En vertu de l’article 1413 du Code civil du Québec, un contrat dont l’objet est contraire à l’ordre public est nul. Une déclaration de nullité peut, suivant les circonstances, ne toucher que certaines des clauses contenues au contrat dans la mesure où celles-ci sont contraires à l’ordre public tout particulièrement lorsque les parties ont pris la peine de stipuler que la nullité éventuelle d’une clause n’emporte pas celle de tout le contrat conclu.
Comment reconnaît-on une clause qui va à l’encontre de l’ordre public ? Certains cas sont clairs. Ainsi, une stipulation qui va carrément à l’encontre de ce qu’impose une loi d’ordre public sera en principe jugée non valide.
Par ailleurs on sait que certaines dispositions prévues dans les lois régissant l’industrie de la construction sont reconnues être d’ordre public. C’est le cas par exemple des obligations dévolues au maître de l’ouvrage ou à l’employeur en matière de santé et de sécurité du travail telle l’obligation de faire respecter le code de sécurité applicable sur les chantiers. C’est aussi le cas des obligations dévolues à l’entrepreneur en matière de qualification, telle par exemple l’obligation de détenir une licence d’entrepreneur ou dans le cas de l’entrepreneur général, celle de faire appel à des sous-traitants détenant des licences d’entrepreneur lorsqu’il s’agit d’exécuter ou faire exécuter des travaux de construction. Ainsi à titre d’exemple, si l’on tentait par voie de stipulation contractuelle d’imposer à un sous-traitant une méthode d’exécution contrevenant aux normes de sécurité applicables sur les chantiers, sous peine de pénalité contractuelle, il est fort à parier que la stipulation en question pourrait être déclarée nulle. D’autres cas sont beaucoup moins clairs. Ainsi en est-il du cas des stipulations suivant lesquelles un contractant est appelé à indemniser l’autre pour les amendes ou peines qui lui sont imposées en raison de violation à une loi. C’est sur un cas semblable que la Cour du Québec a récemment dû se pencher dans l’affaire Tarbis Construction inc. c. 9131-1050 Québec inc. (Construction Nomade).
Les faits
Construction Nomade (Nomade) agit à titre d’entrepreneur général pour la réalisation d’un projet de construction connu sous le nom de Faubourg Boisbriand. Pour mener à terme le projet, Nomade confie en sous-traitance les travaux de charpente à Tarbis Construction inc. (Tarbis).
Le contrat de sous-traitance intervenu entre les parties prévoit notamment une clause intitulée Conformité et légalité se lisant comme suit : « Vous devez être enregistré à la Régie du bâtiment du Québec et être détenteur d’une licence valide. Vous êtes tenu de vous conformer à la réglementation en vigueur, de même qu’aux normes de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Vous êtes tenu de vous conformer aux normes de sécurité de la Commission de la santé et sécurité du travail (CSST) et vous êtes responsable de vos employés à cet effet. Le cas échéant, vous serez responsable des pénalités et poursuites encourues. En aucun cas Construction Nomade ne pourra être tenue responsable pour le non-respect des normes et réglementations de votre part. […] » (Notre soulignement).
En février 2009, un inspecteur mandaté par la CSST se présente sur le chantier et émet des constats d’infraction à l’égard de Nomade, et ce, en sa qualité de maître d’œuvre, ainsi qu’à l’égard de Tarbis en sa qualité d’employeur. Ce sont des employés de Tarbis qui sont à l’origine des omissions ayant mené à l’émission des constats d’infraction.
Tarbis conteste et parvient à faire rejeter les chefs d’accusation portés contre elle. De son côté Nomade ne fait que contester le montant des amendes réclamées, si bien qu’elle sera éventuellement facturée par la CSST pour un montant de 18 364,76 $ en raison des amendes imposées. Suite à l'imposition de ces amendes, Nomade informe Tarbis qu’elle a l’intention de conserver une partie des soldes contractuels, soit l’équivalent du montant de sa condamnation.
En désaccord avec la position de Nomade, Tarbis entreprendra un recours judiciaire en vue de réclamer le montant de la pénalité que Nomade cherche à retenir. Parmi les motifs de contestation avancés par Tarbis, celle-ci soutient que la clause du contrat intitulée Conformité et légalité est contraire à l’ordre public si bien que cette clause, suivant Tarbis, ne peut être valablement invoquée pour justifier le non-paiement du solde contractuel.
Le jugement
C’est l’honorable juge Julie Veilleux qui est saisie du litige.
D’emblée, celle-ci reconnaît qu’en sa qualité de maître d’œuvre du chantier, Nomade est tenue à certaines responsabilités légales en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Il est ainsi prévu à l’article 196 que le maître d’œuvre doit respecter au même titre que l’employeur les obligations imposées à l’employeur par la présente loi et les règlements, notamment de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur de la construction. L’article 4 de la loi prévoit par ailleurs que cette loi est d’ordre public et qu’une disposition d’une convention ou d’un décret qui y dérogerait est nulle de nullité absolue.
La juge se permet toutefois de faire certaines distinctions. En l’espèce, elle constate que Nomade ne s’exonère pas de sa responsabilité face à la CSST lorsqu’elle convient avec Tarbis que c’est cette dernière qui sera responsable des pénalités en cas de contravention aux normes de sécurité de la CSST.
Afin de poursuivre sa réflexion et les distinctions qu’elle avance, la juge cite les extraits d’un jugement rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Consortium MR Canada ltée c. Corporation d’hébergement du Québec à l’effet qu’« Il n’est pas contraire à l’ordre public que les deux parties à un contrat s’entendent, pour valoir entre elles seulement, pour que l’une d’entre elles assume certaines obligations, par ailleurs prévues dans une loi d’ordre public, par exemple celles relatives au rôle du « maître d’œuvre » et, singulièrement, celle de fournir un ou plusieurs agents de sécurité. […] Cependant, le Tribunal est d’avis que CHQ qui agit à titre de « maître d’œuvre » peut sur le plan contractuel convenir qu’un individu ou une entreprise agira à titre de maître d’œuvre sur le chantier et assumera toutes les obligations du maître d’œuvre et même peut s’engager à prendre son fait et cause au cas où il y a contravention aux dispositions concernant la sécurité sur le chantier de construction. […] »
À la lumière des passages ci-haut cités, la juge en vient à la conclusion que la clause intitulée Conformité et légalité apparaissant au contrat intervenu entre les parties n’est pas contraire à l’ordre public et déclare que Nomade est par conséquent bien fondée de retenir le montant de 18 364,76 $ réclamé par Tarbis.
Pour toute question ou commentaire, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteur de cette chronique par courriel à ndamour@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5487.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 29 mai 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !