Pour faire valoir le droit à l’hypothèque légale, les conditions suivantes doivent notamment être strictement satisfaites : grever un immeuble, pour des travaux demandés par le propriétaire, dans le cadre d’un contrat avec ce dernier ou limité aux travaux effectués après la dénonciation écrite du contrat.
Le Code civil du Québec ne fait pas mention d’un droit pouvant naître à la suite de travaux demandés par un locataire de l’immeuble. Au contraire, le Code est rédigé de façon à constamment référer au détenteur des titres fonciers. Il ne suffit donc pas, pour faire valoir le droit à l’hypothèque légale, de la publier sur l’immeuble. Il faut que les travaux aient été initialement requis par le propriétaire.
Le locateur peut par ailleurs louer son immeuble, mais ce n’est pas l’existence d’un contrat de location qui est une condition préalable à l’ouverture du droit à l’hypothèque légale, mais bien la signature d’un contrat de construction que le locateur a initialement octroyé.
Les entrepreneurs continuent de commettre l’erreur de transiger avec un locataire sans s’être encouru au préalable de sa solvabilité, faisant en sorte qu’ils tentent de faire valoir le recouvrement de leur créance par le biais de l’hypothèque légale de la construction, mais sans succès.
Deux décisions récentes sont en effet venues souligner le principe, en faisant radier l’hypothèque légale de l’entrepreneur ayant transigé directement avec le locataire de l’immeuble.
Toitures Hogues
Dans le cas de Toitures Hogue inc. c. Industries JAM ltée : 14 janvier 2015 (C.S.), l’entrepreneur avait signé avec le locataire de l’immeuble un contrat de réfection de la toiture.
N’ayant pas été payé par son cocontractant, le locataire de l’immeuble, l’entrepreneur a publié une hypothèque légale de construction suivi d’un recours au Tribunal. Mis en cause dans les procédures, le propriétaire de l’immeuble se pourvoit d’une requête en irrecevabilité du recours en question dirigé contre sa propriété.
La Cour supérieure constate que le contrat d’entreprise a été signé entre l’entrepreneur et le locataire et que ce dernier, selon les faits du dossier, n’agissait manifestement pas comme mandataire du propriétaire en question. La Cour rappelle également le principe que l’hypothèque légale est exorbitante de la règle de droit et doit être interprétée et appliquée strictement, sous peine de nullité. Le bail signé entre les parties n’étant pas un contrat de construction, le droit de l’entrepreneur général à l’hypothèque légale n’a jamais pu prendre naissance.
Le Tribunal a donc accueilli la requête en irrecevabilité du propriétaire de l’immeuble et rejeté le recours de l’entrepreneur dirigé contre sa propriété.
Limoge
Dans ce deuxième cas, celui de Limoge c. Entreprises D.S. Rochon et Frères inc. : 30 janvier 2015 (C.Q.), la Cour du Québec doit décider du recours d’un entrepreneur qui, manifestement pour palier à l’insolvabilité du locataire avec qui il avait contracté, publie une hypothèque légale sur les titres et tente de faire valoir un droit de vendre la propriété pour se faire payer.
Le propriétaire de l’immeuble intente un recours afin de faire radier l’hypothèque légale ayant été publiée par l’entrepreneur à l’encontre de sa propriété.
Le propriétaire, ayant mis en vente sa propriété, s’était trouvé un acheteur et avait conclu avec ce dernier une offre d’achat assortie d’une entente d’occupation. Il était prévu que la vente devait intervenir le 1er août 2012.
Entre la mi-avril et le 31 juillet, le promettant-acheteur pouvait occuper les lieux à titre de locataire, moyennant le paiement d’un loyer. L’entente précisait que le transfert de propriété aurait lieu le 1er septembre 2012 lors de la signature de l’acte de vente, tout en permettant toutefois au promettant-acheteur d’occuper à partir du 16 avril 2012.
Le locataire entreprend d’importantes rénovations à l’intérieur de la maison sans avoir obtenu le consentement du propriétaire. Il contracte avec un entrepreneur relativement à la rénovation de la cuisine et de la salle de bain. L’entrepreneur et le locataire signent une entente le 23 avril 2012.
Les travaux sont effectués mais l’entrepreneur reste partiellement impayé, d’où l’inscription d’une hypothèque légale. Le locataire déguerpit avant la date prévue pour compléter la transaction de vente le 1er septembre 2012. L’avis d’hypothèque légale publié le 23 août 2012 est adressé au locataire ainsi qu’au propriétaire.
Le Tribunal devait déterminer la nature du contrat intervenu entre le propriétaire et son locataire, si un transfert de la propriété était survenu entre les parties préalablement à la signature du contrat avec l’entrepreneur et valider l’hypothèque légale.
Le Tribunal constate que la promesse de vente dûment acceptée ne peut constituer un titre de propriété, puisque les parties avaient convenu du transfert au moment de la signature de l’acte de vente le 1er septembre 2012. Les parties n’avaient pas non plus signé un contrat d’entreprise ou de construction puisque l’entente prévoyait strictement le paiement d’un loyer pendant la période pertinente, sans aucune mention de travaux à effectuer ou à être effectués par le locataire.
Le Tribunal décide que le locataire n’agissait pas à titre de mandataire du propriétaire. Il appartenait donc à l’entrepreneur de procéder aux vérifications d’usage quant à la propriété de l’immeuble. Ne l’ayant pas fait, ou ayant choisi de contracter avec un locataire insolvable, il devait en subir les conséquences. La Cour a également conclu en l’absence d’enrichissement injustifié, d’autant plus que la plus-value n’avait pas été soumise au Tribunal. L’hypothèque légale et le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire de l’entrepreneur ont donc été radiés.
Le point d’ancrage de ces deux décisions est Kolomeir c. Les Industries Providair inc. de la Cour suprême du Canada : « Ceux qui contractent avec le locataire ne peuvent prétendre à un privilège sur tel immeuble, à moins qu’ils aient contracté directement avec le proprio. Il leur appartient plutôt de s’assurer de la solvabilité du locataire pour le coût des travaux ainsi effectués à la réquisition et pour le compte de ce dernier. »
Conclusion
Ces deux récentes décisions démontrent encore une fois l’importance pour l’entrepreneur de contracter directement avec le propriétaire de l’immeuble et de procéder aux vérifications d’usage quant aux titres de propriété.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me MeJean-François Gauvin au 514 871-5354 ou par courriel à jfgauvin@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 2 avril 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous