Le building information modeling (BIM) en bâtiments figure comme une pratique de plus en plus courante au Québec. Le gouvernement souhaite d’ailleurs voir apparaitre la modélisation dans tous ses projets de construction, et ce, dans un avenir rapproché. Mais qu’en est-il du BIM en infrastructures ?
Approche technologique qui concentre en un même point les données d’un projet et qui permet de les partager entre les différents intervenants impliqués, le BIM optimise non seulement l’industrie de la construction, mais y prône l’adoption d’une culture collaborative. « Le BIM vise à connecter les expertises nécessaires à la réalisation d’un projet de qualité. Il souhaite faire collaborer des experts qui, dans un mode traditionnel de conception, ne collaboreraient pas autant », explique Simon Brodeur, directeur général du Groupe BIMdu Québec.
Cet organisme à but non lucratif (OBNL) travaille sur le plan stratégique et essaie d’amener les donneurs d’ouvrage et les autorités du secteur à mettre en place le processus collaboratif que représente le BIM. « Le groupe accompagne les communautés qui réalisent des projets dans leur virage numérique, que ce soient les architectes, les entrepreneurs ou les donneurs d’ouvrage », ajoute le directeur général.
Désireux de voir s’actualiser l’industrie de la construction, le ministère de l’Économie a commencé à financer un projet opéré par le Groupe BIM du Québec : l’Initiative québécoisepour la construction 4.0 (IQC 4.0).
Son objectif ? Réaliser des diagnostics au sein d’un grand nombre d’entreprises afin de dresser le bilan de leurs capacités et de leur orientation pour ensuite élaborer une mise en place du virage numérique à l’interne. « Elles pourront ensuite être conseillées sur un plan de déploiement numérique adapté à leur organisation », précise-t-il. Ainsi, le gouvernement du Québec montre son désir d’accélérer le virage numérique dans le secteur de la construction afin d’en améliorer la productivité et de hausser la qualité des projets livrés.
Après les bâtiments, les infrastructures
Les balbutiements du BIM en bâtiments remontent au tournant des années 2000 et c’est tranquillement que l’industrie de la construction l’a intégré à ses pratiques. En infrastructures, il demeure nettement moins répandu pour l’instant. Pourtant, les informations recueillies et toute la géométrie 3D du modèle, surnommé « le jumeau numérique », viendraient sans doute optimiser aussi la construction des infrastructures.
« Avec le BIM, ce sont les mêmes principes qui s’appliquent dans le cas des infrastructures. Toutefois, on se trouve dans un univers différent. Les infrastructures sont des objets de beaucoup plus grande envergure que les bâtiments », mentionne Simon Brodeur. « À l’heure actuelle, il y a des limites techniques et professionnelles à ce qu’on peut réaliser dans le BIM. » Les logiciels restent pour l’instant limités.
De plus, l’infrastructure se doit d’épouser un plan d’arpentage clair et elle comporte une partie souterraine non négligeable. « C’est facile de modéliser un bâtiment et de le placer dans l’espace. C’est beaucoup plus complexe lorsqu’on fait un pont, par exemple, d’avoir des données extrêmement précises par rapport au sol, au souterrain, aux rives, etc. », illustre le représentant du Groupe Bim. Le tout demande donc un travail de précision et des professionnels outillés pour le faire, peu présents actuellement dans l’industrie. « La Société québécoise des infrastructures (SQI) a mis en place depuis plusieurs années une feuille de route qui a permis d’avoir des jalons et des cibles dans le temps. Elle a aussi des plans de gestion BIM avec des définitions claires de ce qui est attendu », indique Simon Brodeur. Des discussions avec le gouvernement ont cours pour que d’autres donneurs d’ouvrage emboitent le pas à la SQI.
Au Québec, on trouve tout de même déjà quelques exemples d’infrastructures construites à l’aide du BIM. « Une belle grande entreprise d’État qui s’appelle Hydro-Québec modélise ses barrages depuis plusieurs années, avec une grande précision et une grande coordination à l’interne, lors de la conception », soutient le directeur général du Groupe BIM. Avec les années, la société a gagné en expérience et est arrivée à produire des modèles permettant de planifier des chantiers, de calculer des quantités, de vérifier l’entièreté des charges, etc. Néanmoins, il s’agit d’un écosystème, qui détient pratiquement le monopole de son secteur et qui peut contrôler presque toutes les variables.
