Une erreur dans les documents d’appel d’offres est-elle nécessairement fatale au processus d’attribution du contrat ?
Sommaire
À la suite de la découverte d’une erreur dans les documents d’appel d’offres, la Ville de Montréal corrige unilatéralement les soumissions et modifie l’ordre des soumissionnaires. La Cour supérieure, dans l’affaire Compagnie de construction Édilbec inc. c. Ville de Montréal[1], doit déterminer si la Ville était en droit d’agir de la sorte.
Faits
En juillet 2018, la Ville de Montréal (« Ville ») lance un appel d’offres pour des travaux de mise aux normes de l’aréna Chénier. En consultant les documents joints à l’appel d’offres, le président de la Compagnie de construction Édilbec Inc. (« Édilbec ») constate une erreur dans le fichier Excel de soumission : une majoration de 15 % avait été appliquée au prix forfaitaire proposé par les soumissionnaires pour l’ensemble des travaux projetés.
Sans en aviser la Ville, Édilbec corrige cette erreur dans sa soumission, faisant d’elle la plus basse soumissionnaire à l’ouverture des soumissions.
Peu après, la Ville découvre l’erreur et constate la correction d’Édilbec. Dans un objectif d’équité et de bonne foi envers l’ensemble des soumissionnaires, la Ville retranche la majoration de 15 % de toutes les soumissions reçues, à l’exception de celle d’Édilbec.
Or, ce faisant, la Ville se trouve à modifier l’ordre des soumissionnaires, faisant de l’entreprise L’Archevêque & Rivest Ltée (« L’Archevêque ») le plus bas soumissionnaire en place d’Édilbec. L’Archevêque se voit donc attribuer le contrat en novembre 2018 pour la somme totale de 9 059 882,63 $ avec taxes.
Mécontente, Édilbec poursuit la Ville, prétextant que le contrat aurait dû lui être attribué. Elle réclame une perte de profits estimée à 250 000 $, ainsi que d’autres dépenses.
Principes juridiques
L’un des principes primordiaux en matière d’appel d’offres est que le donneur d’ouvrage se doit d’assurer un traitement équitable dans l’attribution des contrats, de manière à ne pas miner la confiance des soumissionnaires et du public. Ce principe d’équité et d’égalité entre les soumissionnaires est un des facteurs déterminants permettant de qualifier une irrégularité de « mineure » ou de « majeure ».
Si l’irrégularité est mineure, le donneur d’ouvrage a la discrétion de faire abstraction de l’erreur contenue dans la soumission. Une irrégularité mineure est celle qui ne porte pas atteinte aux objectifs fondamentaux du processus d’appel d’offres, soit l’équité et l’égalité entre les soumissionnaires.
Au contraire, si l’irrégularité est majeure, le donneur d’ouvrage n’a aucune discrétion : il doit rejeter la soumission sous peine d’un recours en dommages de la part d’un soumissionnaire lésé. Une irrégularité majeure est un manquement à une exigence essentielle ou substantielle de l’appel d’offres pouvant avoir un effet sur l’égalité entre les soumissionnaires et l’intégrité du processus. Il peut s’agir, par exemple, d’une erreur qui modifie le prix d’une soumission, l’étendue des travaux prévus, ou encore l’ordre des soumissionnaires.
Il importe cependant de préciser que, même en présence d’une irrégularité dite majeure dans une soumission, l’entrepreneur qui présente une réclamation a le fardeau de démontrer la conformité de sa propre soumission en plus de faire la preuve que, n’eût été l’erreur, il aurait obtenu le contrat.
La décision
La correction de l’erreur dans le fichier Excel
Édilbec plaide que la responsabilité de la Ville est engagée parce qu’elle a corrigé toutes les soumissions reçues en retirant la majoration de 15 %. Pour sa part, la Ville plaide qu’il s’agit d’une erreur mineure et qu’elle était en droit de corriger les soumissions autres que celle d’Édilbec.
La Cour donne raison à la Ville : elle était en droit de corriger l’irrégularité, jugée mineure, et de procéder ainsi en tout respect du principe d’égalité entre les soumissionnaires.
En effet, le cahier des charges prévoyait le droit de la Ville de corriger toute erreur d’écriture ou de calcul dans une soumission. Bien que la correction de la Ville influait sur le prix final de la soumission, ce qui pourrait suggérer une irrégularité majeure, il n’y avait pas en l’espèce une modification des éléments de la soumission qui pouvait perturber l’équilibre des soumissionnaires.
Par ailleurs, en modifiant le chiffrier sans en aviser la Ville, Édilbec a contrevenu aux consignes du cahier des charges. Édilbec a ainsi rompu l’équilibre entre les soumissionnaires.
L’attribution du contrat à un tiers plutôt que l’annulation de l’appel d’offres
Édilbec reproche à la Ville d’avoir attribué le contrat à L’Archevêque plutôt que de s’être servie de la clause de réserve qui lui permettait d’annuler l’appel d’offres. Édilbec plaide également que la Ville aurait dû annuler l’appel d’offres, puisque l’erreur provenait des documents de la Ville. Elle soulève également que les soumissions des autres soumissionnaires n’étaient pas conformes.
La Cour rejette les arguments d’Édilbec, puisque la publication des résultats d’appel d’offres était faite « sous réserve de vérification ultérieure ». En plus, L’Archevêque était effectivement le plus bas soumissionnaire, n’eût été l’erreur. Finalement, cette erreur ne constituait pas un motif suffisant pour annuler le premier appel d’offres.
Le tribunal rappelle également que la Ville a un devoir de conclure le contrat au meilleur coût possible pour les contribuables et en ce sens l’attribution du contrat à L’Archevêque s’est faite dans le respect de l’équité entre soumissionnaires et de la saine gestion des finances publiques.
La diligence démontrée dans le cadre de l’appel d’offres
Édilbec se plaint également que la Ville aurait manqué de diligence en laissant planer l’incertitude pendant plusieurs mois quant à l’issue de l’appel d’offres et l’octroi du contrat pour l’aréna Chénier. De plus, elle reproche à la Ville de ne pas avoir communiqué l’ordre des soumissionnaires à la suite des corrections de la Ville, se contentant d’informer les soumissionnaires touchés que l’attribution avait été revue.
La Cour ne retient pas ces arguments et détermine que la Ville a agi de manière proactive pour remédier à la situation, et qu’elle n’était pas dans l’obligation de fournir l’ordre des soumissionnaires une fois l’erreur corrigée. De plus, sous peine de compromettre le principe d’équité entre les soumissionnaires, il aurait été risqué pour la Ville de communiquer avec Édilbec sur une base individuelle.
Le lien de causalité et dommages
Même si la Cour rejette les prétentions d’Édilbec, elle prend le temps de préciser que même si Édilbec avait réussi à démontrer que le contrat de l’aréna Chénier aurait dû lui être octroyé, il appert qu’elle a obtenu un autre contrat plus lucratif peu de temps après. Édilbec n’aurait pu obtenir ce contrat si elle avait obtenu celui de l’aréna Chénier.
Par ailleurs, la preuve démontrait qu’advenant la tenue d’un second appel d’offres, Édilbec n’aurait pas pu exécuter le contrat puisque ses effectifs étaient plutôt affairés à cet autre contrat plus lucratif. Édilbec n’a donc pas fait la preuve de sa perte d’occasion d’affaires.
Conclusion
La Cour conclut que la Ville était en droit de corriger l’irrégularité mineure en tout respect du principe d’égalité entre les soumissionnaires, et ce, même si la correction affectait le prix et le rang des soumissionnaires. La réclamation d’Édilbec est donc rejetée.
1. Compagnie de construction Édilbec inc. c. Ville de Montréal, 2023 QCCS 1938
Cet article est paru dans l’édition du 16 novembre 2023 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.