Être maître d’oeuvre d’un chantier entraîne des responsabilités importantes en matière de santé et sécurité du travail. Explications.
Au chantier, le rôle du maître d’oeuvre n’est pas de tout repos. Un peu à la manière du maestro, il lui appartient d’orchestrer l’ensemble des travaux à exécuter. Mais ses obligations contractuelles ne s’arrêtent pas là, loin s’en faut. Sur ses épaules pèsent également de lourdes responsabilités en matière de santé et de sécurité du travail. Et celles-ci peuvent l’exposer à d’éventuelles poursuites criminelles.
Avant d’aller plus loin, commençons par définir la notion de maître d’oeuvre. Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) le désigne, à l’article 1, comme étant « le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux ». À ce titre, le maître d’oeuvre d’un chantier est donc la personne qui exerce une autorité réelle sur le chantier.
« Plusieurs personnes sont appelées à intervenir sur un chantier et l’interaction de toutes ces personnes soulève parfois un doute quant à l’identité du maître d’oeuvre, signale d’entrée de jeu maître Maryline Rosan, conseillère au Centre patronal en santé et sécurité du travail du Québec (Centre patronal SST). Dès qu’un inspecteur SST se pointe sur un chantier, son premier réflexe est de savoir qui en est le maître d’oeuvre car, en cas d’infraction ou d’accident, il devra établir si le maître d’oeuvre a assumé ses obligations en matière de santé et sécurité du travail. »
Clarifier les rôles
Nombreux sont les propriétaires qui préfèrent déléguer, sur contrat, le rôle de maître d’oeuvre à un entrepreneur général. « Mais ce statut peut parfois être bousillé par le propriétaire, prévient Maryline Rosan. Par exemple, s’il fait intervenir de manière importante ses propres employés au chantier ou si, par clause contractuelle, il s’est gardé des pouvoirs d’intervention qui restreignent la responsabilité de l’entrepreneur général au point de lui faire perdre la maîtrise des travaux. »
Elle ajoute qu’en pratique, lorsqu’un maître d’oeuvre reçoit un constat d’infraction, il y a d’emblée présomption que ses obligations n’ont pas été respectées. S’il décide de porter sa cause devant les tribunaux, il devra faire la démonstration qu’il a fait preuve de diligence raisonnable. En d’autres mots, en cas de litige, il devra prouver qu’il s’est acquitté de son devoir de prévoyance en établissant un plan de prévention, de son devoir d’efficacité en exerçant un contrôle au chantier, et de son devoir d’autorité en veillant à ce que les règles de sécurité soient appliquées. Or, dans la pratique, ce type de démonstration s’avère souvent compliqué.
Le rôle de maître d’oeuvre n’est donc pas une sinécure. D’autant plus que, depuis le 31 mars 2004, le Code criminel a été modifié afin de faciliter les poursuites pour négligence criminelle contre des organisations, lorsqu’elles sont responsables de manquements graves à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Maryline Rosan en donne pour exemple l’affaire Sylvain Fournier, un entrepreneur en excavation accusé d’homicide involontaire et de négligence criminelle ayant causé la mort, à la suite du décès d’un de ses employés, enseveli dans une tranchée le 3 avril 2012.
Démontrer son sérieux
« On voit par ailleurs de plus en plus d’organisations, surtout des grandes municipalités, qui se soucient du sérieux des entrepreneurs en matière de santé et sécurité du travail, et ce, même si elles délèguent la maîtrise d’oeuvre du chantier à un entrepreneur général, fait valoir Maryline Rosan. Certaines grandes municipalités ont d’ailleurs implanté une démarche de surveillance générale des chantiers, même si elles n’assument pas ce rôle. Aucune entreprise ne veut que son image soit ternie à cause du manque de sérieux d’un entrepreneur. »
Elle souligne en outre que le fait qu’un propriétaire délègue ses représentants sur le terrain pour faire de la surveillance générale au chantier, ne remet nullement en cause le statut de maître d’oeuvre de l’entrepreneur. « Cela fait partie des prérogatives de tout client de s’assurer de l’application des clauses contractuelles que l’entrepreneur s’est engagé à respecter », dit-elle.
Pour Hydro-Québec, cette prérogative passe d’abord par les documents d’appels d’offres. « Les entrepreneurs qui soumissionnent nos projets doivent faire la démonstration qu’ils ont la capacité d’assurer la sécurité de leurs travailleurs sur nos chantiers, indique Guy Côté, directeur principal, Projets de transports et construction pour la société d’État.
« Lorsqu’ils déposent leur soumission, ils doivent entre autres fournir leur dossier d’employeur à la Commissiondes normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail(CNESST), y compris l’historique de leurs incidents. Ils doivent aussi produire différents documents pour prouver qu’ils ont bien cerné les risques associés à l’environnement de travail et identifié les méthodes de travail appropriées. »
Car la société d’État ne badine pas avec la santé et la sécurité du travail. « Les gens rentrent au travail pour gagner leur vie, pas pour la perdre, ironise Guy Côté. Sur nos chantiers, on a enregistré plusieurs incidents avec fatalité entre 1990 et 2005. Pour les années 2004, 2005 et 2006, le taux de fréquence sur nos chantiers a encore grimpé. Il fallait faire quelque chose pour inverser cette tendance. »
Hydro-Québec a donc procédé à une enquête, histoire de voir où elle se situait dans son marché. « Cette enquête a révélé que notre performance était supérieure à celle de l’industrie de la construction en général, mais inférieure à celle des meilleures entreprises dans notre marché. Pour opérer un changement durable, on a implanté, autour de 2010, un système de gestion de la qualité basé sur la norme OHSAS-18001. »
Ce système a été validé à la fin janvier à l’occasion d’un « Kaizen SST » de quatre jours, auquel la société d’État a convié certains entrepreneurs. Cet exercice avait pour objectif d’identifier des solutions afin de réduire le nombre d’événements accidentels sur les chantiers d’Hydro-Québec, à la suite d’une nouvelle dégradation du taux de fréquence à la fin de 2015.
« On est en train d’opérer un véritable changement de culture au sein de l’organisation, mais cela demande du temps de faire évoluer les mentalités, commente Guy Côté. C’est particulièrement difficile pour les travailleurs. S’ils ont travaillé de telle manière pendant 30 ans, ils sont plus réticents à modifier leurs façons de faire. Il y a un aspect générationnel aussi, les plus jeunes travailleurs sont plus enclins à adopter de nouvelles méthodes. Mais nos efforts commencent à porter fruits. Il y a cinq ans, lorsque je visitais un chantier, les gens se dépêchaient de mettre leurs lunettes de sécurité. Aujourd’hui, tout le monde porte son casque et ses lunettes. »
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Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2016. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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