« En génie civil, par exemple, on retrouve plusieurs compagnies qui travaillent sur de très grands projets et dans des bureaux de dessins séparés utilisant des logiciels différents », souligne-t-il. Impossible, donc, d’y répliquer pour l’instant ce qui est fait chez Hydro-Québec.
Charmer les donneurs d’ouvrage
Investir dans le BIM est exigeant, demande du temps et de l’argent aux entreprises. La clé réside donc dans l’optique d’y trouver des gains. « Il n’y a pas nécessairement une nécessité pour les entreprises du secteur des infrastructures d’utiliser le BIM. Si on veut voir évoluer ces pratiques, il faut d’abord que l’industrie en perçoive les gains, que les donneurs d’ouvrage établissent des cibles à atteindre pour que ce soit mesurable. Et il faut donner la chance à tous de s’adapter à cette approche de travail collaboratif et les accompagner afin qu’ils en aient une meilleure compréhension et se l’approprient », soutient Simon Brodeur.
Néanmoins, certains acteurs du milieu tombent déjà sous le charme, dont David de Koning, ingénieur en structure et associé chez la firme d’ingénierie Arup. Le Groupe BIM a pris soin de recruter cet expert afin qu’il siège à son conseil d’administration. « Le BIM en infrastructures est un outil qui permet d’obtenir de meilleurs résultats dans nos projets. Et ces derniers sont ainsi mieux adaptés à la communauté et dureront plus longtemps », explique David de Koning. Au Canada, l’ingénieur a utilisé la modélisation pour concevoir l’extension de la ligne Eglinton Crosstown, à Toronto; l’Edmonton Valley Line, en Alberta; et le tunnel piétonnier de l’aéroport Billy Bishop, aussi dans la Ville Reine. Aujourd’hui, il participe à la construction du tramway de Québec. « J’assiste les équipes dans ma capacité de spécialiste en optimisation, je les aide à mettre en place à l’interne les bons processus », ajoute-t-il.
Pour cet ingénieur, le BIM en infrastructures deviendra éventuellement un incontournable. Il croit même qu’il serait encore plus bénéfique de l’utiliser en infrastructures qu’en bâtiments : « Contrairement aux bâtiments, ceux qui construisent les infrastructures et ceux qui les gèrent par la suite sont les mêmes personnes. La gestion des cinquante ou cent années de vie d’une infrastructure peut se faire d’une façon très pratique grâce au BIM ». Il permet en effet de conserver toutes les informations d’une infrastructure, de sa conception jusqu’à son opération.
Sa base de données commune et son histoire complète et actualisée se trouvent ainsi juste au bout des doigts de chaque intervenant. Simon Brodeur croit aussi que le nombre de projets d’infrastructures réalisés sur BIM ira en s’accroissant, mais réitère un point important : « Aucun donneur d’ouvrage ne peut exiger du BIM si l’industrie n’est pas capable de le livrer. L’idée est donc de progressivement augmenter les souhaits et finir par des exigences et des cibles à atteindre ».
Comme ce fut le cas pour les bâtiments, l’industrie s’adaptera donc graduellement. Ainsi, elle développera les compétences et le savoir-faire pour être en mesure de livrer des projets dans l’approche collaborative que représente le BIM.
Créé dans la foulée de l’avènement du logiciel de conception de bâtiments Revit, le groupe existe depuis le début des années 2000. Des professionnels enthousiasmés par le BIM et issus du milieu de l’architecture, de la construction et des technologies souhaitaient aborder ensemble l’utilisation et la mise en place du numérique pour améliorer le partage d’information et réaliser des exploits techniques. Au cours des dernières années, l’orientation de l’OBNL a changé afin de travailler davantage sur le plan stratégique. Aujourd’hui, il oeuvre entre autres à accompagner les donneurs d’ouvrage et les autorités du secteur dans le déploiement du BIM.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2021. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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