[Au tribunal] Cautionnement d’exécution : pas toujours nécessaire de fournir une lettre d’engagement

18 avril 2023
Par Yann-Julien Chouinard, Avocat

Le défaut de fournir une lettre d’engagement pour le cautionnement d’exécution et le cautionnement pour gages, matériaux et services ne serait pas nécessairement une irrégularité majeure?

La détermination de la conformité d’une soumission suscite bien des débats. En présence d’une irrégularité mineure, le donneur d’ouvrage dispose d’une certaine latitude pour adjuger le contrat. À l’opposé, lorsque l’irrégularité est majeure, le donneur d’ouvrage n’a aucune discrétion et se doit de rejeter la soumission.

 

Au fil du temps, les décisions rendues par les tribunaux ont permis de distinguer les situations considérées comme des irrégularités majeures de celles considérées comme des irrégularités mineures. Entre autres, il a été déterminé que le défaut de fournir une lettre d’engagement pour le cautionnement d’exécution était une irrégularité majeure[1] alors que le fait de fournir un cautionnement de soumission légèrement inférieur au montant exigé par les documents d’appel d’offres a pu être considéré comme une irrégularité mineure[2].

 

Toutefois, dans la récente affaire Location Martin-Lalonde inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract[3], la Cour supérieure a déterminé que le défaut de fournir une lettre d’engagement pour le cautionnement d’exécution et de paiement de la main-d'œuvre et des matériaux ne constituait pas une irrégularité majeure en raison des faits particuliers au dossier.

 

Les faits

À l’automne 2015, la municipalité de Mansfield-et-Pontefract (la « Municipalité ») lance un appel d’offres pour des services de collecte des ordures ménagères, des matières recyclables et des déchets sur son territoire pendant cinq ans.

 

Deux entreprises répondent à l’appel d’offres, soit Location Martin-Lalonde inc. (« LML ») et Entreprise R. Charette (« Charette »). À l’ouverture des soumissions, Charette est le plus bas soumissionnaire et la Municipalité décide de lui octroyer le contrat.

 

À la suite de l’adjudication, LML présente une demande d’accès à l’information pour obtenir les documents de soumission de Charette. Cette demande est initialement contestée, mais le jour de l’audition devant la Commission d’accès à l’information du Québec, Charette consent à la remise des documents. LML obtient donc une copie de la soumission et du contrat avec la Municipalité de ce dernier.

 

Après avoir reçu la soumission de Charette, LML constate que celle-ci n’est pas conforme aux exigences de l’appel d’offres. LML décide alors d’intenter un recours en dommages contre la Municipalité afin de récupérer les profits perdus.

 

En défense, la Municipalité invoque que la soumission de LML n’est pas conforme à l’article 7.2 des Clauses générales de l’Appel d’offres. Cet article exigeait la présentation, avec la soumission, d’une lettre d’engagement d’une compagnie d’assurance garantissant l’émission d’un cautionnement d’exécution et des obligations pour gages et cotisations imposées par les lois. Aucune lettre d’engagement n’avait été fournie par LML.

 

La décision

Dans le cadre de sa décision, le tribunal commence son analyse en se penchant sur la conformité de la soumission de Charette et détermine qu’elle contrevenait à au moins cinq exigences essentielles de l’appel d’offres. Selon le tribunal, même si la Municipalité est située dans l’une des régions administratives les plus pauvres du Québec et que chaque dollar doit être scrupuleusement compté, cela ne justifie pas l’acceptation d’une soumission aussi irrégulière.

 

Le tribunal examine ensuite la conformité de la soumission de LML afin de déterminer si le défaut de fournir la lettre d’engagement était une irrégularité majeure à la lumière des questions établies par la jurisprudence[4] :

  1. l’exigence est-elle d’ordre public?
  2. les documents d’appels d’offres indiquent-ils expressément que l’exigence constitue un élément essentiel?
  3. à la lumière des usages, des obligations implicites et de l’intention des parties, l’exigence traduit-elle un élément essentiel ou accessoire de l’appel d’offres?

 

Au terme de son analyse, le tribunal retient qu’il ne s’agissait pas d’une exigence d’ordre public puisqu’aucune règle particulière n’obligeait l’obtention d’un tel cautionnement pour ce contrat. Par contre, même si les clauses de l’appel d’offres ne généraient aucun doute quant à la nature essentielle de l’exigence de fournir une lettre d’engagement lors du dépôt de la soumission, le montant exigé du cautionnement était relativement minime et la Municipalité n’avait jamais réellement considéré comme importante l’obtention d’un cautionnement d’exécution. En effet, un tel cautionnement n’avait pas été fourni lors du contrat antérieur et le rapport d’analyse des soumissions n’indiquait pas que la lettre d’engagement était l’un des documents exigés au niveau de l’admissibilité.

 

Le tribunal arrive donc à la conclusion que le défaut de fournir une lettre d’engagement garantissant l’émission d’un cautionnement d’exécution et d’un cautionnement des obligations de l’entrepreneur ne rend pas la soumission de LML non conforme aux exigences essentielles de l’appel d’offres.

 

Ainsi, la Municipalité aurait dû rejeter la soumission de Charette et adjuger le contrat à LML. La Municipalité sera ultimement condamnée à indemniser LML pour la perte de profits subie.

 

Conclusion

Si les faits particuliers au dossier ont pu mener le tribunal à conclure que l’exigence de fournir une lettre d’engagement pour le cautionnement d’exécution et de paiement de la main-d'œuvre et des matériaux n’était pas une condition essentielle de cet appel d’offres, il demeure qu’un soumissionnaire devrait respecter une telle exigence dans les documents d’appel d’offres afin d’éviter le rejet de sa soumission. D’ailleurs, comme cette décision a été portée en appel, il faudra attendre le jugement de la Cour d’appel pour déterminer quelles sont les conclusions définitives qui doivent être retenues.

 


1. Installations Électriques Dépôt (1989) inc. c. Granby (Ville), 2000 CanLII 19318 (QC CS) ; Climatisation Bativac inc. c. École de technologie supérieure, 2016 QCCS 665 (CanLII)

2. Entreprises de construction OPC inc. c. Complexe hospitalier de la Sagamie, 2005 QCCA 1123 (CanLII); Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, 2010 QCCA 219 (CanLII).

3. Location Martin-Lalonde inc. c. Municipalité de Mansfield-et-Pontefract, 2023 QCCS 27 (CanLII).

4. Tapitec inc. c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317 (CanLII).

 

Miller Thomson avocats

 

Miller Thomson avocats

Cet article est paru dans l’édition du 23 mars 2023 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.