Tout entrepreneur en construction au Québec sait qu’avoir une licence d’entrepreneur appropriée et en vigueur est la condition préalable à la poursuite de ses activités. En effet, l’article 46 de la Loi sur le bâtiment dit bien que « Nul ne peut exercer les fonctions d’entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner lieu de croire qu’il est entrepreneur de construction, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin. »
Il y a donc des conséquences importantes, civiles ou pénales, lorsque des personnes agissent comme entrepreneur en construction sans avoir de licence. Deux conséquences civiles importantes se trouvent à l’article 50 de la Loi. La première est qu’une personne qui conclut un contrat pour des travaux de construction avec un entrepreneur non licencié peut demander l’annulation du contrat. La deuxième est que le propriétaire d’un immeuble grevé d’une hypothèque légale peut demander la radiation de celle-ci lorsqu’elle a été inscrite par un entrepreneur non licencié. Toutefois, la personne qui contracte avec l’entrepreneur et le propriétaire de l’immeuble grevé ne peuvent bénéficier de l’article 50 s’ils savaient que l’entrepreneur n’avait pas de licence au moment de la conclusion du contrat où lors de l’exécution des travaux.
La jurisprudence interprétant l’article 50 de la Loi a souvent interprété cet article comme exigeant d’un entrepreneur qu’il détienne une licence valide « tout au long du processus » afin de pouvoir enregistrer son hypothèque légale 1. Ainsi, l’entrepreneur devrait détenir une licence pendant tous les travaux qu’il exécute et lors de l’inscription de son hypothèque légale.
La Cour d’appel vient récemment de nuancer ce principe dans l’affaire Schnob (Entreprises J. Schnob) c. Parent2, en permettant à un entrepreneur d’inscrire une hypothèque légale sur un immeuble malgré le fait que sa licence avait été suspendue pendant une partie des travaux.
Les faits
Entreprises J. Schnob (« Schnob ») conclut un contrat avec les propriétaires d’un terrain pour la construction de leur résidence. Le contrat est signé en novembre 2009 et les travaux durent de février à l’automne 2010. Or, Schnob n’a pas de licence lors de la formation du contrat – celle-ci était suspendue depuis juin 2009 – et il ne la recouvre qu’au mois d’avril 2010. Schnob a donc exécuté une partie de ses travaux de construction (de février à avril 2010) sans licence. Rendu à la fin des travaux à l’automne, la relation entre Schnob et ses clients s’est grandement détériorée, et ceux-ci – qui ignorent que la licence de Schnob a été suspendue – refusent de lui payer certains travaux.
Schnob procède donc à l’inscription d’une hypothèque légale sur l’immeuble, et ce n’est qu’après ce moment que ses clients apprennent que sa licence avait était suspendue et qu’une partie importante des travaux avait été effectuée sans licence. Les clients demandent donc la radiation de l’hypothèque, tel que leur permet l’article 50 de la Loi.
Les jugements
Le juge de la Cour supérieure ordonne la radiation de l’hypothèque. Il est d’avis que même si Schnob avait une licence pendant une partie des travaux ainsi que lors de l’inscription de l’hypothèque, il n’avait de toute évidence pas eu de licence « tout au long du processus ». Schnob porte la décision en appel.
La Cour d’appel renverse la décision du premier juge et permet l’inscription de l’hypothèque. Selon la Cour, le droit qu’ont les entrepreneurs d’inscrire une hypothèque légale devrait être protégé. Schnob – qui avait une licence valide pendant une partie des travaux et lors de l’inscription de l’hypothèque légale – conserve donc son droit. Cependant, on ne peut ignorer le fait qu’une partie des travaux ont été exécutés sans licence, le législateur ayant clairement exprimé l’importance de posséder une licence dans la Loi.
L’hypothèque de Schnob ne peut donc couvrir que la valeur des travaux exécutés pendant qu’il avait sa licence, et Schnob ne peut bénéficier de l’hypothèque pour la valeur des travaux exécutés entre les mois de février et avril. La Cour d’appel renvoie le dossier à la Cour supérieure pour détermination de la valeur de l’hypothèque.
Les conclusions
L’interprétation de l’article 50 de la Loi préconisée par la Cour d’appel dans cette affaire aidera probablement à atténuer les conséquences d’une suspension de licence dans certains cas pour certains entrepreneurs. En effet, la Cour note dans sa décision que le principe de « tout au long du processus » avait à l’occasion donné des résultats sévères.
Il ne faudrait cependant pas interpréter cette décision comme diminuant l’importance de l’obligation d’avoir une licence d’entrepreneur valide lors de l’exécution de travaux de construction.
La Cour d’appel prend d’ailleurs le soin de préciser que la validité de l’hypothèque légale de Schnob ne pourra pas lui servir comme défense lors d’une éventuelle poursuite pénale pour avoir violé l’article 46 de la Loi. En effet, les conséquences civiles et pénales du non-respect de l’obligation de détenir une licence sont distinctes. Rappelons que l’article 197.1 de la Loi prévoit que quiconque contrevient à l’article 46 en n'étant pas titulaire d’une licence est passible d’une amende de 10 481 $ à 78 612 $ dans le cas d’un individu et de 31 444 $ à 157 222 $ dans le cas d’une personne morale.
Ainsi, la suspension d’une licence devrait toujours être prise au sérieux, car travaux de construction et licence suspendue ne peuvent se mélanger.
1. Voir à cet effet Schnob (Entreprises J. Schnob) c. Parent, 2011 QCCS 918 aux paragraphes 32 à 39.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 6 août 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !