La ligne est parfois mince entre l’information qui doit être divulguée par le donneur d’ouvrage et celle que l’entrepreneur doit obtenir par ses propres moyens.
Dans une affaire récente, la Cour supérieure s’est penchée sur les limites du devoir d’information du donneur d’ouvrage public, en l’occurrence le MTQ, lorsqu’aucune étude géotechnique n’a été transmise aux soumissionnaires dans les documents d’appel d’offres.
Les conditions différentes : pouvaient-elles être anticipées?
En mai 2018, le ministère des Transports du Québec (MTQ) publie un appel d’offres pour la réparation de deux ponts dans la ville de Gatineau. Les travaux visaient à solidifier la structure des deux ponts. Construction BSL inc. (BSL) obtient le contrat.
Pour effectuer les travaux, l’entrepreneur doit procéder à une excavation de neuf à dix pieds jusqu’aux semelles pour installer de nouvelles colonnes de béton.
BSL s’est déplacée pour inspecter l’état des lieux avant d’obtenir le contrat. Toutefois, aucune étude géotechnique n’a été réalisée ou fournie par le MTQ dans les documents d’appel d’offres.
Un aspect est cependant connu de tous, un ruisseau passe sous les ponts et à seulement quelques mètres du lieu des travaux. L’utilisation de pompes standards avait donc été prévue pour faire face à l’accumulation d’eau.
Lors de l’excavation, BSL fait la découverte de grosses roches, alors qu’elle s’attendait plutôt à trouver du MG-20 comme remblai. L’eau s’infiltre en grande quantité et les pompes prévues ne s’avèrent pas suffisantes. L’installation d’un batardeau devient donc nécessaire.
Face à cette quantité d’eau que BSL n’avait pas anticipée, elle demande au MTQ une étude géotechnique. Le MTQ refuse de produire cette étude en répondant qu’il était prévisible que de l’eau s’infiltre vu l’emplacement des travaux.
Céder au chantage
L’ensemble des problèmes rencontrés lors des travaux amena BSL à transmettre plusieurs demandes de modification technique (DMT) en vertu desquelles elle réclame 416 000 $. BSL reçoit 37 500$ et poursuit le MTQ pour le reste de la réclamation.
Le MTQ prétend que la réclamation de 82 000 $ en lien avec la gestion des eaux est réglée puisque BSL a accepté le montant de 37 500 $. Or, la preuve révèle que cette acceptation a été faite sous pression.
En effet, BSL devait faire un choix entre accepter le paiement de 37 500 $ ou produire un avis d’intention de réclamer qui mènerait à des pénalités de retard de 80 000$. La Cour est d’avis que cette proposition ne permettait pas à BSL de faire un choix libre et éclairé. La façon de procéder du MTQ équivaut à du chantage qui ne peut être toléré.
Tracer la ligne du devoir de renseignement
Dans un projet de construction, il appartient à l’entrepreneur de supporter le risque des imprévisions qui peuvent survenir en cours de projet. L’entrepreneur doit vérifier par lui-même les conditions du site pour anticiper les imprévisions.
Le donneur d’ouvrage qui, comme le MTQ, dispose d’une grande expertise, doit pour sa part renseigner l’entrepreneur en lui fournissant des plans représentatifs de la réalité pour ne pas fausser le risque de l’entrepreneur.
En l’espèce, la preuve révèle que le MTQ a faussé le risque de BSL, mais que ce dernier n’a pas été prudent.
En effet, le concepteur du projet a omis d’informer BSL que des pompes d’une certaine puissance étaient nécessaires. De plus, en omettant de réaliser une étude géotechnique, le MTQ a manqué à son obligation de renseignement. La Cour se réfère aux décisions rendues dans des contextes similaires pour déterminer que les conditions du site entrainaient l’obligation de fournir une étude géotechnique. Le fait que les travaux demandés soient seulement des travaux de réfection de ponts déjà existants n’entraîne pas une exemption du MTQ de fournir une étude géotechnique.
Par contre, BSL n’a pas cherché à obtenir l’information quant au type de remblai utilisé alors que c’était son premier projet dans ce genre de conditions (réfection de ponts existants). En plus d’avoir manqué à son devoir de vérification, BSL doit aussi supporter les risques inhérents du projet, notamment la présence abondante d’eau lorsque les travaux ont lieu près d’un ruisseau.
C’est pourquoi la Cour répartit la responsabilité à 50/50.
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Cet article est paru dans l’édition du 22 mai 2025 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.