Utilisation de l’intelligence artificielle dans les travaux d’excavation

9 juillet 2021
Par Elizabeth Pouliot

Conduites d’eau ou de gaz, câbles de télécommunication, pipelines : bien des infrastructures sont enfouies dans le sol, risquant de se briser lors de travaux d’excavation. Les données actuellement disponibles manquent de précision. Mais l’intelligence artificielle pourrait venir changer la donne et révolutionner l’excavation.

Que l’on souhaite agrémenter sa cour d’une piscine creusée ou bien enfouir un énorme pipeline, le problème reste le même : qu’est-ce qui se trouve déjà dans le sol ? Au Québec, rien n’oblige, à l’heure actuelle, les propriétaires d’infrastructures de mentionner leurs actifs enfouis, pas plus que les entrepreneurs ou les particuliers ne sont tenus de partager le fait qu’ils comptent excaver un site donné. Conscients néanmoins des risques et des couts liés à d’éventuels bris d’équipements, bien des propriétaires d’infrastructures, tels que Bell, Vidéotron, Hydro-Québec ou Énergir, confient leurs précieuses données à Info-Excavation, un organisme à but non lucratif (OBNL) oeuvrant à prévenir les dommages causés aux infrastructures souterraines. Sur pied depuis 1992, celui-ci dessert non seulement le Québec, mais également les provinces atlantiques. « On traite les demandes de localisation des entreprises et des particuliers, mais on fait aussi de la sensibilisation », explique Denis Courchesne, président et chef de la direction depuis dix ans.

 

Denis Courchesne, président et chef de la direction chez Info-Excavation. Crédit : Michel Chamberland

 

Tout citoyen ou entrepreneur qui souhaite excaver un site peut donc communiquer avec Info-Excavation et profiter gratuitement de ses services. Partant de la demande logée, l’OBNL note quels sont les propriétaires d’infrastructures présents à l’endroit choisi. Il en avise ensuite l’entrepreneur. C’est alors que l’on voit apparaitre sur place des fanions colorés et des traits de peinture au sol découlant du marquage de chaque propriétaire d’infrastructures impliqué. Un code international détermine les couleurs indiquant chaque type d’infrastructures souterraines. « Chaque compagnie fournit aussi à l’entrepreneur ou au particulier un croquis de l’endroit pour lui expliquer exactement où ses actifs se trouvent », précise Denis Courchesne. Celui qui souhaite excaver peut ainsi planifier ses travaux en toute connaissance de cause, tandis qu’Info-Excavation compile, de son côté, tous ces croquis afin de garnir sa base de données.

 

Un procédé actuellement imprécis

La façon de procéder actuellement fonctionne, mais n’est pas optimale. Historiquement, les propriétaires d’infrastructures ont bâti de multiples réseaux dans le sol, selon des règles et des standards qui diffèrent de ceux d’aujourd’hui. De nos jours, une nouvelle installation est aussitôt géoréférencée puis localisée. Dans un monde idéal, tout ce qui est présent, au-dessus comme au-dessous du sol, pourrait cependant être constaté en réalité augmentée.

 

« Pour y arriver, ça prend des données très, très précises, ce qui n’est pas le cas quand on parle d’installations aménagées il y a plusieurs années », mentionne le président d’Info-Excavation. De ce fait, à l’heure actuelle, les propriétaires d’infrastructures ajoutent des zones de sécurité près des infrastructures existantes afin de s’assurer de ne pas les endommager. Par exemple, une entreprise de télécommunication compte 10 mètres (m) de chaque côté de ses câbles, ce qui crée une bande de 20 m de large à considérer lors des travaux. « Les plans ne sont pas exactement à jour, ni toujours précis », confirme Jan Peeters, président et directeur général d’Olameter, qui gère et surveille les actifs enfouis et les données de plus de 300 services de distribution au Canada et aux États-Unis. Ayant les mêmes enjeux à coeur mais des expertises différentes, Info-Excavation et Olameter ont décidé de s’unir afin d’accroitre la précision de l’emplacement des infrastructures dans le sol à l’aide de l’intelligence artificielle

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Jan Peeters, président et directeur général d’Olameter. Crédit : Gracieuseté

 

« Grâce à ces bases de données optimisées, l’entrepreneur ou le particulier recevra la cartographie des réseaux de chacun des propriétaires d’infrastructures. Tous les réseaux seront superposés en couches sur une carte. Cette sorte d’excavation virtuelle permettra de trouver avec précision quels sont les propriétaires d’infrastructures qui entrent en conflit avec la zone de travail », explique le président d’Olameter. Bien sûr, la bonne marche d’un tel projet dépend des membres d’Info-Excavation, qui devraient impérativement signaler tous leurs actifs enfouis. « L’idée, avec l’intelligence artificielle, c’est d’arriver à réduire la bande de sécurité et de le faire d’un seul coup », indique Denis Courchesne.

 

Une coopération intelligente

C’est Info-Excavation qui a contacté Olameter, mais ce dernier avait déjà en tête un tel projet. « Ils nous ont demandé si on était intéressés à travailler conjointement dans le but de convertir des croquis en informations numérisées pouvant être intégrées dans un système d’information géographique », explique Jan Peeters. Son équipe et lui y travaillent donc depuis quelques années, la technologie en étant toujours à la phase de recherche. Les spécialistes impliqués prennent des photos, numérisent les actifs, utilisent Google Street View et se réfèrent à des bases de données qui existent en Amérique du Nord pour répertorier les fondations à l’aide d’analyse de lots et de cadastres. « On met tout ça ensemble à travers des systèmes d’intelligence artificielle. C’est entré dans une base de données qui est rafraichie chaque fois qu’un technicien procède au marquage », détaille-t-il.

 

Pour l’instant, 127 demandes sur 174 ont pu être interprétées grâce à ce qui est appelé « un pipeline de logiciels », c’est-à-dire une série de logiciels qui analysent une image. L’intention étant de se rendre à 10 000, puis 50 000 et ainsi de suite. Au Canada et aux États-Unis seulement, 250 millions d’investigations, c’est-à-dire de recherches de localisation d’infrastructures souterraines, se font chaque année, et les propriétaires d’infrastructures, au Québec, comptent près de 500 000 croquis chacun. Selon les futures conclusions de leurs recherches, obtenues en numérisant ce qui est fait en arpentage sur un site donné et en consultant les arpentages réalisés dans le passé, Denis Courchesne et Jan Peeters souhaitent offrir un service général et complet à tout individu qui en aurait besoin. Et la province serait le premier endroit au monde où de telles recherches sont menées. « Le Québec, c’est l’endroit où on a la meilleure chance de démontrer le concept à l’échelle d’un État », croit fermement Jan Peeters.

 

Les deux collaborateurs du projet rappellent cependant l’utilité première d’organismes tels qu’Info-Excavation : prévenir les bris. Cela peut aller d’un simple fil coupé à une fuite de gaz ou à un déversement de pétrole, si on pense aux pipelines. « Parce qu’il y en a énormément, de dégâts, quand quelqu’un procède à une excavation », dit le président d’Olameter. « Et il y a des couts reliés à ça, sur le plan de l’activité, mais aussi sur le plan réputationnel et social », renchérit Denis Courchesne.

 

Le développement de l’intelligence artificielle dans la détection d’infrastructures souterraines permettrait donc d’éviter bien des ennuis, autant aux citoyens et aux municipalités, qu’aux travailleurs et à leurs entreprises. Ainsi, moins de demandes seraient formulées aux propriétaires et leurs employés ne se déplaceraient plus systématiquement sur les sites pour procéder au marquage. Les usagers recevraient donc des réponses plus rapides en plus de gagner en autonomie. Dans le futur, la réalité augmentée profiterait alors de toutes les données précises nécessaires à son apparition.

 

À QUAND UNE LÉGISLATION AU QUÉBEC ?

Partout aux États-Unis et en Ontario, une législation encadre la prévention des dommages aux infrastructures souterraines. Et dans tous ces endroits, les trois principes de base sont les mêmes :

  1. Tous les propriétaires d’infrastructures souterraines doivent être membres d’un centre comme Info-Excavation.
  2. Toute excavation doit être précédée d’une demande de localisation des infrastructures souterraines.
  3. Une province ou un État reconnait l’existence d’un centre de prévention des dommages sur son territoire qui peut gérer le volume des demandes.

Pour l’instant, au Québec, rien de tel n’existe. Info-Excavation, ses membres et ses partenaires ont depuis longtemps entamé des démarches et des discussions en ce sens. Ils craignent toutefois qu’un important dommage devra d’abord se produire avant que les instances gouvernementales concernées, souvent réactives, n’aillent de l’avant.