On le dit. On le redit : il est essentiel de lire attentivement – et de relire attentivement – les documents d’appels d’offres. Pourquoi ? Parce qu’une simple erreur d’interprétation qui peut paraître comme insignifiante au début finit souvent par avoir de fâcheuses conséquences à la fin.
La récente décision de la Cour supérieure dans l’affaire Constructions Gagné & Fils inc. c. Hydro Québec1 nous offre un bon exemple d’une telle erreur, tout en nous montrant à quel point il peut être simple de l’éviter.
Les faits
Le litige dans cette affaire suit un appel de soumissions pour des travaux d’enlèvement d’amiante et de réfections majeures pour le compte d’Hydro-Québec (ci-après « Hydro »). Peu après l’appel de soumissions, un nombre d’entrepreneurs intéressés visitent les lieux avec des employés d’Hydro. Lors de cette visite, le représentant de la demanderesse Constructions Gagné & Fils inc. (ci-après « Gagné ») remarque que la formule de soumission n’inclut pas tous les travaux requis. Hydro constate qu’en effet la formule ne contient que les postes 10 et 20, et que le poste 30 a été omis par erreur.
Hydro informe donc les entrepreneurs qu’un addenda sera émis pour corriger la situation. Hydro publie l’addenda numéro 1 une semaine après la rencontre pour corriger l’erreur dans ses documents d’appel d’offres : le prix correspondant aux travaux du poste 30 figure maintenant à la formule de soumission.
Les soumissions sont déposées et, suite à l’ouverture des soumissions, Gagné apprend via le site internet d’Hydro que son offre est acceptée. Mais l’offre forfaitaire de Gagné ne représente que la somme des postes 10 et 20 alors que toutes les autres offres font la somme des postes 10, 20 et 30.
Hydro constate l’erreur lors d’un examen des soumissions, et contacte Gagné pour l’informer. Gagné nie avoir fait une erreur et exige que le contrat lui soit octroyé. Hydro choisit plutôt de corriger l’erreur de Gagné et additionne le poste 30 au prix forfaitaire de Gagné, qui passe maintenant au 4e rang.
Malgré une mise en demeure de Gagné, Hydro accorde le contrat au nouveau plus bas soumissionnaire conforme. Gagné, qui prétend toujours être la plus basse soumissionnaire conforme, poursuit Hydro en dommages pour avoir accordé le contrat à un tiers.
Prétentions des parties
Selon Gagné, les documents d’appel d’offres exigeaient que seuls les postes 10 et 20 soient additionnés, alors que le poste 30 devait être présenté séparément. Gagné souligne une contradiction entre différentes sections des documents d’appel d’offres : l’Avis aux intéressés à soumissionner indique que seule une soumission globale est acceptable, alors que la formule de soumission indique que le prix total forfaitaire correspond à la somme des postes 10 et 20. Ainsi, selon Gagné, Hydro l’a traitée de façon inéquitable en passant outre une irrégularité des documents d’appel d’offres ; Hydro n’avait pas le droit de modifier la soumission et aurait dû s’en tenir aux documents.
Hydro reconnaît avoir fait une erreur en ne modifiant pas la page de la formule de soumission qui indique que le prix total forfaitaire correspond à la somme des postes 10 et 20, mais insiste sur le fait que rien dans les documents d’appel d’offres ne suggère que les travaux au poste 30 étaient optionnels. De plus, les documents indiquent que seule une soumission globale est acceptable. Hydro ajoute que le fait de recalculer le prix de Gagné était équitable car cela visait à comparer les soumissions sur une même base.
Le jugement
La Cour rejette l’action de Gagné par un raisonnement simple qui rappelle des principes fondamentaux en matière d’appels d’offres. En voici les points clefs.
La Cour passe d’abord en revue les articles les plus pertinents de l’appel de soumissions et rappelle que le sort du litige dépend de leur interprétation. En effet, tout comme en matière contractuelle « classique », il s’agit de trouver la volonté des parties telle qu’exprimée dans les documents tout en tenant compte des circonstances, des usages et de l’équité.
La Cour prend note du fait qu’Hydro admet que ses documents contiennent une erreur, mais note aussi le fait qu’un autre soumissionnaire avait remarqué l’erreur (tout comme Gagné) et contacté Hydro pour demander des précisions. Les documents d’appel d’offres précisent d’ailleurs que les soumissionnaires doivent aviser Hydro s’ils voient des contradictions dans les documents et contacter Hydro s’ils ont besoin de d’éclaircissements ou de précisions. Gagné aurait donc dû s’informer auprès d’Hydro, tout comme l’a fait l’autre entreprise. La Cour est aussi du même avis qu’Hydro à l’effet que rien dans les documents d’appel d’offres ne suggère que les travaux prévus au poste 30 étaient une option, et qu’au contraire les documents indiquent que seule une soumission globale est acceptable.
Enfin, la Cour rappelle que le donneur d’ouvrage peut corriger les erreurs flagrantes qui apparaissent dans les soumissions, notamment en matière d’erreurs de calcul qui ne laissent place à aucune interprétation.
Conclusion
Ainsi, Gagné aurait dû vérifier son interprétation des documents d’appel d’offres auprès d’Hydro. Dans ce cas, et malgré une telle vérification, Gagné n’aurait probablement pas obtenu le contrat car son prix global se trouvait au 4e rang. Mais elle aurait sans doute pu s’éviter un litige, avec tous les frais et délais que cela implique. Il est si simple d’appeler le donneur d’ouvrage, alors pourquoi ne pas le faire ?
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 20 septembre 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !