Substitution de l’hypothèque légale ; quelle sûreté est suffisante ?

13 janvier 2010
Par Me Normand D’Amour B.Ing., LL.B.

L’hypothèque légale de construction peut parfois constituer une nuisance sérieuse pour un propriétaire qui désire en contester la validité et/ou le montant réclamé, tout particulièrement lorsque ce même propriétaire cherche à tenir son immeuble libre de toute charge, et ce, soit pour des motifs de financement ou soit parce qu’il désire en disposer en tout ou en partie.

 

Dans de tels cas, un pouvoir de substitution particulier octroyé aux tribunaux est prévu à l’article 2731 du Code civil du Québec, ce qui peut s’avérer d’un secours précieux pour le propriétaire. Cet article prévoit : « À moins que l’hypothèque légale ne soit celle de l’État ou d’une personne morale de droit public, le tribunal peut, à la demande du propriétaire du bien grevé d’une hypothèque légale, déterminer le bien que l’hypothèque pourra grever, réduire le nombre de ces biens ou permettre au requérant de substituer à cette hypothèque une autre sûreté suffisante pour garantir le paiement ; il peut alors ordonner la radiation de l’inscription de l’hypothèque légale. »

 

Nos tribunaux ont été appelés à quelques occasions à exercer leur pouvoir de substitution. Dans le cadre de cet exercice, ils ont eu à évaluer ce que constitue une sûreté « suffisante ». Cette question est en outre abordée par la Cour d’appel dans le jugement rendu dans l’affaire Paysages Paradis c. Boisvert.

 

Les faits

Ayant réalisé des travaux sur un immeuble appartenant à Boisvert qui n’en a pas acquitté le prix, Paysages Paradis entreprend de faire grever l’immeuble d’une hypothèque légale. La valeur des travaux impayés totalise 10 699,03 $. L’immeuble en question est d’une valeur considérable, étant d’ailleurs grevé d’une hypothèque de premier rang de l’ordre de 630 000 $ bénéficiant à une caisse populaire.

 

Voulant sans doute exercer des pressions importantes sur son client, Paysages Paradis exerce un recours hypothécaire de prise en paiement à l’encontre de son immeuble. Contrairement au recours de vente sous contrôle de justice, lequel permet au créancier de faire vendre l’immeuble en vue d’être simplement payé par préférence, la prise en paiement permet au créancier hypothécaire, sous certaines conditions, de devenir propriétaire de l’immeuble grevé et libre de certaines charges.

 

Devant la menace que constitue le recours hypothécaire annoncé et qu’il juge disproportionné, Boisvert saisit la Cour du Québec d’une requête en substitution de sûreté en invoquant les dispositions de l’article 2731 C.c.Q. ci-haut cité. Il requiert que l’hypothèque légale et le préavis d’exercice soient radiés moyennant le dépôt auprès de la Cour d’un montant à la hauteur de 10 699,03 $ ou tout autre montant que le tribunal pourrait juger opportun de fixer.

 

La requête en substitution est cependant contestée par Paysages Paradis pour différents motifs, dont notamment celui que le dépôt judiciaire ne constituerait pas une sûreté suffisante au sens de l’article 2731 C.c.Q, particulièrement en cas de faillite du débiteur impliqué.

 

Les jugements

En première instance, la Cour du Québec donnera raison à Boisvert. Au passage, le juge critiquera le comportement de Paysages Paradis en indiquant que ce dernier avait fait preuve d’abus en entreprenant des procédures de prise en paiement pour se faire déclarer propriétaire de l’immeuble valant plus de 1 million $, alors que sa créance se situait à environ 10 699,03 $. La radiation sera d’ailleurs ordonnée en contrepartie d’une preuve de dépôt au greffe que le juge fixera à 12 000 $.

 

L’affaire sera toutefois portée en appel après autorisation de la Cour d’appel. Les principaux motifs d’appel sont les suivants :

 

1. Le juge a t il eu raison de qualifier le comportement de Paysages Paradis comme étant abusif ?


2. Le dépôt judiciaire proposé constitue t il une sûreté suffisante dans les circonstances et la nature du dépôt en fait elle une sûreté au sens du Code civil du Québec ?


3. Boisvert a-t-il satisfait le fardeau de prouver que l’hypothèque publiée lui causait préjudice ?

 

Après une longue analyse des dispositions encadrant les dépôts judiciaires, la Cour d’appel en viendra à la conclusion que le dépôt peut constituer une sûreté suffisante. La Cour conclura que le fait de consigner les sommes à la Cour équivaut à créer une hypothèque mobilière sur ces sommes, laquelle est opposable aux tiers, incluant un syndic de faillite, dans l’éventualité où le débiteur devait faire cession de ses biens. La Cour d’appel ordonnera toutefois la majoration du montant à déposer, de telle sorte que celui ci puisse couvrir la créance en capital, intérêts, indemnité additionnelle et frais pour une période de temps adéquate eu égard à la nature du dossier.

 

Par contre, la Cour d’appel donnera raison à Paysages Paradis, à savoir qu’il n’y avait pas lieu pour le juge de qualifier son comportement d’abusif dans les circonstances, puisqu’il s’agit de l’une des options que le législateur a permis au créancier hypothécaire d’exercer.

 

Enfin, l’argument soumis à l’effet que Boisvert n’aurait pas fait la démonstration d’un préjudice subi sera vite rejeté puisque dans les circonstances il apparaissait clairement qu’il y avait une disproportion très considérable entre la créance de l’ordre de 10 699,03 $ et la valeur de l’immeuble en cause.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Normand D’Amour : ndamour@millerthomsonpouliot.com
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Miller Thomson Pouliot