REM : pratiques innovatrices... et inusitées

9 juillet 2021
Par Elizabeth Pouliot

Poutres de lancement, ponts lancés, techniques de forage inusitées : petit tour d’horizon de certaines innovations qui sauront peut-être inspirer d’autres chantiers.

Système de conduite automatique d’une complexité technique inouïe usant de technologies ferroviaires importées d’Europe et mobilisant une quantité impressionnante de ressources afin que soient complétés des travaux d’envergure dans un environnement dense et urbain, le tout en un temps record, le REM figure comme une tâche colossale aux nombreux défis. « Quand on l’a développé, on était bien conscients de tous ces éléments. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’il fallait faire en sorte que tous les talents retenus soient exploitables au maximum pour arriver à l’objectif », confie Christian Ducharme, vice-président Ingénierie pour CDPQ Infra.

 

Christian Ducharme, vice-président Ingénierie pour CDPQ Infra, crédit :  REM  et Stefan Balan, directeur du segment Sainte-Anne-de-Bellevue et de l’aéroport, crédit :  NOUVLR

 

Il s’agira du deuxième système de transport léger sur rails au Canada. Le REM va toutefois plus loin que son prédécesseur. Il est d’abord plus grand que celui de Vancouver et sa configuration surprend : trois branches convergent sur une seule. CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, agit à titre de donneur d’ouvrage dans ce projet titanesque de 6,5 milliards de dollars. Et c’est dès les appels d’offres qu’elle a dressé la table à l’innovation et à la créativité en donnant le plus de latitude possible aux soumissionnaires. « On leur a donné carte blanche sur les méthodes, explique Christian Ducharme. Ç’a fait en sorte qu’on a attiré des entreprises internationales de par l’ampleur du projet qui se sont ensuite associées à des entreprises locales. »

 

Au fil d’un long et complexe processus d’appels d’offres, NouvLR a été sélectionné comme entrepreneur général. Ce groupe se compose de SNC-Lavalin, Dragados Canada, Groupe Aecon Québec, Pomerleau et EBC.

 

Des coéquipières exemplaires

À la fois aérien, de surface et souterrain, le REM se divise en quatre sections : le tronçon principal partant de Brossard et traversant le centre-ville ainsi que les antennes Deux- Montagnes, Anse-à-l’Orme et YUL-Aéroport-Montréal- Trudeau. Pour prêter main-forte à la construction de la partie aérienne de 14,5 km de long qui longe l’autoroute 40 entrent en jeu deux coéquipières majeures : Anne et Marie, des poutres de lancement qui oeuvrent sur le segment Sainte-Anne-de-Bellevue, sur l’antenne Anse-à-l’Orme.

 

Deux poutres de lancement, surnommées Marie et Anne, construisent simultanément la structure aérienne. Crédit :  REM/NOUVLR

 

Mesurant chacune 110 m de long et pesant 580 tonnes (t), elles peuvent toutes les deux supporter un poids de 600 t. Grâce à elles, les fermetures de route sont majoritairement évitées. De plus, ces poutres de lancement optimisent grandement la construction des ponts. Travaillant 6 jours par semaine, 24 heures sur 24, elles réussissent à construire une travée en seulement deux jours. « Elles assemblent les travées, chacune étant composée de 11 ou 13 voussoirs », indique Stefan Balan, directeur du segment Sainte- Anne-de-Bellevue et de l’aéroport.

 

Les voussoirs en question font aussi partie de l’innovation. Préfabriqués dans une usine de Saint-Eugène-de-Grantham, ils sont au nombre de 4 100 sur le réseau et tous uniques. Arrivés à destination, l’une des poutres de lancement se charge de les soulever. Des employés s’attardent ensuite à les accrocher les uns aux autres à l’aide de colle et de câbles. Et c’est seulement une fois la travée complétée que la poutre se retire, cheminant ainsi jusqu’à la fin de son tronçon. « Il s’agit d’une nouveauté au Québec, note Stefan Balan. Aujourd’hui maitrisée, c’est une méthode qui a fait ses preuves pour la première fois en 1946 en France. Elle peut être adaptée à une multitude de fabrications », termine-t-il.

 

Braver le courant

Cinq ponts totalisant 1,16 km de distance s’intègrent au tracé du REM. Reliant Montréal à l’ile Bigras, à Laval, l’un d’entre eux use d’une technique particulière pour sa construction : celle du pont lancé, utilisée de temps à autre au Québec.

 

Habituellement, la fabrication d’un pont enjambant un cours d’eau nécessite des équipements marins tels que des barges et des remorques. Avec la technique du pont lancé, il devient possible de construire en partie le pont sur une des deux rives et de le pousser ensuite au-dessus de l’eau, après, bien sûr, que les piliers ont été installés dans l’eau à l’aide de pieux forés.

 

« Ça permet de faire une pierre deux coups, soit de lancer la structure sans avoir besoin d’équipements sur l’eau et d’installer le tablier du pont », précise Giovanni Cipolla, directeur du segment Deux-Montagnes du REM.

 

Giovanni Cipolla, directeur du segment Deux-Montagnes du REM, crédit :  NOUVLR et Thomas Noël, gestionnaire de projet Infrastructure pour le REM, crédit :  REM.

 

Mais pourquoi ne pas opter pour la méthode traditionnelle ? La particularité de cet emplacement est venue changer la donne. Il s’agit d’une zone où le courant est puissant, ce qui peut nuire à la réalisation des travaux et augmenter le risque d’accidents de travail.

 

Édouard-Montpetit : une station à part

La dernière prouesse technique du REM se situe 70 m sous terre. Profonde d’une vingtaine de mètres seulement, l’actuelle station de métro Édouard-Montpetit de la Société de transport de Montréal (STM) fera aussi partie du tronçon principal du REM.

 

Pourquoi creuser davantage ? Le réseau souhaite utiliser les infrastructures déjà en place du tunnel Mont-Royal, situé à 70 m sous le niveau du sol. « Il fallait trouver une manière de venir se brancher en gênant le moins possible et en ayant le moins d’impacts possible. La solution retenue, c’était de faire un petit édicule et des galeries qui vont permettre d’accéder à ce tunnel existant », souligne Thomas Noël, gestionnaire de projet Infrastructure pour le REM. Une telle entreprise frôle l’extraction minière : faire entrer et sortir les équipements et les matériaux, transporter la roche excavée, garder un haut niveau de sécurité pour les travailleurs et contrôler les vibrations occasionnées par le dynamitage.

 

Bâtissant un véritable immeuble sous terre dans un quartier non seulement résidentiel, mais dense, tout près des infrastructures de la STM et des aqueducs de la Ville de Montréal, NouvLR a opté pour le forage aligné. L’équipe a ceinturé les volumes à excaver, a percé des trous sur tout le périmètre à dynamiter et y a inséré des explosifs. « Ce type de forage utilisé aussi ailleurs vient jouer un rôle d’atténuateur de vibrations », dit Thomas Noël. En créant ces forages alignés autour de la zone à excaver, l’impact aux infrastructures présentes s’est vu réduit.

 

Que ce soit le long de l’autoroute 40, à Laval, ou dans le tunnel Mont-Royal, les travaux du REM progressent à vitesse grand V et respectent pour l’instant leur échéancier. À travers leurs techniques innovantes, les acteurs impliqués créent ou développent différentes expertises qui pourraient être ensuite répliquées. En positionnant l’innovation au coeur de leurs conceptions puis de leurs réalisations, ils pourraient ainsi tracer la voie à d’autres projets de construction et même, pourquoi pas, révolutionner l’industrie dans la province.

 

« Les temps changent, les professionnels sont souvent mieux placés que nous pour imaginer comment réaliser les choses », conclut Christian Ducharme. En attendant la révolution, les essais commerciaux commenceront sous peu sur les rails du REM et des trains à haute vitesse parcourront bientôt la Rive-Sud et le pont Champlain. Les premiers passagers, quant à eux, devraient investir le tronçon principal au printemps ou à l’été 2022. Les attentes, très élevées, seront-elles remplies ? Seul l’avenir dira si le REM était, oui ou non, sur la bonne voie.

 

UNE ROCHE CIRCULAIRE

La fameuse station Édouard-Montpetit qui se rend à 70 m de profondeur sera la plus profonde au Canada et la deuxième en Amérique du Nord. À Montréal, c’est actuellement la station Charlevoix qui descend le plus en profondeur, soit à un timide 29,6 m. L’excavation de la station Édouard-Montpetit entraine cependant de gigantesques quantités de gravats à déplacer. NouveLR a toutefois découvert que la roche dynamitée possède en fait des qualités intéressantes. L’entreprise récupère donc ce que l’on surnomme le « moque », le refaçonne et le concasse afin d’en faire du ballast pour les futurs trains et des matériaux de remblais, réutilisant le tout ailleurs sur le REM.