Les immeubles en bois prennent de la hauteur

14 novembre 2024
Par Cynthia Bolduc-Guay

Vingt-cinq étages. Voilà le nouveau sommet du plus grand bâtiment en bois au monde à l’heure actuelle : l’Ascent, situé à Milwaukee aux États-Unis. Ce projet audacieux ouvre la porte à encore plus de bâtiments en bois de grande hauteur ici et ailleurs.

Cette tour résidentielle en bois ne sort pas de nulle part. Elle est le fruit d’une évolution qui a touché tant les produits structuraux que les mentalités et le savoir-faire des professionnels du bâtiment au cours des quinze dernières années.

 

« Ça a commencé en 2009 avec le Stadthaus, à Londres, qui s’élevait sur 9 étages », rappelle Louis Poliquin, directeur du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois). Depuis, des bâtiments de hauteur semblable se sont multipliés en Norvège, en Suède, en France, en Autriche et en Australie. Puis en 2017, le Québec a emboîté le pas avec le projet Arbora de 8 étages à Griffintown et l’immeuble à condos Origine de 13 étages à Québec, sans compter la résidence étudiante Brock Communs de 18 étages à Vancouver.

 

Chaque fois, les codes de construction ont évolué pour prendre en compte les dernières recherches sur le comportement au feu des structures en bois massif dans les bâtiments de grande hauteur.

 

De nouvelles possibilités

« Dans le code 2020 qui a été adopté récemment, il est maintenant permis de concevoir un bâtiment avec du bois exposé dans environ 30 % des superficies des unités », s’enthousiasme Louis Poliquin, qui y voit la possibilité d’utiliser l’esthétique incomparable d’une structure en bois pour rendre les espaces intérieurs plus attrayants, comme c’est le cas pour l’Ascent.

 

Louis Poliquin, directeur, Cecobois. Crédit : Cecobois

 

Dans ce projet, la structure de bois est visible de partout, à l’exception des salles de bain, des cuisines et des corridors. Pour démontrer l’attirance unique du matériau bois auprès des utilisateurs, Alejandro Fernandez, associé principal du bureau de Chicago de la firme d’ingénierie Thornton Tomasetti, qui a présenté le projet Ascent aux dernières Conférences Cecobois, raconte même que « lorsque les gens n’ayant jamais mis les pieds dans un bâtiment en bois entrent dans le bâtiment, la première chose qu’il veulent faire est d’aller le toucher ».

 

La nouvelle mouture du code du bâtiment prévoit également une nouvelle classe de bâtiment pour le bois massif : la construction en bois massif encapsulé (CBOME). Elle fait référence à un type de construction dont le niveau de sécurité incendie est obtenu par l’utilisation d’éléments en bois massif de dimensions minimales qui sont protégés par une encapsulation (par exemple, dans du gypse) et ayant un degré de protection thermique.

 

Le projet Ascent, qui s’élève sur 25 étages en bois à Milwaukee, aux États-Unis. Crédit : Courtoisie de Thornton Tomasetti

 

C’est la solution qui avait été préconisée dans le cas du projet Origine, le plus haut bâtiment en bois au Québec. Cette même exigence se retrouvait également dans le guide Bâtiments de constructionmassive en bois encapsulé d’au plus 12étages produit par FPInnovations pour la Régie du bâtiment du Québec et révisé en 2022.

 

Cette nouvelle reconnaissance de la résistance au feu des structures en bois dans le plus récent code du bâtiment fait écho aux tests en laboratoire réalisés pour le projet Ascent, ceux-ci ayant permis de prouver que la structure en bois pouvait conserver sa résistance mécanique pendant au moins trois heures en cas d’incendie.

 

De l’autre côté du pays, la Colombie- Britannique vient quant à elle d’adopter des mesures intermédiaires autorisant la construction en bois jusqu’à 18 étages. Cecobois s’attend à ce que le Québec suive cette tendance dans un proche avenir, d’autant plus que les codes et les programmes de certification du bâtiment s’intéressent de plus en plus au carbone intrinsèque.

 

Un pas vers la décarbonation

Issu d’une ressource locale et renouvelable, le bois est un des matériaux de construction ayant le plus faible impact carbone à l’heure actuelle. « Pour un bâtiment de 12 étages en bois versus en béton, on calcule au moins de 30 à 70 % de réduction du carbone intrinsèque uniquement pour la structure », illustre Louis Poliquin.

 

Le projet Ascent, qui s’élève sur 25 étages en bois à Milwaukee, aux États-Unis. Crédit : Courtoisie de KAA Design Group/Nairn Olker

 

Si aucun seuil de carbone n’est encore en vigueur au Québec, on s’attend à ce que ça devienne incontournable. Déjà, plusieurs pays d’Europe se sont dotés d’une réglementation afin de limiter l’empreinte carbone des matériaux utilisés dans la construction des bâtiments. Plus près de nous, les villes de Vancouver et de Toronto ont elles aussi pris des actions en ce sens. « Au Québec, où la production d’électricité est moins polluante, on ne peut plus se contenter uniquement d’améliorer l’efficacité énergétique pour réduire l’empreinte carbone de nos bâtiments. Le recours au bois permet de s’attaquer à la question du carbone intrinsèque dès maintenant », précise le directeur de Cecobois.

 

Construire plus vite

Un autre avantage de la construction en bois : son procédé à sec, qui ne nécessite aucun temps de cure. Alejandro Fernandez estime que l’utilisation d’une structure en bois pour 19 des 25 étages de l’Ascent a permis de réduire l’échéancier de construction d’environ deux mois comparativement à une structure comparable en béton.

 

Alejandro Fernandez, associé principal du bureau de Chicago, Thornton Tomasetti. Crédit : Gracieuseté de Thornton Tomasetti

 

Chaque poutre, chaque colonne et chaque panneau arrivaient au chantier déjà prépercés, de sorte qu’ils étaient prêts à être assemblés. Un modèle numérique permettait également de connaître avec exactitude l’emplacement de chaque vis. « Avec un bâtiment en bois, vous pouvez même commencer à placer vos façades après avoir terminé avec le bois et à mettre vos finitions », ajoute-t-il.

 

Alejandro Fernandez fait également remarquer qu’en raison des taux d’intérêt actuellement élevés, le temps de construction que fait gagner la structure en bois dans un projet de cette envergure est non négligeable. « Si vous pouvez commencer à avoir un retour sur investissement plus tôt, alors c’est plus facile à financer », estime-t-il.

 

En plus d’avoir un chantier plus court, le recours au bois nécessite aussi moins de travailleurs. Alejandro Fernandez précise que seulement 12 personnes ont travaillé à monter la structure en bois de l’Ascent, alors qu’environ 40 personnes auraient été nécessaires selon lui si la structure avait été en béton.

 

Un marché en effervescence

Certifié plus haut bâtiment hybride bois-béton au monde en 2022, l’Ascent continue de capter l’attention partout dans le monde, porteur de nouvelles possibilités. Plusieurs projets de 12 ou 13 étages en bois sont d’ailleurs sur les planches à dessin au Québec.

 

Du côté de Thornton Tomasetti, d’autres projets de construction multiétagés en bois sont déjà en branle. Alejandro Fernandez a même dévoilé le prochain niveau du projet Ascent : le projet Edison, lui aussi à Milwaukee. Prévu quelques mètres plus loin que son prédécesseur, ce bâtiment s’élèvera à plus de 30 étages en 2027.

 

Mais d’ici là, un autre projet pourrait bien le dépasser : le quartier général d’Atlassian, qui surplombera la ville australienne de Sydney du haut de ses quarante étages. Présentement en construction, ce bâtiment novateur de bois, de béton et de verre sera une nouvelle occasion de tirer vers le haut le savoir-faire et l’innovation en matière de construction en hauteur à faible empreinte carbone.