Le Parlement du Canada : un casse-tête géotechnique

4 novembre 2022
Par Aurélie Beaupré

L’édifice du Centre du parlement canadien fait l’objet d’une réhabilitation patrimoniale d’envergure, possiblement la plus complexe jamais entreprise au pays. À cela vient s’ajouter les travaux d’excavation, qui donnent toute sa complexité au projet.

Depuis 2020 et pour la prochaine décennie, des améliorations majeures seront réalisées sur l’édifice du Centre, qui héberge le Sénat du Canada, la Chambre des communes et la Bibliothèque du Parlement, ainsi que sur la Tour de la Paix qui, pour sa part, s’élève à une hauteur de 100 m. Différents travaux de maçonnerie, de ferronnerie, de remplacement des systèmes mécaniques, électriques et informatiques, de modernisation, de restauration et de construction, entre autres, auront lieu sur ces bâtiments. Mais c’est la composition géologique du terrain sur lequel ils sont érigés, plus précisément la nature du socle rocheux, qui semble toutefois causer plus de maux de tête aux différentes équipes du projet.

 

Des travaux d’excavation pavés de défis

Le massif rocheux situé sous le Parlement du Canada consiste en une roche calcaire issue de la formation Lindsay en surface, tandis qu’au niveau des excavations, une autre formation sousjacente est présente : la formation Verulam. D’un point de vue géologique, la différence entre ces deux formations se situe notamment sur l’épaisseur des lits de shale et la granularité du calcaire. Heureusement, d’un point de vue géomécanique, les propriétés des deux formations seraient relativement similaires.

 

Les excavations sous l’édifice du centre atteindront une profondeur de 23 mètres. Crédit : Centrus

 

Des joints et des failles parsèment aussi le socle rocheux. En effet, en plus des joints formés le long du litage dans le roc, deux familles de joints verticaux sont présentes sur le site. À cela s’ajoute une faille traversant les excavations et passant sous le Centre – qui a été détectée pendant les investigations et observée lors des premières excavations –, tandis qu’une deuxième faille est présente à la limite sud-ouest de l’excavation, sans toutefois affecter les structures existantes de l’édifice du Centre. C’est dans ce contexte que seront réalisés des travaux d’excavation majeurs, atteignant jusqu’à 23 m !

 

Ces derniers permettront la construction du nouveau centre d’accueil souterrain composé de trois étages. « Les travaux auront lieu relativement près des fondations du bâtiment existant, soit à moins d’un mètre à certains endroits », explique David Feghali, chef de discipline adjoint en géotechnique chez WSP et participant au projet au sein du consortium CENTRUS. Comme il s’agit d’une structure possédant une forte valeur patrimoniale, l’endommagement de celle-ci doit à tout prix être évité, et ce, en dépit de la proximité des travaux et de la faible tolérance aux déformations présentée par le socle rocheux où elle se trouve.

 

David Feghali, chef de discipline adjoint en géotechnique chez WSP et participant au projet au sein du consortium CENTRUS. Crédit : WSP Canada

 

En effet, trois millimètres de tassement et cinq millimètres de mouvements latéraux du roc suffiraient à engendrer une fracture et, ainsi, endommager la structure patrimoniale. De ce fait, les mouvements dans les faces d’excavations devront donc être limités, afin d’éviter de causer des dommages aux structures du bâtiment existant.

 

Une stratégie solide comme le roc

Pour ce faire, une nouvelle technique a été employée. Tirant parti de la présence de couches de cendres volcaniques – appelées K-bentonites – dans la masse rocheuse, celleci a été appliquée pour évaluer la structure des calcaires du groupe de Trenton de la plate-forme du Saint-Laurent, qu’on retrouve dans la plupart des grands centres urbains, de Kingston à Québec. Les lits de K-bentonite constituent des marqueurs stratigraphiques spécifiques qui peuvent être détectés en forage à l’aide de la diagraphie gamma.

 

Ces marqueurs peuvent notamment être utilisés pour déceler les discontinuités géologiques. Cette méthode a d’ailleurs permis de noter la présence de la faille observée sous l’édifice du Centre, avant même de pouvoir l’observer pendant les excavations. D’autre part, les fondations existantes seront supportées par des pieux temporaires et le transfert des charges sera effectué à la fin des travaux d’excavation. Les nouvelles fondations reposeront sur des isolateurs sismiques, afin de mettre à niveau le bâtiment pour répondre aux exigences du code du bâtiment en cette matière.

 

« En s’assurant de respecter le support rocheux spécifié, la santé et la sécurité des travailleurs sont préservées. Le support rocheux a aussi été spécifié afin de minimiser le risque de défaillance dans la structure patrimoniale de l’édifice du Centre », explique le chef de discipline adjoint en géotechnique. De plus, un système de surveillance et d’observation détaillé a été établi, notamment à l’aide d’instrumentation au niveau du roc, mais aussi sur le bâtiment. L’instrumentation mesure notamment les mouvements quotidiens et permet de corréler les données avec les mouvements prédits sur les modèles géotechniques déjà en place. Une équipe en géotechnique serait aussi présente en permanence sur le chantier pour s’assurer d’observer les travaux et répondre à toute question ou imprévu notés par l’entrepreneur général.

 

« Nous devions nous assurer d’être sur la même page que toute l’équipe multidisciplinaire, en structure, architecture, afin de proposer au client une conception optimale pour les nouvelles installations », ajoute David Feghali. En ayant adopté une approche des travaux phasée, une interaction maintenue est possible entre les équipes de conception et de construction. Cette démarche permet ainsi à l’équipe multidisciplinaire d’apporter des changements au projet en plus de vérifier les résultats de la conception à l’aide des observations du système d’instrumentation mis en place. « Le projet peut être une source d’inspiration dans le modèle de travail établi, notamment pour les méthodes d’investigation utilisées et les essais réalisés, ainsi que la synergie de l’équipe géotechnique- structure-architecture », conclut-il.

 

PROTÉGER LE PATRIMOINE

Afin de permettre le début de l’excavation, le mur de Vaux a été démonté. Il s’agit du mur de soutènement en pierre qui longe habituellement les deux côtés de l’escalier menant à l’édifice du Centre. Pour ce faire, chaque pierre a été étiquetée et l’emplacement de chacune d’entre elles a été noté. Ainsi, les pierres d’origine seront entreposées et réutilisées pour reconstruire le mur.