Les défis de la réfection d'une centrale hydroélectrique centenaire

9 juillet 2021
Par Mathieu Ste-Marie

Remettre à neuf une centrale hydroélectrique amène son lot de défis pour tout entrepreneur. Imaginez lorsque celle-ci est plus que centenaire et que les documents de construction et de maintenance sont inexistants !

C’est dans ce contexte que CIMA+ a entrepris, en 2018, la réfection de la centrale Gatineau 1, située sur la rivière des Outaouais, à deux pas du centre-ville de Gatineau et en face du Parlement d’Ottawa. La firme québécoise de génie-conseil a reçu ce contrat de Portage Énergie, une filiale d’Hydro Ottawa, qui a fait l’acquisition de cette centrale urbaine, quelques années plus tôt, afin de la rebrancher sur son réseau.

 

« Les travaux visaient à moderniser la centrale et à la protéger contre d’éventuels débordements de la rivière des Outaouais », explique Franz Kropp, directeur Production chez Portage Énergie.

 

Braver l’inconnu

Durant le dernier siècle, cette installation était la propriété de la papetière Domtar qui s’en servait pour alimenter ses usines. Au fil des décennies, la centrale s’est fragilisée et des travaux ponctuels ont été effectués. Cependant, CIMA+ n’avait aucune idée de la nature des travaux qui avaient été faits, aucune documentation à cet effet n’étant disponible. La réfection de la structure était donc difficile, confrontant les ingénieurs à l’inconnu.

 

« C’était un champ de mines ! Il y avait beaucoup d’inconnu, donc des risques, lors de la construction. Nous avons dû faire très attention afin d’effectuer les vérifications préalables pour intervenir et bien planifier le chantier », raconte Sébastien Vittecoq, vice-président Hydroélectricité, barrages et services géotechniques chez CIMA+. Étant donné l’état de la centrale, l’entreprise a d’emblée conseillé à Portage Énergie de la démolir et de la reconstruire. Or, puisque cette installation fait partie du patrimoine industriel, la décision a plutôt été de la réhabiliter et de la moderniser.

 

Sébastien Vittecoq, vice-président Hydroélectricité, barrages et services géotechniques chez CIMA+. Crédit : Courtoisie

 

Concrètement, CIMA+ a participé à la réhabilitation de la prise d’eau, du barrage, du bassin de mise en charge, des vannes en amont, du système de levage et d’autres structures hydrauliques connexes. L’entreprise a remplacé trois turbines, des régulateurs, le commutateur, le transformateur ainsi que l’appareillage électrique de 480 volts (V) par un appareillage de 600 V. Les ingénieurs ont également participé à la conception des batardeaux. En outre, d’importants travaux de génie civil en amont et en aval ont été réalisés par CRT Construction, une entreprise de Lévis.

 

Une inondation spectaculaire

En plus de naviguer en zone inconnue par manque d’informations sur la structure, il y avait très peu d’espace sur la centrale pour installer les équipements de construction, tels que les grues. Puis, comme si les défis n’étaient pas assez importants, la crue des eaux historique survenue au printemps 2019 a forcé la fermeture du chantier pendant deux mois. « Ces inondations assez exceptionnelles ont eu lieu alors que nous installions des batardeaux, se rappelle Sébastien Vittecoq. Nous avons eu peur qu’il y ait des dommages aux équipements dans la centrale. »

 

D’ailleurs, cette crue des eaux dans la région de la rivière des Outaouais est considérée comme l’événement météorologique le plus marquant de l’année 2019 par l’organisme Environnement et Changement climatique Canada. « Les niveaux de crue avaient alors dépassé ceux enregistrés en 2017 d’environ 20 pour cent », ajoute Franz Kropp. Heureusement, grâce aux récents travaux, la centrale sera protégée contre les futures inondations.

 

Partager les risques

Pour arriver à moderniser la centrale dans un contexte difficile, de nouvelles technologies, dont le scanner 3D, ont été utilisées. Toutefois, c’est principalement une gestion du projet novatrice qui retient l’attention. CIMA+ a convenu d’une entente avec Portage Énergie pour que la compagnie endosse le risque financier, une approche rarement utilisée dans les projets de réfection. « Quand il y a beaucoup d’inconnu dans un projet, il est difficile de penser que tous les risques puissent être transférés à l’entrepreneur. Le projet pourrait rapidement devenir un fiasco financier. »

 

Les travaux menés à la centrale Hull 2 devraient prendre fin dans le courant de l’été 2021. Crédit : Portage Énergie

 

Finalement, cette gestion de projet préconisée par CIMA+ s’est révélée payante. En effet, l’échéancier de deux ans a été respecté, malgré l’inondation et la pandémie, tout comme le budget évalué à 75 millions de dollars. L’entreprise souhaite maintenant que ce projet soit reconnu par l’Association des firmes de génie-conseil, qui remet des prix chaque année dans différentes catégories.

 

Inspirer l’industrie

Mais plus que tout, Sébastien Vittecoq aimerait que cette approche visant à laisser l’entrepreneur gérer tous les aspects du projet, sans qu’il prenne l’intégralité du risque financier qui y est lié, soit reproduite dans d’autres projets. « Les champs de mines, c’est coutume dans le domaine. Nous voulons changer la philosophie de gestion de projets de réfection d’infrastructures centenaires. »

 

Sébastien Vittecoq constate qu’il y a peu de construction de centrales au Canada. La plupart du temps, elles sont remises à neuf, car il est souvent plus économique de les moderniser. Ces dernières années, plusieurs projets de réfection ont effectivement été annoncés, notamment pour la centrale de Carillon à Gatineau, la centrale Rapide-Blanc à La Tuque et la centrale de l’Isle-Maligne à Alma.

 

Dans son cas, la centrale Gatineau 1, dont les travaux se sont terminés l’an dernier, n’aura plus besoin de réfection complète pour au moins les 75 prochaines années. Celleci repart donc sur de nouvelles bases, avec une meilleure documentation concernant l’installation et des travaux d’entretien plus réguliers.

 

UNE AUTRE CENTRALE REMISE À NEUF

Depuis 2018, CIMA+ assure la réhabilitation d’une autre centrale : Hull  . Construite en 1912 et située tout près de la centrale Gatineau 1, cette installation a aussi été acquise dans les dernières années par Portage Énergie. Moins vieille que sa voisine, cette centrale a donné moins de maux de tête à CIMA+.

« De façon globale, les structures étaient en bon état, même s’il y avait beaucoup de travaux à faire pour mettre la centrale aux normes », souligne Sébastien Vittecoq.

La rénovation de cette centrale devait être achevée en 2020, mais elle a été impactée par les importantes inondations de 2019 et par la pandémie. La fin des travaux est prévue pour cet été.

Notons qu’avec ses six centrales hydroélectriques situées aux chutes de la Chaudière, Portage Énergie dispose d’une capacité de production d’énergie verte de 128 mégawatts, soit assez pour alimenter 107 000 foyers par année.