Un motif sérieux pour mettre un terme au contrat

20 février 2012
Par Me Christian J. Brossard

Dans une rubrique antérieure du présent journal, nous traitions du droit exceptionnel dont dispose le donneur d’ouvrage de résilier le contrat de construction sans motif et des limites à ce droit. Ce faisant, nous soulignions le contraste entre ce privilège et le droit plus limité qu’a l’entrepreneur de lui-même résilier le contrat, en l’absence d’un défaut contractuel du donneur d’ouvrage, en s’appuyant sur ce qui doit cependant être un motif « sérieux ».

 

Ainsi, l’article 2126 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») autorise l’entrepreneur à résilier unilatéralement le contrat, en l’absence donc d’une cause de défaut de la part du donneur d’ouvrage, mais uniquement dans les limites suivantes :

 

« […] que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps ; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation. »

 

Un jugement récent de la Cour du Québec, Groupe de Gestion et de Construction Loffredo c. 4440242 Canada inc. et al. (2011 QCCQ 14911), a analysé les faits mis en preuve dans le cadre d’un litige afin d’évaluer le sérieux du motif invoqué par un sous-traitant pour justifier la résiliation de son sous-contrat en vertu de l’article 2126 C.c.Q.

 

Dans le cadre d’un projet de rénovation, Groupe de Gestion et de Construction Loffredo, entrepreneur général et demanderesse au litige, a confié le sous-contrat pour la peinture aux défenderesses, pour un prix forfaitaire de 26 000 $.

 

Le différend à la source du litige résulte de ce qui suit. Selon la preuve présentée, le devis contractuel requérait que le sous-traitant appose de la peinture avec des finitions de cinq couleurs. Or, en cours d’exécution des travaux, le sous-traitant s’est vu remettre par l’architecte un plan de coloration qui prévoyait des finitions de 10 couleurs. Considérant que cela avait un impact considérable de l’ordre d’une hausse de 35 % sur ses coûts, le sous-traitant requiert de l’entrepreneur qu’ils conviennent d’une modification au prix du contrat en conséquence. L’architecte et, s’appuyant sur ce dernier, l’entrepreneur général prétendront que le contrat, du fait qu’il indiquait que « Toutes les couleurs et lustres sont au choix de l’architecte », autorisait ce dernier à exiger plusieurs couleurs pour une même pièce du bâtiment. L’application de toutes ces couleurs faisaient donc partie du sous-contrat et étaient incluses dans le prix.

 

Également, le nouveau plan de coloration apportait un changement à la couleur de certains cadrages, lesquels avaient déjà été peinturés selon la couleur antérieurement communiquée par l’entrepreneur. L’architecte et l’entrepreneur refusent de couvrir les coûts de reprise de 2 800 $ demandés par le sous-traitant.

 

Le sous-traitant avise l’entrepreneur qu’il n’entend pas se représenter au chantier sans une nouvelle entente sur le prix. De son côté, l’entrepreneur exige, par l’entremise de ses procureurs, que le sous-traitant poursuive ses travaux selon les exigences de l’architecte, insistant que le nouveau plan de coloration fait partie des obligations contractuelles, sans ajustement au prix. L’entrepreneur ajoute que, si le sous-traitant croit être justifié de réclamer pour des coûts additionnels, il pourra le faire en temps utile, bien qu’il connaisse déjà la position qu’adoptera l’architecte.

 

Le sous-traitant maintient son refus de poursuivre l’exécution des travaux et ne se représente pas au chantier. L’entrepreneur soutient que, en agissant ainsi, le sous-traitant a abandonné le chantier, se plaçant ainsi en position de défaut par rapport à ses engagements contractuels. Par le fait même, l’entrepreneur se considère en droit de réclamer compensation pour les dommages que cet abandon lui cause, d’où son recours intenté devant la Cour du Québec.

 

L’entrepreneur réclame la différence entre ce qu’il a dû payer à un nouveau sous-traitant chargé de compléter l’exécution des travaux et le montant du sous-contrat résilié. Il exige également compensation pour des coûts d’opération qu’il s’est vu obligé d’encourir pendant cinq jours durant lesquels, suite à la résiliation, la défenderesse a retiré son représentant du chantier, avant que l’entrepreneur ne puisse retenir les services du nouveau sous-traitant.

 

De son côté, le sous-traitant argumente qu’il a résilié le sous-contrat en vertu de l’article 2126 C.c.Q. et qu’il l’a donc fait pour un motif sérieux. Sur cette base, l’entrepreneur ne peut prétendre qu’il y a eu abandon des travaux par le sous-traitant et lui réclamer compensation pour ses dommages résultant de la résiliation.

 

Le Tribunal conclut que les documents contractuels prévoyaient l’utilisation de cinq couleurs et que c’est ce que couvrait le prix convenu entre les parties. En émettant le nouveau plan de coloration, l’entrepreneur a modifié une considération essentielle et donc l’objet du contrat.

 

Le juge fait alors un rappel des règles qui gouvernent la détermination du caractère sérieux du motif de résiliation par l’entrepreneur. Cette détermination est une question de fait qui relève de l’appréciation du tribunal. Un défaut négligeable ou de peu d'importance, une incompatibilité de caractère, un client exigeant, un retard dans le début des travaux, une erreur économique, un refus du client de payer pour une raison valable ou un défaut de paiement d’importance négligeable ne seront généralement pas considérés comme des motifs sérieux de résiliation. Et, en tout état de cause, le droit à la résiliation ne doit pas être exercé de façon abusive.

 

Par contre, le changement unilatéral des conditions contractuelles par le client peut constituer un motif sérieux de résiliation du contrat. En l’espèce, la modification substantielle de l’objet du contrat constituait un motif sérieux qui permettait au sous-traitant de procéder à la résiliation unilatérale aux termes de l'article 2126 du Code civil. De plus, l’exigence de l’entrepreneur que le sous-traitant poursuive les travaux ainsi modifiés sans compensation pour les coûts substantiels additionnels et en repoussant la discussion sur le sujet, tout en signifiant clairement la position de refus de l’architecte, justifiait le sous-traitant de refuser de retourner sur le chantier sans que cela ne constitue un abandon.

 

Dans ce contexte, l’entrepreneur ne peut prétendre avoir droit de réclamer du sous-traitant pour les coûts additionnels qu’il a dû verser au nouveau sous-traitant puisque c’est en raison de ses propres faits et gestes que l’entrepreneur a dû embaucher un nouvel entrepreneur en peinture à un prix plus élevé.

 

Cependant, l’analyse ne pouvait s’arrêter là, puisque l’article 2126 interdit la résiliation, même pour un motif sérieux, si elle est faite « à contretemps », c’est-à-dire si celui qui résilie ne prend pas des précautions raisonnables pour que la résiliation unilatérale, sans cause de défaut de son client, n’affecte pas le cours de l'exécution des travaux du projet. Advenant le cas, le sous-traitant doit réparer le préjudice qu’il cause à l’autre partie au contrat.

 

La résiliation pourrait ne pas être à contretemps, par exemple, si celui qui exerce son droit à la résiliation unilatérale offre de continuer à exécuter les travaux jusqu'à ce que son client lui trouve un remplaçant. Selon le juge, le sous-traitant aurait dû octroyer un délai raisonnable de cinq jours avant de cesser les travaux, à savoir un délai suffisant, selon la preuve, pour que l’entrepreneur puisse octroyer un nouveau contrat.

 

Dans ce contexte, le Tribunal conclut que l’entrepreneur a droit d’être compensé pour les frais de chantier qu’il a encourus en raison de l’absence du sous-traitant pendant une période de cinq jours. Il établit ces frais à la somme de 2 500 $ plutôt que le montant réclamé de 11 500 $.

 

Le Tribunal accueille par ailleurs la demande reconventionnelle du sous-traitant, pour la valeur des travaux qu’il avait exécutés jusqu’au moment de la résiliation. Par contre, il lui refuse compensation pour sa perte de profit sur le sous-contrat, estimant que la jurisprudence ne donne pas droit à une telle compensation.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Christian J. Brossard par courriel à cjbrossard@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5407.


Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 17 février 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !