Les clauses dites de paiement sur paiement sont fréquemment utilisées dans les rapports contractuels entre entrepreneurs généraux et entrepreneurs spécialisés. L’objectif derrière une telle clause est de protéger l’entrepreneur général en cas de défaut de paiement du donneur d’ouvrage.
Ainsi, l’entrepreneur général insèrera souvent au contrat le liant avec un sous-traitant, une clause suivant laquelle il ne sera tenu de payer ce dernier qu’au moment où il recevra lui-même paiement du donneur d’ouvrage.
Bien que ce type de clause représente un lourd fardeau pour les entrepreneurs spécialisés, lesquels se trouvent à financer le projet jusqu’au paiement par le donneur d’ouvrage, les tribunaux ont reconnu la validité de ce type de clause.
Malgré le fait que ce genre de clause soit largement utilisé, la jurisprudence traitant de leur impact et application demeurait jusqu’à présent somme toute limitée.
Cette situation a évolué au cours des 12 derniers mois alors que deux décisions ont été rendues sur le sujet, soit la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Plomberie KRTB inc. c. Construction Citadelle inc.[1] ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Design & construction Giffels Québec inc. c. Excavation Yelle inc.[2].
Il est à noter que ces deux décisions traitaient du même enjeu juridique, à savoir l’application et les impacts d’une telle clause lorsque le donneur d’ouvrage fait faillite. Dans les deux cas, l’entrepreneur spécialisé réclamait de l’entrepreneur général le paiement de factures impayées suivant la faillite de leur donneur d’ouvrage.
Afin de faciliter la compréhension de ces décisions et des enseignements qu’il faut en tirer, il est opportun de reproduire les deux clauses qui devaient être analysées.
1. Décision KRTB
2. Décision Giffels
« Après vérification, l’entrepreneur règle normalement les demandes de paiement du sous-traitant dans les 30 jours qui suivent la date de la fin de la période ou dans les 5 jours suivant le paiement par le propriétaire, la date la plus tardive prévalent (sic). »
Dans ces deux causes, les sous-traitants prétendaient que, telles que rédigées, les clauses de paiement sur paiement constituaient des obligations à terme. Suivant ce raisonnement, l’entrepreneur général, par l’ajout de la clause de paiement sur paiement, ne faisait que repousser l’échéance du paiement à l’arrivée d’un événement futur et certain, à savoir, le paiement par le donneur d’ouvrage. Or, ce dernier ayant fait faillite, l’événement futur et certain devient impossible à réaliser et les sommes visées par le terme deviennent donc exigibles sur-le-champ, suivant les règles applicables aux obligations à terme prévues au Code civil du Québec[3].
De leur côté, les entrepreneurs généraux prétendent plutôt que les clauses de paiement sur paiement, telles que rédigées, décrivent une obligation conditionnelle de sorte que les paiements aux sous-traitants ne pourraient être réclamés qu’à condition qu’ils obtiennent eux-mêmes paiement de la part du donneur d’ouvrage. Puisque ce dernier a fait faillite, aucune somme ne serait payable aux sous-traitants.
Dans les deux affaires, les tribunaux ont conclu que la formulation des clauses de paiement sur paiement comprises à ces contrats constituait des obligations à terme et non conditionnelle.
Notamment, les tribunaux ont soulevé l’absence de termes tels que « pourvu que », « si », « à condition que », qui sont normalement utilisés lorsque l’on désire assujettir un paiement à une condition.
Au contraire, la formulation des clauses à analyser laissait plutôt sous-entendre aux sous-traitants que le paiement par le donneur d’ouvrage était un événement futur et certain.
Dans les deux causes citées, les tribunaux ont donné raison aux sous-traitants réclamants.
La Cour d’appel a notamment réitéré le principe suivant lequel il appartient à l’entrepreneur général de formuler sa clause de paiement sur paiement de façon non équivoque s’il désire qu’elle soit interprétée comme une obligation conditionnelle :
Il est maintenant bien établi que les clauses de paiement sur paiement sont légales et reconnues comme telles par les tribunaux québécois. Cependant, il appartient à l’entrepreneur général de s’assurer que la formulation de la clause répond adéquatement à ses attentes. Ainsi, si l’intention de ce dernier est de faire en sorte que le paiement à son sous-traitant soit conditionnel au paiement du donneur d’ouvrage, il lui appartient d’utiliser des termes qui l’exprime de façon non équivoque.
Suivant les enseignements de la Cour d’appel, l’utilisation de termes tels que « pourvu que », « si », « à condition que » serait indiquée.
[1] Plomberie KRTB inc. c. Construction Citadelle inc., 2015 QCCS 3103
[2] Design & construction Giffels Québec inc. c. Excavation Yelle inc., 2016, QCCA 256
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Courriel : yforget@millerthomson.com
Cet article est paru dans l’édition du jeudi 25 février 2016 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !