La notion de « fin des travaux » en est une très importante pour ceux qui désirent faire valoir leur droit à l’hypothèque légale. Pour conserver son hypothèque légale, le bénéficiaire est en effet tenu de publier, par voie d’inscription au registre foncier, un avis désignant l’immeuble grevé de l’hypothèque et indiquant le montant de la créance qu’il détient. La publication de cet avis doit être faite avant que ne soit expiré un délai de trente (30) jours après la « fin des travaux ».
De plus, l’hypothèque légale de construction, même publiée, s’éteindra six (6) mois après la « fin des travaux » si le bénéficiaire omet de publier une action contre le propriétaire de l’immeuble ou d’inscrire un préavis d’exercice de droit hypothécaire indiquant quel recours hypothécaire il entend exercer.
Définition de « fin des travaux »
La notion de « fin des travaux » est définie à l’article 2110 du Code civil du Québec.
Cet article prévoit que la « fin des travaux a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine ».
Ainsi, deux (2) conditions sont nécessaires pour décréter qu’il y a « fin des travaux », à savoir :
1. Que les travaux soient complétés;
2. Que la construction soit prête pour l’usage auquel elle est destinée.
Suivant une certaine jurisprudence, les travaux mal exécutés ne sont pas susceptibles de repousser la fin des travaux, alors que l’inexécution de travaux mineurs prévus au contrat original peut reporter la « fin des travaux ».
De plus, en l’absence d’une description précise de l’ampleur des travaux à exécuter, au moyen de plans et devis, la date de la « fin des travaux » correspondra essentiellement à la date à laquelle la construction a été prête pour l’usage auquel elle est destinée. Par contre, lorsqu’il existe des plans et devis auxquels les travaux doivent se conformer, les travaux sont considérés terminés une fois que l’exécution du contrat est intégrale et conforme aux plans et devis.
Ce dernier principe est d’ailleurs énoncé dans un jugement rendu récemment par la Cour supérieure dans l’affaire 9139-0674 Québec inc. c. Les Entreprises Fernando Estevao inc.
Les faits
En 2004, l’entreprise 9139-0674 Québec inc. (le « propriétaire ») fait préparer des plans et devis par un architecte, en vue de construire deux (2) immeubles de cinq (5) condominiums à Sutton.
Le propriétaire demande par la suite à Les Entreprises Fernando Estevao inc. (ci-après « Estevao ») de préparer une soumission pour la construction des condominiums d’après lesdits plans et devis d’architecte.
Les travaux débutent en août 2004, mais déjà vers l’automne de la même année, le budget commence à s’épuiser et, à la fin de janvier 2005, Estevao ne supervise plus le projet, alors que le propriétaire tâche de poursuivre lui-même ce travail. Il maintient toutefois de bonnes relations avec Estevao, afin d’éviter de compromettre le projet. Entre les mois de février et avril 2005, il n’y aucune activité sur le chantier.
Lorsque les travaux reprennent sur le chantier, Estevao y retourne à quelques reprises ainsi que plusieurs de ses sous-traitants, pour y effectuer divers travaux. Estevao continuait à recevoir leurs factures, mais le propriétaire en assumait le paiement.
Divers travaux sont réalisés à différentes dates, mais selon le propriétaire, c’est le plombier qui a été le dernier à travailler au projet, en date du 28 septembre 2006, lorsque les derniers raccordements de tuyaux ont été effectués.
Quelques jours plus tard, soit le 1er octobre 2006, une agente d’immeuble organise une visite libre des unités.
La malchance survient quelques semaines plus tard, en octobre, lorsqu’un bris de tuyau de réservoir à eau chaude se produit et qu’un important dégât d’eau en résulte. Le propriétaire appelle Estevao, qui se rend sur place pour prendre des photos et préparer un estimé des travaux de réparation des unités endommagées. C’est à ce moment que le propriétaire et Estevao décident d’entériner leur relation d’affaires par écrit, en préparant et en signant un contrat, y indiquant la date du 8 juillet 2004 plutôt que celle d’octobre 2006.
C’est également à ce moment qu’Estevao constate que plusieurs travaux n’ont pas encore été exécutés et qu’il dresse une liste des travaux incomplets et n’ayant aucun lien avec le dégât d’eau. Cette liste comprend, entre autres, la fondation qui n’est pas recouverte de pierre ou de crépi, l’électricité dans le garage et dans l’une des unités, la finition sous les balcons, etc.
En novembre 2006, Estevao voit à la réparation des unités endommagées, travaux qui durent environ un mois. Bien que le propriétaire assumait le paiement des factures qu’Estevao recevait des sous-traitants, et ce, depuis janvier 2005, les comptes n’ont pas toujours été payés à échéance.
Le 19 mars 2007, Estevao inscrit un avis d’hypothèque légale sur les cinq (5) unités du seul des deux condominiums qui avait initialement été projetés, et le 16 août 2007, il signifie au propriétaire un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire.
Le propriétaire se tourne donc vers les tribunaux, afin d’obtenir la radiation de l’hypothèque légale d’Estevao, alléguant principalement qu’Estevao l’a inscrite plus de trente (30) jours après la fin des travaux et qu’il est donc sans droit. Le propriétaire maintient que la date de la fin des travaux est la date à laquelle le plombier a effectué les derniers raccordements de tuyaux, soit le 28 septembre 2006. De façon subsidiaire, le propriétaire soumet qu’Estevao ne pouvait inscrire son hypothèque légale que sur l’une des cinq (5) unités et il demande au tribunal de radier partiellement l’avis d’hypothèque légale sur quatre (4) des cinq (5) unités.
La décision de la Cour
La Cour nous rappelle d’emblée que la notion de « fin des travaux » est une question de fait, et que dans le cas qui nous occupe, la construction a débuté selon les plans et devis d’un architecte.
Elle fait référence à l’article 2110 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit :
2110. Le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux; celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine.
La réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve.
Ainsi, compte tenu des nombreux travaux incomplets qu’Estevao avait constatés en octobre 2006, la Cour ne suit pas l’argumentation du propriétaire voulant que l’ouvrage était « en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine » en date du 28 septembre 2006.
De plus, la Cour est d’avis que lorsque des travaux sont effectués selon des plans et devis, ils ne peuvent être considérés comme terminés que lorsqu’il y a exécution intégrale du contrat, au sens des plans et devis.
L’inscription de l’avis d’hypothèque légale d’Estevao est donc valide.
En validant l’inscription d’Estevao, la Cour écarte les arguments du propriétaire voulant qu’Estevao ne puisse plus invoquer les plans et devis puisqu’il a déserté le chantier à la fin janvier 2005. La Cour précise que, selon la preuve, les travaux ont été suspendus de février à avril 2005, et qu’Estevao a plutôt été invité à quitter les lieux, ce qui est bien différent d’une prétendue désertion par Estevao.
La Cour aborde finalement l’argument subsidiaire du propriétaire voulant la radiation partielle de l’avis d’hypothèque légale sur quatre (4) des cinq (5) unités de condominiums. Elle le rejette en énonçant que le travail effectué par Estevao vise l’ensemble de l’immeuble et qu’il n’existe qu’une seule « fin des travaux » pour l’ensemble du contrat de construction qui, quant à lui, vise un seul projet de construction de cinq (5) unités. Le travail d’Estevao a donné une plus-value à l’ensemble du projet et il ne pouvait faire supporter à une seule unité la totalité de sa créance.
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