L’assujettissement d’une entreprise de construction aux règles du Code du Bureau des soumissions déposées du Québec (BSDQ) peut découler de deux sources distinctes.
Pour les entreprises qui exécutent des travaux relevant de la juridiction exclusive des membres de la Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ) ou de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), cet assujettissement découle des lois qui ont conféré à ces organismes certains pouvoirs et qui obligent ceux qui en sont membres à soumissionner par l’entremise du BSDQ pour les travaux visés par le Code lorsque les conditions d’assujettissement sont satisfaites.
Pour les entreprises qui ne sont pas membres des corporations ci-haut décrites, l’assujettissement découle de la signature de deux engagements de nature contractuelle. Ces engagements sont requis d’une part, de l’entrepreneur spécialisé qui entend soumissionner par le truchement du BSDQ et d’autre part, de l’entrepreneur-destinataire qui perçoit les soumissions des entrepreneurs spécialisés auprès du BSDQ.
Quelle que soit la source de son assujettissement, l’entreprise qui est liée aux règles du BSDQ et qui contrevient à ces règles peut, suivant les circonstances, s’exposer à des amendes ou des peines qui s’établissent à 5% du prix du contrat convoité. Ces amendes ou peines sont susceptibles d’être recouvertes du contrevenant, soit par la CMMTQ, l’ACQ ou la CMEQ, et ce, tout dépendant de la nature des travaux convoités ayant donné lieu à la commission de l’infraction.
À ce recours visant le recouvrement d’amendes, peut toutefois s’ajouter un autre type de recours, soit la poursuite en dommages que les adhérents au régime du BSDQ sont susceptibles de diriger contre les entrepreneurs-destinataires ou entrepreneur-soumissionnaire ayant violé les règles.
Pour avoir gain de cause dans une poursuite en dommages dirigée contre un ou plusieurs entrepreneurs fautifs, l’entrepreneur qui est lésé en raison de la violation d’une règle, doit satisfaire trois conditions, soit prouver : a) la commission d’une faute, en l’occurrence la violation d’une règle du Code du BSDQ ; b) le fait que le soumissionnaire lésé subit des dommages, en l’occurrence une perte de profit ou autre manque à gagner ; et c) la causalité entre la faute commise et les dommages encourus.
S’il est bien établi que les trois conditions qui précèdent doivent coexister pour assurer le succès d’un recours en dommages, il est rare que l’absence de preuve de causalité est discutée devant les tribunaux au point de faire échec à un recours.
Le jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Construction Savite inc. c. Procova inc. rappelle toutefois qu’il faut bien articuler la preuve de causalité entre le dommage subi et la faute reprochée.
Les faits
En 2009, la Ville de Montréal (ci‑après la « Ville ») lance un appel d’offres public pour la réfection de l’enveloppe de la piscine municipale Édouard-Montpetit. En vertu des règles prévues à la Loi sur les cités et villes, la Ville, dans la mesure où elle attribue le contrat, doit le faire en faveur de l’entrepreneur lui ayant acheminé la plus basse soumission conforme ou ayant obtenu le meilleur pointage.
Parmi les travaux faisant partie du contrat de réfection convoité se trouvent des travaux de maçonnerie.
C’est dans ce contexte que les entrepreneurs généraux intéressés à déposer une soumission auprès de la Ville s’adressent au BSDQ pour se voir acheminer les soumissions des entrepreneurs spécialisés en maçonnerie. Parmi les entrepreneurs généraux intéressés se trouvent Procova inc. (« Procova »), Construction Genfor ltée (« Genfor ») ainsi que Trempro Construction inc. (« Trempro »).
À la date de clôture fixée pour recevoir les soumissions des entrepreneurs spécialisés par le truchement du BSDQ, Procova constate qu’un seul entrepreneur spécialisé en maçonnerie lui a destiné une soumission, soit Construction Savite inc. (« Savite »). Le montant de la soumission de Savite est de 491 600 $ plus les taxes pour un total de 554 893,50 $.
La soumission de Savite fut adressée à tous les entrepreneurs généraux intéressés au projet.
Un autre entrepreneur en maçonnerie, à savoir Les Entreprises Denpro inc. (« Denpro »), a également déposé une soumission auprès du BSDQ, ne l’ayant toutefois destiné qu’à un seul entrepreneur général, en l’occurrence Trempro. Le montant de la soumission de Denpro est de 365 000 $ plus les taxes, pour un total de 411 993,75 $.
Finalement, le troisième soumissionnaire en maçonnerie, Les aménagements C.J.P. inc. (« Aménagement CJP »), déposera également une soumission pour le même projet, laquelle soumission est destinée exclusivement à un seul entrepreneur-destinataire, à savoir Genfor.
Avant l’échéance de la date de dépôt des soumissions auprès de la Ville, Procova tentera d’obtenir d’autres soumissions que celle que Savite lui a acheminée. Invoquant les effets de l’article J‑7 du Code du BSDQ, elle demande au BSDQ de lui fournir le nom des entrepreneurs qui ont déposé des soumissions au BSDQ dans la spécialité de maçonnerie.
Avec le concours du BSDQ, cet article permet en effet à une entreprise-destinataire qui n’a reçu aucune ou une seule soumission dans une spécialité destinée, de communiquer auprès des autres soumissionnaires spécialisés ayant déposé une soumission, afin de leur permettre de se raviser et de lui acheminer une soumission.
C’est ainsi que Procova tentera à nouveau, mais sans succès, d’obtenir des soumissions d’Aménagement CJP et de Denpro. Provoca se voit donc contraint de transmettre un avis au BSDQ, indiquant qu’il ne considérera pas les soumissions de ces dernières. Denpro se ravisera cependant et, sans que Procova ni Denpro n’en avisent le BSDQ, Denpro finira par transmettre un prix de soumission à Procova, soit le même qui avait originalement été adressé à l’entrepreneur général Trempro. Aussi, Procova se permettra d’utiliser le prix de Denpro pour produire sa propre soumission qu’il déposera auprès de la Ville.
À l’ouverture des soumissions déposées auprès de la Ville, Procova se classe la plus basse soumissionnaire conforme.
Le contrat lui sera donc attribué. L’écart de prix entre la soumission de Procova et celle de Genfor est toutefois relativement mince, puisque le prix de soumission de Procova s’établit à 1 124 235 $ avec les taxes, alors que celui de Genfor s’établit à 1 137 000 $ incluant les taxes. Ainsi l’écart entre la soumission de Procova et celle du deuxième est de l’ordre de 12 765 $ taxes incluses.
Le litige à trancher
Après avoir constaté que Procova ne lui attribuerait pas le sous-contrat en maçonnerie et que celui-ci serait plutôt accordé à Denpro, Savite intente une poursuite en dommages dirigée contre Procova, en lui réclamant la perte de profit qu’elle aurait réalisé sur le contrat convoité.
Ce sera l’Honorable Juge Donald Bisson qui sera saisi du litige.
Après examen de la preuve, le juge en viendra rapidement à la conclusion que les règles du BSDQ sont génératrices de responsabilité civile et que dans le contexte factuel particulier du dossier, l’acceptation de la soumission de Denpro par Procova constituait une violation des règles du Code du BSDQ équivalant à une faute contractuelle.
Il reconnaît aussi que Savite a su prouver la perte de profit qu’elle eut été en mesure de réaliser, si le sous-contrat lui avait été attribué, à savoir 113 000 $ avant taxes.
Il doit toutefois procéder à une réflexion approfondie sur la question, à savoir s’il y a causalité entre la faute commise et les dommages réclamés. Plus particulièrement, le juge s’interroge, à savoir si Savite a démontré qu’elle a réellement subi un préjudice dans le contexte où il y avait un très faible écart entre le prix séparant le prix de la soumission de Procova et celle de Genfor (12 765 $).
Le juge en viendra à la conclusion que selon la prépondérance des probabilités, si le prix de Savite avait effectivement été utilisé par Procova pour les fins de « confectionner » la soumission que cette dernière adressait à la Ville, la soumission de Procova ne se serait pas présentée comme étant la plus basse soumission conforme et ainsi, Procova n’aurait pas obtenu le contrat, car le prix pour les travaux de maçonnerie proposé par Savite était de plus de 100 000 $ supérieur à celui de Denpro.
Aussi, le juge rejettera la poursuite, estimant que lien causal entre la faute commise et le dommage allégué n’a pas été démontré.
Pour toute question ou commentaire, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteur de cette chronique par courriel à ndamour@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5487.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 4 août 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !