Au fil des années, les modes de travail ont passablement évolué. Une multitude d’études récentes conduites par DEGW, une firme d’architecture spécialisée (entre autres) dans la conception d’environnements de travail et le déploiement de stratégies d’occupation avant-gardistes, ont démontré que les employés passent de moins en moins de temps à leur poste, que la majorité des tâches sont désormais effectuées sur supports informatisés et que les tâches papier (lecture, écriture et classement) ne représentent maintenant qu’une infime portion de l’emploi du temps. En fait, souvent moins de 15 % du temps passé au poste implique du papier1.
Pour sa part, Vivian Loftness, professeure au département d’architecture du Carnegie Mellon University, mentionne qu’un sondage mené auprès de 97 chercheurs universitaires a permis de démontrer que ces derniers consacrent environ 20 % de leur temps aux tâches papier2.
Besoins réels
Ceci dit, bien que l’emploi du temps évolue, les standards en éclairage en milieu de travail, eux, n’ont pas suivi. Par exemple, la recommandation généralement appliquée lors de la conception d’un environnement de travail est d’offrir un éclairement uniforme de 400 lux au niveau des surfaces de travail horizontales. Malheureusement, ce standard est parfois insuffisant pour certaines tâches papier et ne correspond pas aux besoins des employés travaillant sur ordinateur.
Tel que démontré par Yun Gu dans le cadre de ses travaux de doctorat3, lorsque les occupants ont le contrôle sur les niveaux d’éclairement de leur poste, ils optent plus souvent qu’autrement pour un éclairement de 200 à 300 lux pour des tâches sur ordinateur. De plus, certains préfèrent un éclairement supérieur à 600 lux pour un travail impliquant du papier. Cette recherche démontre donc un gaspillage d’énergie dans un contexte ou l’emploi du temps des occupants est majoritairement composé de tâches sur écran et un potentiel d’insatisfaction chez ceux manipulant du papier.
Modifier l’approche
Avec ces constats en tête, il apparaît donc préférable de réduire les niveaux d’éclairement ambiants dans les environnements de travail et d’offrir des lampes de table aux occupants afin que ceux-ci puissent ajuster localement l’éclairage en fonction de leurs besoins spécifiques. Toujours selon les résultats obtenus par Yun Gu, une stratégie impliquant des lampes de table permettrait des économies de l’ordre de 40 % à 60 % de l’énergie dédiée à l’éclairage artificiel.
Cependant, dans le contexte énergétique du Québec où les coûts de l’énergie sont relativement faibles (en comparaison avec d’autres régions du globe), cet argument ne parvient habituellement pas à lui seul à convaincre de la nécessité de déployer des stratégies d’éclairage plus complètes. Pour convaincre, il faut pousser plus loin l’analyse et chercher à mieux comprendre l’impact de l’éclairage sur le confort et la productivité des occupants.
Confort
En plus de favoriser la satisfaction des occupants en leur permettant de contrôler à leur guise l’éclairage, une stratégie reposant sur une combinaison de lampes de table et d’appareils au plafond aurait aussi l’avantage de réduire d’environ 19 % les maux de tête chez les employés lorsque comparée à des situations impliquant uniquement des appareils au plafond4.
La productivité des employés est aussi directement affectée par la possibilité de contrôler son environnement lumineux. Pour certaines tâches, elle peut être bonifiée jusqu’à 11 %5, ce qui représente un impact monétaire énorme sur l’ensemble du cycle de vie d’un projet. Au final, en termes de période de rendement de l’investissement, il devient donc évident qu’une stratégie d’éclairage réfléchie et bonifiée peut rapidement rapporter. Des investissements majorés en éclairage devraient donc être systématiquement considérés pour tous les environnements de travail.
Malgré toutes les avancées de la science et d’une meilleure compréhension des enjeux de l’éclairage, force est d’admettre qu’éclairer convenablement un environnement de travail demeure complexe. Pour y parvenir, les équipes de conception ont tout avantage à éviter les règles du pouce souvent trop simplistes et de plutôt s’attarder à mieux comprendre les synergies unissant éclairage, confort et consommation énergétique.
1. DEGW, The impact of change, rapport réalisé pour Haworth, disponible en ligne (www.haworth.com)
2. Loftness, V., Srivastava, R. (2014) Re-light Amarica’s Offices for the Triple Bottom Line, Proceedings of IES Annual Conference – A Confluence of Art and Science, Pittsburgh, 2-4 novembre 2014.
3. Gu, Y. (2011) The Impacts of Real-time Knowledge Based Personal Lighting Control on Energy Consumption, User Satisfaction and Task Performance in Offices, Thèse de doctorat. Pittsburgh: Carnegie Mellon University, Department of Architecture.
4. Cakir, A.E., (1991) Light and Health: Influences of Lighting on Health and Well-Being of Office and Computer Workers, Berlin: Ergonomic Institute of Social and Occupational Sciences Research Co.
5. Nishihara, N. et al. (2006) Productivity with Task and ambient lighting system evaluated by fatigue and task performance, Proceedings of Healthy Buildings 2006, Lisbon, Portugual, pp. 249-252.
L’auteur est chargé de projet chez Coarchitecture , bénévole au sein de la section du Québec du CBDCa et membre d’ECOOP, une coopérative offrant divers services de consultation en science du bâtiment.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 26 mai 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !