Dans certains cas, lorsqu'un consultant (tel un ingénieur) assume la surveillance quotidienne d'un chantier, il risque d'engager sa responsabilité pour les coûts reliés à la reprise de travaux non conformes s'il n'a rien fait pour avertir l'entrepreneur des non-conformités ou ne s'est jamais plaint de la façon de faire de l'entrepreneur en temps opportun.
Ceci vaut même en dépit du principe bien connu que l'entrepreneur est responsable de la conformité de ses travaux. C'est ce que la Cour supérieure a décidé le 9 janvier dernier dans la cause Construction Unibec inc. c. Ville de Dolbeau-Mistassini.
Les faits
Le 16 juin 2008, Construction Unibec inc. (« Unibec »), entrepreneur général en construction, amorce des travaux pour la réfection des infrastructures d’eau potable et d’égout unitaire sur un segment d’environ 280 mètres pour la Ville de Dolbeau-Mistassini (la « Ville »).
La Ville mandate la firme d'ingénieurs Dessau pour agir à titre de consultante. C'est Dessau qui conçoit les plans et devis des travaux en question. Elle est aussi chargée d'effectuer une surveillance permanente du chantier. À ce titre, Dessau confie deux ressources au projet, soit un surveillant au bureau ainsi qu'un surveillant en permanence sur le chantier.
Le 4 juillet 2008, soit trois semaines après le début des travaux, Dessau se rend compte d'un problème relativement à la pente de la conduite unitaire. De fait, cette pente n’est pas conforme aux plans et devis en ce qu’elle est légèrement inférieure à ce qui y est prévu, ce qui a pour effet de diminuer la capacité hydraulique de la conduite.
Dessau exige qu’Unibec modifie la pente pour qu’elle soit conforme aux plans et devis. Unibec obtempère tout en niant sa responsabilité pour l’erreur et en affirmant qu'elle réclamera les frais occasionnés par ces travaux correctifs.
La décision de la Cour supérieure
Unibec lance une poursuite contre la Ville pour plusieurs postes de réclamation reliés au projet en question, dont le poste des coûts afférents à la modification de la pente de la conduite pour la rendre conforme aux plans.
Quant à ce dernier poste, la preuve soumise au tribunal est à l'effet que pendant les trois premières semaines de travail avant que Dessau ne sonne l’alarme, son représentant sur le chantier (représentant qui a été remplacé en cours de route et qui n'a pas témoigné au procès) aurait régulièrement donné une réponse affirmative de conformité au sujet du respect des pentes lorsqu’interpellé par Unibec.
De plus, aucun des nombreux rapports journaliers concomitants aux événements ne fait mention de quelque non-conformité que ce soit relativement à la pente de la conduite.
La Ville se défend tout de même en invoquant que l'entrepreneur est l'ultime responsable de la conformité des travaux qu'il exécute d'autant plus que les Clauses administratives générales du projet prévoient spécifiquement que l'entrepreneur se doit de s'assurer que les alignements et les niveaux montrés sur les plans soient parfaitement respectés.
La Cour supérieure reconnaît que l'entrepreneur est certes responsable de la conformité de ses travaux mais, s'appuyant sur un arrêt de la Cour d'appel de 2002 dans l'affaire Les entreprises P.E.B. ltée c. Ville de Québec, le juge est d'avis que la validation quotidienne de la pente de la conduite par le surveillant de chantier engendre sa responsabilité.
De dire la Cour, à quoi bon s'enquérir auprès du surveillant du chantier sur la conformité de la pente comme l'a fait Unibec si la réponse du surveillant n'a aucune portée. Or, si le surveillant a des doutes sur la façon de travailler de l’entrepreneur et son manque de rigueur, son rôle est de le dénoncer pour s’assurer de la conformité.
Puisque Dessau est la mandataire de la Ville, la Cour édicte que la Ville doit assumer les frais réellement encourus par Unibec pour rehausser la conduite. Il n’est pas dit, toutefois, que la Ville n’aurait pas de recours récursoire contre Dessau.
Cette décision rappelle un cas qui s’est rendu jusqu’en Cour suprême du Canada en 1978. Il s’agit de l’arrêt Demers c. Dufresne Engineering Co. Ltd., [1979] 1 R.C.S. 146, lequel n’a vraisemblablement pas été plaidé dans le cas qui nous occupe. Dans Demers, l'entrepreneur avait utilisé une méthode d’exécution fautive qui fut qualifiée d'erreur énorme.
La Cour suprême a décidé que, par son silence, l’ingénieur a implicitement approuvé la méthode inadéquate de l’entrepreneur, ce qui constitue une faute de la part de l'ingénieur engageant sa responsabilité envers l’entrepreneur. Cependant, la faute de l’ingénieur n'a pas eu pour effet de dégager l’entrepreneur de toute responsabilité et la majorité de la Cour suprême a édicté que la responsabilité soit partagée également entre entrepreneur et ingénieur.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Antonio Iacovelli par courriel à aiacovelli@millerthomson.com ou par téléphone au 514 871-5483.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 3 mars 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !