. La Cour d’appel conclut au contraire que le donneur d’ouvrage conserve sa discrétion de ne pas octroyer le contrat au soumissionnaire dont la soumission comporte une irrégularité, même si celle-ci n’est que mineure et même s’il s’agit de la soumission la plus basse. Ainsi, si une municipalité peut accepter une soumission non conforme pour cause d’irrégularité mineure, elle n’en a pas l’obligation de principe. L’un des juges de la Cour d’appel souligne que, même si la thèse de Structures GB « est séduisante puisqu’elle vise à obtenir le meilleur prix pour les contribuables », le fait de retirer toute discrétion aux municipalités aurait pour conséquence de faire intervenir les tribunaux de plus en plus fréquemment pour déterminer si une irrégularité est mineure ou non, ce qui n’est pas leur rôle et risquerait de multiplier les procédures judiciaires.
Par contre, là s’arrête l’unanimité des trois juges en appel, qui sont dès lors confrontés à la question suivante : Étant maintenant acquis que Ville de Rimouski conservait la discrétion de ne pas octroyer le contrat à Structures GB, a-t-elle exercé cette discrétion de bonne foi et dans le respect intégral de l’égalité entre les soumissionnaires ?
Deux des trois juges concluent que Ville de Rimouski n’a pas traité les soumissionnaires sur un pied d’égalité. L’architecte agissant pour Ville de Rimouski avait constaté que les 2e et 3e plus basses soumissions incluaient toutes deux une proposition d’un sous-traitant qui comportait certaines exclusions de travaux pourtant exigés par le devis. Or, l’architecte, plutôt que de rejeter ces deux soumissions, avait choisi de communiquer avec les deux soumissionnaires concernés pour qu’ils fournissent par écrit un engagement à respecter formellement la totalité des exigences des plans et devis indépendamment de la proposition du sous-traitant. En agissant ainsi, nous dit le juge qui écrit pour la majorité, Ville de Rimouski a fait preuve d’une grande souplesse, alors qu’elle a au contraire manifesté un rigorisme surprenant en ce qui concerne le plus bas soumissionnaire. Si la municipalité était prête à permettre à deux des soumissionnaires de clarifier leur soumission, elle devait accorder la même opportunité à Structures GB. À défaut, on ne parle plus de l’exercice légitime de la discrétion, mais plutôt d’un exercice arbitraire de cette discrétion, qui transgressait deux principes de base qu’elle devait pourtant respecter, soit celui de l’égalité entre les soumissionnaires et celui de l’octroi du contrat au plus bas soumissionnaire.
Conclusion
L’on peut donc retenir trois enseignements de cet arrêt récent de la Cour d’appel :
1. Sauf indication contraire dans les documents d’appel d’offres relativement à l’importance du montant précis de la garantie de soumission, l’insuffisance du montant de la garantie fournie, causée par une erreur de bonne foi du soumissionnaire, sera qualifiée d’irrégularité mineure par les tribunaux, dépendant probablement, selon nous, de l’ampleur de la valeur manquante.
2. En présence d’une irrégularité mineure, le donneur d’ouvrage peut accepter une soumission non conforme, mais il n’en a pas l’obligation même s’il s’agit de la plus basse soumission. Il conserve sa discrétion d’opter pour une approche rigoriste et d’octroyer le contrat à un autre soumissionnaire dont la soumission est conforme.
3. Par contre, dans l’exercice de sa discrétion, le donneur d’ouvrage doit agir de bonne foi et respecter le principe voulant qu’il traite les soumissionnaires équitablement et sur un pied d’égalité.
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