Le gouvernement du Québec a mis en place, au cours des dernières années et plus particulièrement des derniers mois, un cocktail de mesures législatives visant à lutter contre l’évasion fiscale et la corruption dans le domaine de la construction. Les entrepreneurs visant le marché des contrats publics doivent ainsi montrer patte blanche et remplir toute une série de nouvelles annexes aux documents d'appel d'offres portant d'une part sur l'absence de collusion dans la préparation de la soumission, et d'autre part sur leur probité fiscale, c'est-à-dire sur l'absence de contravention aux lois sur l'impôt fédérale et provinciale.
C'est ainsi qu'est entrée en vigueur, en décembre 2011, la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l'industrie de la construction et apportant d'autres modifications à la Loi sur le bâtiment. Les modifications apportées par cette loi prévoient, à titre de sanction, l'attribution automatique d'une licence restreinte pour une série d'infractions pénales, notamment à la Loi sur la concurrence et aux lois fiscales, reculant la période de vérification aux cinq années précédant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Cette sanction, si elle emporte peu de conséquences pour certaines entreprises, est littéralement désastreuse pour celles dont le chiffre d'affaires implique une part importante de contrats publics. En effet, non seulement les entreprises visées par cette mesure sont-elles empêchées de soumissionner de tels contrats publics pendant les cinq années suivant leur condamnation, mais encore doivent-elles cesser immédiatement l'exécution de contrats en cours, indépendamment du niveau de réalisation, à moins que leur cocontractant ne demande d'en autoriser la poursuite.
Pas étonnant, dans un tel contexte, que certains entrepreneurs se soient démenés pour contester la légalité de la loi, demandant de surcroît des injonctions pour que soit rétablie leur pleine licence, du moins temporairement par le biais de demandes de sursis. Deux décisions ont été rendues récemment dans pareilles circonstances, l'une par la Cour supérieure en décembre 2011 dans l'affaire Construction Michel Gagnon ltée c. Régie du bâtiment, et l'autre par la Cour d'appel dans le dossier Québec c. Chagnon (1975) ltée, en février 2012.
Des contestations sérieuses... mais pas assez
Parmi les motifs de contestation allégués par les entrepreneurs en cause, notons le caractère déraisonnable de la sanction pour ce qui, dans certains cas, constitue une infraction dite mineure en raison de facteurs atténuants. Plus encore, l'attribution d'une licence restreinte constitue, pour ces entreprises, une deuxième sanction pour une même infraction, contrevenant selon elles à des principes fondamentaux en droit pénal.
Vu l'urgence de la situation, c'est par le biais de demandes d'injonctions provisoires que les entreprises se sont adressées à la Cour, réclamant la suspension de la sanction automatique prévue à la loi durant l'instance. Cette procédure, bien qu'elle comporte des avantages évidents, implique néanmoins un lourd fardeau de preuve et une démonstration du caractère sérieux de la démarche et du préjudice irréparable qui serait causé en l'absence de sursis. La Cour doit également mettre en relief les inconvénients qui seraient subis par le demandeur versus l'intérêt public, c'est-à-dire l'application régulière de la loi.
La Cour d'appel et la Cour supérieure, bien que donnant un certain crédit aux arguments des entrepreneurs, se montrent néanmoins fermes à leur égard, rappelant qu'il convient de donner préséance à la loi, malgré les conséquences immédiates et irrémédiables dans certains cas. Le juge Prévost, dans l'affaire Construction Michel Gagnon, rappelle ainsi la sévérité des principes applicables :
« L'urgence ne fait pas de doute ni le préjudice pour l'entrepreneur qui a un chiffre d'affaires de près de 40 000 000 $ et 250 employés dont plusieurs devront être mis à pied vu la restriction de la licence.
« Cependant, l'examen de la balance des inconvénients oblige à rappeler que l'intérêt public prime sur les intérêts privés. »
La juge Bich de la Cour d'appel reprend sensiblement les mêmes thèmes dans l'affaire Chagnon, dans les termes suivants : « La soussignée est bien consciente de la gravité des conséquences de la restriction sur l'intimée et ses employés, conséquences qui, cependant, ne peuvent ici l'emporter sur l'intérêt public. »
En d'autres mots, la Cour applique le vieil adage dura lex, sed lex (La loi est dure, mais c'est la loi.) et n'offre pas aux entrepreneurs le luxe d'une suspension de sanction pendant la durée des procédures. Il est toutefois important de noter que ces jugements ne se prononcent pas sur le fond des arguments des entrepreneurs quant à l’invalidité des modifications apportées à la Loi sur le bâtiment. Des réponses à cet égard devraient être données au cours des prochaines années par les tribunaux, et feront certainement l'objet d'un vaste écho dans le milieu vu leur intérêt pour nombre d'entrepreneurs aux prises avec les nouvelles dispositions de la Loi.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 15 mai 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !