En vertu de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (ci après la « Loi R 20 »), la Commission de la construction du Québec (« CCQ ») dispose de pouvoirs de suspension de travaux lorsqu’elle constate, à l’occasion d’une enquête, que des travaux de construction sont exécutés par une personne qui n’est pas titulaire d’une licence appropriée délivrée en vertu de la Loi sur le bâtiment ou encore lorsqu’elle constate que les personnes affectées à la réalisation de travaux de construction ne sont pas titulaires des certificats de compétence ou de preuves d’exemption appropriées délivrées en vertu de la Loi R 20. Ses pouvoirs d’enquête et de suspension sont prévus en vertu des articles 7.1 à 7.6 de la Loi R 20.
L’ordonnance de suspension étant assortie de conséquences importantes, les décisions de la CCQ peuvent faire l’objet de révision devant la Commission des relations du travail (Ce pouvoir était jusqu’en avril 2008 exercé par le Commissaire de l’industrie de la construction).
Si le pouvoir de suspension de la CCQ en est un discrétionnaire, la CCQ ne peut l’exercer sans respecter un certain devoir d’équité procédurale envers ceux qui pourront être affectés par l’ordonnance qu’elle envisage émettre. C’est là un des principes qui se dégage non seulement de l’article 7.4 de la Loi R 20, lequel prévoit que la CCQ doit permettre aux parties intéressées de faire connaître leur point de vue préalablement à l’exercice de son pouvoir de suspension, mais également d’une décision récemment rendue par la Cour supérieure du Québec dans les dossiers impliquant CCQ c. Jean Larivière et CCQ c. Josette Béliveau.
Les faits
Au printemps de l’année 2005, des arrêts de production sont planifiés à l’usine de Domtar située à Windsor ainsi qu’à l’usine Horne (Falconbridge) de Noranda.
À cette époque, une nouvelle réglementation venait d’entrer en vigueur en rapport avec les travaux de machinerie de production se trouvant assujettis à la Loi R 20 et, par conséquent, affectant d’une part la nécessité pour un donneur d’ouvrage de faire exécuter les travaux en question par des salariés détenant les cartes compétence appropriées et, d’autre part, celle de rémunérer ceux-ci suivant les taux des conventions collectives applicables à l’industrie de la construction.
Domtar et Horne ayant fait connaître leurs intentions de faire réaliser des travaux par des filiales, un litige se dessine rapidement d’une part entre la CCQ et Domtar et, d’autre part, entre la CCQ et Horne sur l’assujettissement des travaux qui seront réalisés aux deux usines lors des arrêts de production planifiés. Domtar et Horne soutiennent qu’il ne s’agit pas de travaux visés par la Loi R 20 en invoquant les exceptions prévues dans le règlement d’application de la loi, tandis que la CCQ soutient le contraire.
Or, plutôt que de saisir le Commissaire de l’industrie de la construction des différends qui l’opposent à Domtar et à Horne, la CCQ opte de recourir à ses pouvoirs de suspension qui lui sont dévolus en vertu de l’article 7.6 de la Loi R 20. Sitôt rendues, ces deux ordonnances de suspension seront attaquées devant le Commissaire de l’industrie de la construction.
Une première décision rendue par le commissaire Jean Larivière donnera raison à Horne, tandis qu’une autre décision rendue par sa collègue Josette Béliveau donnera également raison à Domtar. Chacun de ces commissaires statuera en faveur des plaignants jugeant que d’une part la CCQ a manqué à son devoir d’agir équitablement envers les personnes qui allaient être affectées par son ordonnance et, d’autre part, que les travaux en cause n’étaient assujettis à la Loi R 20. Les deux décisions rendues par les commissaires feront cependant l’objet de demandes de révision devant la Cour supérieure.
Le jugement
C’est l’honorable juge André Prévost qui sera saisi des deux requêtes en révision présentées par la CCQ. Celui-ci signale que si l’exercice des pouvoirs de suspension des travaux relève de la discrétion de la CCQ, la compétence que la loi attribue à la CCQ est néanmoins sujette à l’exécution des « travaux de construction ». Pour asseoir sa juridiction, la CCQ doit donc établir qu’il s’agit de travaux de construction.
Aussi en vient il à la conclusion que les commissaires ont eu raison de se demander si la CCQ était bien fondée de croire que les travaux envisagés étaient des travaux de construction. C’est aussi à bon droit, selon lui, qu’ils ont exigé que la CCQ assume le fardeau d’en faire la preuve au moment de la révision.
Sur le plan du respect de l’équité procédurale, le juge refuse également de renverser la décision des commissaires à l’effet que la CCQ avait le devoir d’agir équitablement envers les personnes affectées et que dans les circonstances de l’espèce, il y avait eu manquement à ce devoir.
Dans le cas des travaux réalisés à Domtar, le juge souligne qu’en cours de réunion du 17 mars 2005, Domtar aurait remis à la CCQ une liste de travaux qui seraient effectués à son usine du 10 au 17 avril suivant. Cette liste comprenait une multitude d’interventions sur plusieurs équipements en identifiant les intervenants. Lors de la réunion, les parties abordent la question de l’assujettissement à la loi. Quelques jours plus tard, soit le 23 mars, la CCQ fait connaître sa position par voie de lettre transmise par l’un de ses représentants à l’effet qu’elle considère les travaux comme étant assujettis à la loi. Toutefois, à la lumière du contenu de la lettre, il était difficile voire impossible pour Domtar ou tout autre intéressé de comprendre le fondement de la position adoptée par la CCQ qui considérait sans distinction, l’ensemble des travaux comme étant assujettis.
Le juge soulève en outre que malgré la plainte du procureur de Domtar sur le manque de précision, la CCQ avait omis de fournir l’information qui aurait permis à Domtar de comprendre la position de la CCQ, le procureur de la CCQ se contentant de répondre en répétant qu’il y avait désaccord sur le sujet de l’assujettissement. Suivront l’envoi d’avis et de préavis de suspension et finalement l’émission d’une ordonnance de suspension de travaux.
Le juge résume qu’en somme la CCQ s’est laissée emporter par la position initiale de Domtar qui considérait l’ensemble des travaux comme de l’entretien et non des réparations, et ce, dans un contexte difficile où syndicat de salariés de la construction et l’association d’employeurs professionnels voyaient d’un mauvais œil le non-assujettissement de ces travaux à la Loi R 20.
Le juge signale que bien que la CCQ avait le droit d’être en désaccord avec la position par Domtar, la CCQ était tenue d’expliquer aux personnes visées le fondement de sa position, et ce, en regard des travaux que Domtar s’apprêtait à faire exécuter.
Le juge ajoute qu’un délai raisonnable aurait par ailleurs dû être octroyé aux personnes visées afin qu’elles puissent communiquer leur point de vue. Ici, les délais de 24 et 48 heures au cours d’une fin de semaine, étaient déraisonnables.
Le même scénario se répétant de façon similaire dans le cas de Horne, le juge en viendra à la conclusion que dans les deux dossiers en cause, la CCQ n’avait pas agi équitablement envers les personnes intéressées. Aussi, décide-t-il que les décisions des commissaires concernés sont bien fondées à cet égard et qu’il y avait lieu d’annuler les ordonnances de suspension émises par la CCQ.
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