L’absence de licence de construction pour celui qui entend se prévaloir de l’hypothèque légale est-elle fatale ? Qui peut invoquer à son avantage le droit d’en demander la radiation ? Ce sont de ces questions que la cour du Québec était saisie dans le dossier de Caisse Desjardins Richelieu St-Mathias c. K. Keseris et A. Cayer.
La décision du 24 mars 2015 est rendue par l’honorable Céline Gervais, dans le cadre d’une requête de la Caisse en radiation d’hypothèque légale sous l’article 804 cpc.
Le propriétaire de l’immeuble, mis en cause dans les procédures, avait obtenu du financement de la Caisse assorti d’une hypothèque conventionnelle de premier rang pour permettre l’acquisition de l’immeuble de quatre unités. Par la suite, afin de procéder à des rénovations pour compléter une conversion en copropriété divise, le propriétaire obtient de la Caisse un financement additionnel assorti d’une hypothèque de second rang. Le propriétaire fait toutefois affaire avec sa conjointe (!) pour effectuer les travaux, et une hypothèque légale est publiée sur l’immeuble trois jours après la signature d’une reconnaissance de dette d’un montant de 16 836 $. Dans la semaine suivante, la Caisse inscrit un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire suivi d’une requête pour vente sous contrôle de justice et d’une requête en radiation d’hypothèque légale. C’est de cette dernière demande que le tribunal est saisi dans cette affaire.
L’on peut comprendre l’intérêt de la Caisse de demander la radiation de l’hypothèque légale de la construction publiée par la conjointe du propriétaire, étant donné la priorité que le Code civil du Québec lui attribue à l’encontre de l’hypothèque conventionnelle. Les deux conjoints s’opposent à cette demande, ce qui est légitime de la part de la dame qui prétend à des travaux, mais ce qui est plutôt surprenant de la part du propriétaire, souligne le tribunal.
L’intimée et le mis en cause s’étant tout d’abord empressés de demander l’irrecevabilité du recours de la Caisse, étant donné l’absence de dépôt d’un état certifié des droits inscrits au registre foncier, le procureur de cette dernière en a obtenu une copie pendant la pause du midi, ce qui a satisfait la cour pour rejeter ce moyen de défense.
La Caisse soutient que l’intimée ne détient pas de licence d’entrepreneur, et que cela devrait suffire pour que l’hypothèque légale soit radiée. La cour étudie donc la teneur de l’article 50 de la Loi sur le bâtiment qui prévoit trois conditions d’application :
- une personne qui n’est pas elle-même entrepreneur peut demander l’annulation d’un contrat conclu avec celui qui ne détient pas la licence ;
- le propriétaire d’un immeuble peut demander la radiation d’une hypothèque légale inscrite par celui qui ne détient pas la licence ;
- la demande de radiation ne peut être accueillie si le demandeur avait connaissance de l’absence de licence.
Le tribunal constate qu’il ne fait pas de doute que le conjoint propriétaire savait que la détentrice de l’hypothèque légale ne détenait pas de licence d’entrepreneur. Cependant, la Caisse soutient qu’elle ignorait ce fait, faisant d’elle une demanderesse pouvant se qualifier au sens de l’article 50 de la Loi.
Les parties ayant soumis un certain nombre de décisions au soutien de leurs prétentions, la cour a pu analyser le courant jurisprudentiel s’étant déjà prononcé sur la question. Les décisions Groupe Mondico inc. c 127629 Canada inc., et Caisse Desjardins c. Grondin de la Cour supérieure sont reprises avec approbation pour décider que le créancier hypothécaire conventionnel ne peut demander la radiation de l’hypothèque légale au motif de l’absence de licence de l’entrepreneur. Ainsi, selon le tribunal, la personne qui a conclu le contrat avec l’entrepreneur peut en demander l’annulation et le propriétaire de l’immeuble peut demander la radiation de l’hypothèque légale, personne d’autre.
Mais ce n’est pas tout ! Le tribunal n’est pas dupe de la situation et reconnaît une certaine connivence entre les deux conjoints pour que la créance de l’intimée soit priorisée au détriment des droits de la Caisse. La cour analyse la facture soumise au soutien de l’hypothèque légale et conclut que les imprécisions dans la documentation soumise ainsi que le comportement et la teneur des témoignages des conjoints pendant l’audition démontrent l’absence de droit à l’hypothèque légale.
La cour donne donc raison à la Caisse et la radiation de l’hypothèque légale du registre foncier est ordonnée.
Il est tout de même regrettable que le législateur ne permette pas au prêteur conventionnel de demander la radiation d’une hypothèque légale de construction en l’absence de licence puisque, dans les cas d’insolvabilité ou de faillite du propriétaire de l’immeuble, le créancier détenteur d’une hypothèque conventionnelle est souvent le seul ayant encore l’intérêt juridique pour contester le recours de l’entrepreneur qui ne s’est pas conformé à la Loi sur le bâtiment.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Me Jean-François Gauvin au 514 871-5354 ou par courriel à jfgauvin@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 1 juillet 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous