Il est de ces expressions qui, dans le domaine juridique comme ailleurs, véhiculent de vieilles vérités toujours bonnes à redire. Il en est ainsi de la maxime « le contrat est la loi des parties ». Bien que ce principe ait été modéré au cours des dernières années avec l’avènement des notions de bonne foi, d’obligation de renseignement et d’équilibre contractuel, il demeure encore un point de repère incontournable en matière d’interprétation des contrats.
L’application de ce principe a d’ailleurs été particulièrement discutée en droit de la construction, vu le nombre important de contrats à forfait octroyés et les batailles parfois épiques entourant leur interprétation. Plus particulièrement, les clauses contractuelles strictes entourant les ordres de changement et les travaux additionnels restent au hit-parade des problèmes les plus souvent rencontrés par les praticiens du droit de la construction.
Le scénario est classique : un entrepreneur découvre une erreur dans les devis, fait face à une configuration différente de celle prévue aux plans ou encore à des conditions d’exécution plus difficiles que prévu. Il soulève le problème en réunion de chantier, fait noter ses doléances, demande un ordre de changement ou un bon de commande pour travaux additionnels et au final, devant les délais de réponse des professionnels et la pression du client, se satisfait d’une assurance verbale parfois vague, au mieux d’une poignée de main, et fait les travaux sans qu’aucun écrit n’ait été échangé.
Quelques mois plus tard, sa réclamation est refusée faute d’avoir respecté les procédures contractuelles relatives aux ordres de changement. Personne ne se souvient d’ailleurs d’avoir donné une quelconque approbation pour des travaux additionnels et à tout événement, on lui oppose que ces travaux étaient clairement inclus au contrat forfaitaire. D’un point de vue pratique, tous les ingrédients sont réunis pour un contrat coûteux pour l’entrepreneur, mais pour des honoraires intéressants pour son procureur !
La Cour d’appel a rappelé les principes applicables dans semblable situation dernièrement, dans l’arrêt Clivenco inc. c. Hervé Pomerleau inc.
Les faits à la base de cette affaire sont simples. Clivenco obtient de Pomerleau un sous-contrat de 255 000 $ pour les travaux de ventilation à effectuer lors de la rénovation et l’agrandissement du Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, un chantier de la Corporation d’hébergement du Québec.
Très vite, il s’avère qu’en certains endroits de l’ancienne partie de l’immeuble, l’espace est restreint au point où l’entrepreneur spécialisé doit refaire nombre de formes, coudes, entonnoirs, adapteurs, etc. et les soumettre à Pomerleau et aux autres sous-traitants. Selon Clivenco, ces contraintes d’espace n’apparaissaient pas sur les plans de soumission préparés par les ingénieurs de la CHQ.
La preuve est contradictoire quant aux discussions ayant eu lieu à ce sujet. Clivenco prétend s’être fait dire de regrouper ses doléances en vue de l’émission d’une directive globale à être émise plus tard, alors que l’ingénieur de la CHQ nie une telle version. Chose certaine, au moment où la demande d’ordre de changement est envoyée à Pomerleau, les travaux ont déjà été exécutés.
Un mois plus tard, les ingénieurs de la CHQ avisent Pomerleau qu’ils ne recommanderont pas le paiement de la réclamation parce que Clivenco n’aurait pas fourni à l’avance les plans et dessins d’atelier des modifications pour approbation et émission d’un ODC, tel qu’exigé par le contrat.
La Cour supérieure, devant cette situation, se rabat sur les exigences contractuelles relatives à une approbation écrite et rappelle qu’en l’absence d’un tel écrit, la preuve de la renonciation aux termes du contrat devait être claire, ce qui n’est pas le cas.
La Cour d’appel confirme ce jugement dans des termes d’ailleurs assez peu nuancés : « Clivenco ne saurait contourner l’exigence des clauses contractuelles strictes par un élément de preuve testimoniale selon lequel l’un des ingénieurs lui a promis qu’il lui donnerait une directive. » Et la Cour d’ajouter : « Bref, je suis convaincu que Clivenco ne sort pas gagnante de ce contrat, mais elle n’a qu’elle à blâmer pour avoir fait fi des règles du jeu. »
Bien que la réclamation de l’entrepreneur ait été rejetée dans ce dossier, le résultat aurait pu être différent avec une preuve plus convaincante. Il reste en effet fréquent de voir des réclamations accueillies bien que ne respectant pas la lettre du contrat. Toutefois, en cette matière comme en bien d’autres, rien ne vaut un écrit pour augmenter ses chances de succès, puisque comme le veut l’adage, les paroles s’envolent, mais les écrits restent !
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Mathieu Turcotte par courriel à mturcotte@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 875-5210.
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 2 mars 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !