Il est fréquent de trouver dans les documents d’appel d’offres des clauses par lesquelles les propriétaires se réservent le droit de n’accepter ni la plus haute ni aucune des soumissions déposées. Ces clauses, dites « clauses de réserve », permettent en théorie d’annuler un appel d’offres dans le cas, par exemple, où les soumissions reçues ne sont pas conformes, ou encore lorsqu’elles débordent du budget prévu.
De façon similaire, les documents d’appel d’offres comportent parfois des « clauses d’exonération », par lesquelles les propriétaires tentent de se mettre à l’abri d’un recours éventuel qui pourrait être exercé par un soumissionnaire s’estimant lésé dans le cadre de l’octroi d’un contrat. Ces clauses ont été validées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tercon Contractors rendu en 2010, mais avec d’énormes réticences et dans le cadre d’un jugement très partagé.
Bref, si les clauses de réserve et d’exonération sont légales, elles n’en sont pas pour autant bien vues des tribunaux, qui de tout temps les ont interprétées restrictivement, et qui n’ont pas hésité à les écarter en cas d’ambiguïté ou de résultat abusif. Il faut dire que ces clauses, bien souvent, heurtent de plein fouet les principes établis de bonne foi et d’équité entre les soumissionnaires.
La décision Groupe Norplex inc. c. Commission scolaire de la Capitale, rendue par le juge Barakett de la Cour supérieure plus tôt cette année, illustre bien les limites importantes des clauses de réserve et la fausse protection qu’elles véhiculent parfois.
La vente d’une école
La Commission scolaire de la Capitale, qui a amorcé un processus de réorganisation des écoles primaires du Vieux-Limoilou au cours des années 2000, a émis l’intention, en 2006, de procéder à la vente de l’école Stadacona et compte utiliser le fruit de cette vente pour construire une nouvelle école dans un autre secteur de son territoire. Une telle vente est assujettie au Règlement sur les normes, les conditions et la procédure d’aliénation d’un immeuble d’une commission scolaire, qui prévoit notamment une procédure d’appel d’offres public de même que la nécessité d’une autorisation ministérielle pour une vente en deçà de la valeur de l’immeuble.
Avant le dépôt de l’appel d’offres, à l’été 2007, un groupe communautaire appuyé par divers élus de la région présente un projet à la Commission visant l’acquisition de l’école pour un prix de 700 000 $, soit la valeur marchande évaluée pour celle-ci, afin de convertir l’école en immeuble de logements sociaux. Cette offre est toutefois refusée par la Commission, qui préfère lancer l’appel d’offres.
Groupe Norplex, un promoteur immobilier, dépose la plus haute offre dans le cadre de ce processus public, soit 1 001 000 $. Le vent semble toutefois tourner au cours de l’hiver, si bien que la Commission finit par annuler l’appel d’offres en mars 2008 en se contentant d’invoquer sa clause de réserve de façon laconique et sans autres explications : « ATTENDU QUE la Commission scolaire entend se prévaloir de son droit de n’accepter aucune des soumissions reçues ; ».
Devant cette déconvenue, Norplex réplique par une action en nullité de la résolution annulant l’appel d’offres et demande à la Cour supérieure de confirmer la conformité de sa soumission.
Les vraies raisons sortent
Poussée à s’expliquer sur la volte-face ayant fait suite à l’appel d’offres, la Commission avance que la valeur de l’offre, supérieure à 1 million $, était néanmoins inférieure à la valeur de l’évaluation municipale pour l’immeuble et qu’elle ne pouvait donc pas procéder à sa vente. Une justification « manifestement déraisonnable et peu crédible » selon le juge, pour qui l’autorisation donnée par le ministre conférait le droit de vendre l’immeuble pour toute somme supérieure à sa valeur marchande estimée à 700 000 $.
De fait, la preuve a plutôt mis à jour des pressions politiques exercées sur la Commission scolaire pour favoriser le projet de logements sociaux au détriment de l’offre du promoteur Norplex, quitte à vendre l’immeuble plusieurs centaines de milliers de dollars moins cher. Pour la Cour, ces pressions sont la véritable raison de l’annulation de l’appel d’offres, contrairement aux motifs invoqués par la Commission au procès.
Se pose alors la question : la clause de réserve permettait-elle à la Commission d’annuler l’appel d’offres dans ces circonstances ? La Cour rappelle que si la Commission peut effectivement mettre un terme au processus et rejeter toutes les soumissions reçues, elle doit néanmoins agir avec diligence, de bonne foi et avoir un motif suffisant pour ce faire : « De plus, il appert que même si la commission scolaire s’est accordée une clause de réserve, elle ne peut tout de même pas invoquer des raisons non pertinentes, arbitraires ou encore futiles pour pouvoir l’appliquer. »
Jugeant que la décision de la Commission ne reposait sur aucun motif valable, la Cour a refusé d’appliquer la clause de réserve et a déclaré nulle la résolution annulant l’appel d’offres. Cette affaire, qui a été portée en appel, est un autre exemple de la sévérité dont les tribunaux font preuve à l’égard de ce type de clause, qui n’offre manifestement qu’une bien mince protection contre les poursuites de la part de soumissionnaires lésés.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à MeMathieu Turcotte par courriel ou au 514 875-5210.
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 30 septembre 2011 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !