La notion de développement durable modifie en profondeur la relation que nous entretenons avec notre environnement. Actuellement, l’approche environnementale de l’architecture est essentiellement basée sur une méthodologie scientifique et quantitative, axée sur la performance. Les théoriciens de l’architecture contemporaine parlent de performalisme : tendance architecturale selon laquelle les bâtiments sont conçus en fonction de l’obtention d’une performance énergétique optimale.
Cette architecture fait l’objet d’une évaluation selon une multitude de critères : réduction de la consommation d’énergie, production d’électricité in situ, etc. Ces différents critères peuvent être mesurés précisément, établissant ainsi le niveau de performance environnementale d’un projet. Le système de pointage LEED, basé en grande partie sur des modèles énergétiques comparatifs, constitue la méthode la plus répandue pour évaluer et mesurer les impacts environnementaux des bâtiments. Si l’approche performaliste peut donner des formes architecturales étonnantes, pour de nombreux critiques, elle se veut limitative et la conception architecturale devrait faire l’objet d’un discours plus global.
En intégrant les théories écologistes au discours culturel, celles-ci peuvent contribuer à la définition de l’identité culturelle d’une population, à la symbolique d’un lieu. En effet, l’architecture a toujours été, à travers les époques et courants, une expression concrète de la relation entre l’être humain et la nature. Non seulement elle occupe un rôle pratique et fonctionnel, mais également un rôle symbolique : elle tend à exprimer la vision que nous portons sur l’environnement ainsi que la place que nous y occupons. L’approche quantitative universelle devrait, dans l’objectif de créer des bâtiments réellement durables, être jumelée à une approche plus qualitative axée sur des enjeux régionaux et culturels. Selon certains théoriciens, les concepteurs doivent résister à la tentation de l’uniformisation des approches et des systèmes constructifs, caractéristique de notre époque contemporaine.
Le système d’évaluation Living Building challenge traite de ces enjeux, à travers les critères de « symbolique et beauté ». Ces critères, s’ils sont difficiles à évaluer de manière pragmatique, soulignent toutefois l’importance d’une architecture durable qui célèbre la culture et l’esprit particulier d’un lieu. L’architecture contemporaine doit s’intégrer et s’adapter aux cultures locales si elle prétend à une véritable durabilité. De fait, un édifice à haute performance environnementale, s’il ne réussit pas à toucher la sensibilité d’une population, risque fort de faire l’objet d’une démolition prématurée ou de modifications majeures rapidement, diminuant ainsi de manière significative sa durabilité.
Alors que les systèmes sont de plus en plus efficaces, que l’information et les connaissances sont de plus en plus vastes et accessibles, comment les concepteurs d’aujourd’hui peuvent-ils résister à la tentation de développer des modèles dits « universels » pouvant « performer » peu importe leur localisation ?
Les édifices aux systèmes de chauffage et ventilation entièrement mécanisés, aux fenêtres fixes, peuvent certes obtenir des pointages élevés en matière de performance énergétique. Cependant, ils constituent des exemples d’une délocalisation totale du milieu où ils sont construits. Ils créent des « microclimats » intérieurs standardisés, génériques, basés sur des théories universelles du confort environnemental. Pour les concepteurs, le simple fait de résister à la fenêtre générique, non ouvrante, est un premier pas vers une architecture de résistance, vers un régionalisme critique [1].
L’architecture vernaculaire
Les principes de l’architecture vernaculaire spécifique à un lieu peuvent constituer une source d’inspiration et de connaissances pour les concepteurs contemporains. Les critères d’orientation des bâtiments, de la configuration de la fenestration, du choix des énergies alternatives et de sélection des matériaux sont tous des éléments qui varient en fonction des lieux. Ces enjeux ont toujours été fondamentaux dans l’architecture vernaculaire. L’éloignement et le peu de ressources disponibles a amené nos prédécesseurs, à travers un processus d’essais et d’erreurs, à développer des solutions architecturales et constructives optimisées pour un lieu donné.
L’architecture vernaculaire nous informe également sur la relation de leurs constructeurs avec l’environnement. Par exemple, les constructions des peuples amérindiens expriment une complémentarité avec la nature. Elles sont caractérisées par des interventions minimales et une empreinte écologique réduite. Les constructions des colonisateurs européens sont complètement différentes. Ceux-ci avaient une vision de notre continent comme un lieu hostile. Leur architecture se veut donc une solide protection contre les éléments et peut nous en apprendre beaucoup sur la durabilité temporelle. En mariant les principes acquis de l’architecture vernaculaire aux technologies de pointe, les concepteurs contemporains peuvent créer des édifices à performance de haut niveau qui s’inscrivent en continuité avec des traditions constructives régionales.
Un événement d’envergure internationale en Gaspésie
À l’été 2013, la Gaspésie accueillera le Forum international d’architecture vernaculaire. De par ses conditions climatiques particulières, son peuplement d’origine variée et son éloignement, la Gaspésie est particulièrement riche en patrimoine vernaculaire.
Le Forum réunira de nombreux professionnels et amateurs passionnées d’histoire de l’architecture. L’invitation est également lancée aux passionnés d’architecture contemporaine écologique. Cet événement d’envergure internationale sera une occasion toute désignée pour s’inspirer du savoir-faire de nos ancêtres qui ont su développer une architecture ingénieusement adaptée. À travers le temps, cette adaptation à l’environnement s’est lentement transformée en expression culturelle et identitaire.
L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy à Gaspé. On peut communiquer avec lui par courriel à mfleury@vachonroyarchitectes.com.
1. Kenneth Frampton, Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance, in The Anti-Aesthetic. Essays on Postmodern Culture (1983) édité chez Hal Foster, Bay Press, Port Townsen.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 28 août 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !