Le 7 mai 2018, dans l’affaire Hydro- Québec c. Isolation Morissette Ltée, la Cour d’appel du Québec a eu l’occasion de rappeler le principe cardinal de l’effet relatif des contrats faisant en sorte que, sauf exception, les contrats et les obligations qui en découlent ne s’imposent qu’aux personnes qui y sont parties et ne profitent qu’à elles.
Dans cette affaire, Hydro-Québec, à titre de donneur d’ouvrage, et Alstom, en qualité d’entrepreneur général, ont obtenu gain de cause dans leur démarche judiciaire visant à renverser un jugement de première instance qui les avait condamnés à verser à Isolation Morissette Ltée le montant du solde contractuel que Tuyau-Mec inc., maintenant insolvable, avait fait défaut de lui payer. Isolation Morissette Ltée était sous-traitant de Tuyau-Mec inc. et cette dernière était elle-même sous-traitant d’Alstom. Il n’existait donc aucun lien de droit contractuel direct entre Isolation Morissette et Hydro-Québec ou même Alstom.
En dépit de ce fait, la juge de première instance avait retenu la responsabilité d’Hydro-Québec et d’Alstom parce qu’elle avait considéré que le contrat entre Alstom et Hydro-Québec comportait une stipulation pour autrui en faveur des sous-traitants. De plus, pour la première juge, le fait pour Hydro-Québec et Alstom d’avoir permis que Tuyau-Mec reçoive paiement sans qu’elles ne s’assurent du fait qu’Isolation Morissette avait elle-même été payée constituait de leur part une faute extracontractuelle engageant leur responsabilité face à Isolation Morissette.
Dans son arrêt, la Cour d’appel va entièrement rejeter les conclusions du premier jugement. Elle le fera d’abord en rappelant que l’existence d’une stipulation pour autrui dans un contrat entre deux parties impose qu’il y soit contenu un engagement explicite d’un promettant à procurer un avantage à un tiers bénéficiaire. En l’occurrence, une telle stipulation n’a pas été retracée par la Cour dans l’ensemble des conditions contractuelles prévalant entre Hydro-Québec et Alstom, conditions dont plusieurs avaient trait aux modalités de paiement. À cet égard, il importe de noter que le fait pour Hydro-Québec de stipuler des exigences à l’endroit d’Alstom à l’égard de la remise de quittances de ses sous-traitants n’a pas été considéré comme étant de la nature d’un engagement d’Hydro-Québec ou d’Alstom à payer elles-mêmes un sous-traitant en cas de non-paiement. La possibilité d’exiger remise des quittances des sous-traitants est décrite par la Cour d’appel comme un droit dont Hydro-Québec peut se prévaloir et non comme la source d’une obligation quelconque à sa charge au bénéfice des sous-traitants et sous-sous-traitants.
Par ailleurs, en ce qui a trait à l’existence de la responsabilité extracontractuelle liée au paiement d’Isolation Morissette, pour que cette responsabilité ait pu exister, la Cour d’appel rappelle que certaines conditions devraient être établies. En effet, pour qu’un manquement à un contrat entre des parties soit de nature à engager leur responsabilité envers un tiers, il faut que le contrat stipule une obligation à la charge d’une partie dont le non-respect aurait pu porter préjudice au tiers. Or, une telle obligation n’existait pas en l’espèce.
Selon ce qu’alléguait Isolation Morissette, le manquement d’Hydro-Québec et d’Alstom à son endroit aurait résidé dans le fait qu’elles avaient permis que Tuyau-Mec inc. reçoive paiement sans que cette dernière leur procure une quittance obtenue d’Isolation Morissette. Or, aucune obligation explicite du contrat entre Hydro-Québec et Alstom n’énonçait une obligation d’obtenir les quittances des sous-sous-traitants avant que le paiement d’un sous-traitant soit effectué. Par conséquent, en l’absence de manquement à une disposition contractuelle, la base de l’éventuelle responsabilité extracontractuelle à l’endroit du tiers était inexistante.
Conclusion
L’affaire Hydro-Québec contre Isolation Morissette constitue un rappel brutal des restrictions qu’impose le droit des contrats au désir d’un entrepreneur de se faire payer par une autre partie à la chaîne contractuelle lorsque son cocontractant direct se trouve dans l’incapacité de payer. De plus, ce jugement démontre à quel point la preuve de l’existence d’un régime d’exception à l’effet relatif des contrats comporte des exigences strictes qui sont rarement rassemblées et ce, malgré que les termes du contrat puissent comprendre des éléments qui inciteraient à croire le contraire.
Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Jasmin Lefebvre par courriel à jlefebvre@millerthomson.com
Cet article est paru dans l’édition du mardi 29 mai 2018 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.