Il est possible que ce titre vous soit familier. Notre chronique du 3 août 2017, rédigée par ma collègue Me Anik Pierre-Louis, portait le titre suivant : « Appel d’offres : un prix unitaire trop bas ne justifie pas le rejet d’une soumission ». Cette chronique traitait de la décision rendue par la Cour supérieure dans l’affaire Entreprise TGC c. Municipalité de Val-Morin[1].
La chronique de ma collègue se concluait par une mise en garde, puisque cette affaire avait été portée en appel. La présente chronique en constitue donc la suite. Étant donné son titre, vous aurez compris que la Cour d’appel[2] a infirmé la décision de première instance.
Rappel des faits
TGC avait répondu à deux appels d’offres lancés en 2010 par la Ville de Val-Morin pour la réfection de rues et d’infrastructures. Bien que les soumissions de TGC se soient avérées les plus basses au moment de l’ouverture des soumissions, elles ont été déclarées non conformes en raison de la présence de prix non proportionnés pour certains items du bordereau de soumission.
Le juge de première instance, après avoir entendu les explications du représentant de TGC sur les raisons expliquant la présence de prix à 0,01 $ pour certains items du bordereau, conclut que ces explications étaient valides et qu’elles auraient dû satisfaire la Ville. De plus, le juge note que le soumissionnaire qui s’est vu adjuger le contrat semblait également avoir soumis des prix bien en deçà des prix du marché. Ainsi, l’exigence de prix proportionnés ne semblait pas être si importante pour la Ville. Finalement, le juge de première instance ne retient pas l’argument du représentant de la Ville selon lequel il est important d’obtenir des prix proportionnés afin d’avoir une base de comparaison entre les soumissionnaires et surtout afin d’éviter des couts trop élevés lors de dépassement des quantités et lors de demandes d’extras.
La Cour accueille donc le recours de TGC et conclut que la Ville aurait dû lui octroyer le contrat. Selon le témoignage du représentant de TGC, ce défaut a occasionné une perte de profit de 372 529,41 $, soit 15 % de la valeur de sa soumission représentant le pourcentage de « profits et administration » ajouté aux couts directs de sa soumission.
En appel
Tel qu’il a été mentionné dans notre introduction, la Cour d’appel a infirmé la décision de première instance. Elle a notamment conclu que TGC n’avait pas fait la preuve de sa perte de profit. La Cour rappelle également le principe selon lequel la valeur du dommage doit représenter le profit que l’entrepreneur aurait tiré de facto de l’exécution du contrat dont il a été privé et non du profit qu’il espérait réaliser. La Cour d’appel réitère l’importance de faire une preuve probante et admissible de cette perte.
Or, la Cour d’appel conclut que, dans ce dossier, la preuve de perte de profit était insuffisante. TGC n’a notamment pas fait la preuve du pourcentage de « profit » versus le pourcentage « d’administration » inclus dans les 15 %. Bien que la Cour soit d’avis qu’il n’est pas nécessaire que la preuve de perte de profit se fasse sur la base des états financiers vérifiés, une preuve crédible doit tout de même être présentée, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire. La Cour est d’avis que ce simple défaut s’avère suffisant pour infirmer le jugement de première instance.
Malgré tout, la Cour se prononce aussi sur la responsabilité de la Ville quant à sa décision de déclarer non conformes les soumissions de TGC. La Cour est d’avis que la Ville est justifiée d’exiger des prix proportionnés afin de se protéger contre des risques de couts trop élevés lors d’extras. De plus, des prix anormalement bas pourraient s’avérer un indice de collusion et la Ville était donc justifiée de prévoir des mesures visant à empêcher une telle pratique. Le texte des documents d’appels d’offres était clair et le langage impératif utilisé quant à l’obligation de produire une soumission contenant des prix proportionnés démontre que cette exigence constituait une condition essentielle des documents d’appels d’offres.
Finalement, les explications fournies par le représentant de TGC ne peuvent avoir pour effet de valider cette non-conformité. La Cour réitère qu’au moment où la Ville analyse la conformité des soumissions, elle le fait sur la base des seules informations transmises par les soumissionnaires. Le juge de première instance a commis une erreur en considérant les explications fournies par le représentant de TGC après l’analyse des soumissions.
La Cour infirme donc le jugement de première instance et rejette le recours de TGC.
En regard des faits propres à cette affaire, la Cour d’appel conclut que la production d’une soumission non proportionnée constituait une non-conformité majeure.
Considérant que chaque dossier possède ses propres particularités, il est difficile d’établir un principe général découlant de cette décision. Cependant, cet arrêt réitère le principe bien connu suivant lequel il appartient à l’entrepreneur qui prétend avoir été privé d’un profit de faire la preuve de ce profit manqué.
1. Entreprise TGC c. Municipalité de Val-Morin, 2017 QCCS 2616
2. Municipalité de Val-Morin c. Entreprise TGC inc., 2019 QCCA 405
Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre MeYannick Forget par courriel au yforget@millerthomson.com ou par téléphone au 514.905-4216.
Cet article est paru dans l’édition du 28 mai 2019 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.