[Au tribunal] L’importance de l’hypothèque légale de la construction en période de récession

1 février 2023
Par Jasmin Lefebvre, associé de Miller Thomson

Alors qu’une récession nous menace, quelques rappels sont indiqués au sujet de l’hypothèque légale de la construction.

L’industrie de la construction a connu une période de vitalité exceptionnelle au cours des dernières années malgré des contrecoups sous forme de rareté de la main-d’œuvre et de pénurie de matériaux. Des nuages gris se pointent toutefois maintenant à l’horizon. Une inflation galopante et une hausse appréciable des taux d’intérêt font dire aux économistes qu’il y a des risques que 2023 soit marquée par une récession économique.

 

Face à une telle menace, les entrepreneurs doivent réaliser qu’ils pourraient devoir ressortir de leur coffre l’outil de prédilection qu’ils détiennent pour la protection de leurs créances : l’hypothèque légale de la construction. En prévision de la période de grisaille qui nous est annoncée, quelques rappels sont sans doute indiqués afin de permettre aux lecteurs de mieux faire usage des droits qui en découlent.

 

Publier une hypothèque, un affront à son cocontractant?

L’hypothèque légale de la construction est une création législative inscrite au Code civil du Québec depuis plus d’un siècle. Elle existe de plein droit pour les entrepreneurs et les fournisseurs de matériaux, sous réserve de l’obligation, pour ceux qui n’ont pas un contrat directement avec le propriétaire, de dénoncer le contrat qu’ils ont avec l’entrepreneur général.

 

Souvent, nos clients nous abordent en s’inquiétant de ce que leur cocontractant pensera du fait qu’ils choisissent d’inscrire une hypothèque au moment où ils le font. Or, il y a des idées clés qui sont utiles afin de résoudre le dilemme :

 

  • L’inscription d’une hypothèque par un créancier impayé, c’est l’exercice d’un droit prescrit par la Loi selon ce qu’a souhaité le législateur. L’exercice d’un tel droit, c’est la normalité. Cela devrait aller de soi.

 

  • Lorsque le paiement est disponible, il est facile de procurer la radiation de l’hypothèque en échange du paiement. Bien évidemment, le fait qu’une hypothèque a été inscrite est souvent en lien direct avec le fait que le paiement est devenu disponible…

 

  • Par ailleurs, il est utile de savoir que l’Avis d’inscription de l’hypothèque doit être notifié dans un « délai raisonnable » après l’inscription de l’hypothèque au Registre foncier. Ainsi, si, dans un contexte particulier, un certain degré de discrétion est de mise, il est possible, en toute légalité, de repousser de quelques jours le moment où les vis-à-vis du détenteur de l’hypothèque auront connaissance du droit inscrit.

 

Quand publier l’hypothèque?

L’hypothèque comporte des modalités de conservation sévères qui, si elles ne sont pas respectées, entrainent l’extinction du droit. Ces conditions sont appliquées avec grande rigueur par les tribunaux et elles font office de contrepoids à la puissante garantie que constitue l’hypothèque légale de la construction.

 

Au premier rang de ces conditions de validité de l’hypothèque, on compte bien sûr le fait qu’elle doit être inscrite au plus tard 30 jours après la fin des travaux.

 

Les recueils de jurisprudence en droit de la construction regorgent de décisions portant sur le concept de fin des travaux qui procurent à tous coups aux juristes des sujets sans cesse renouvelés de conférences et d’articles de vulgarisation juridique. Or, il est rare qu’un entrepreneur prenne plaisir à discuter des jugements des tribunaux. Son objectif à lui est d’être payé pour ses créances et de faire croitre son entreprise. Pas de faire jurisprudence. Cette évidence étant posée, il est pertinent d’en transposer la logique à notre réflexion sur la gestion du droit à l’hypothèque :

 

  • Il est contre-indiqué d’attendre à la dernière minute pour inscrire une hypothèque. Le jeu en vaut rarement la chandelle. Le droit d’inscrire l’hypothèque existe dès que les travaux ont apporté une plus-value à l’ouvrage. Or, certains entrepreneurs terminent leurs travaux longtemps avant la fin des travaux – celle s’appliquant à l’ensemble du projet et celle à prendre en compte pour déterminer la date d’échéance pour l’inscription de l’hypothèque. Pour eux, le suivi des dernières étapes du projet peut être ardu. Ainsi, ils auraient tort de prendre des risques en retardant trop le moment où ils choisiront d’inscrire une hypothèque légale. Rien ne les empêche de le faire, pour la valeur de leurs travaux impayés, bien avant la fin des travaux.

 

  • L’hypothèque est destinée à garantir la plus-value procurée par les travaux. Ainsi, le droit d’inscrire une hypothèque n’est pas tributaire du fait qu’une créance soit exigible. C’est là une donnée très importante pour l’utilisation du droit à l’hypothèque dans un contexte où il est fréquent de voir des contrats qui prescrivent que la retenue devienne exigible bien plus de 30 jours après la fin des travaux. Dans le cadre de tels contrats, il serait téméraire de surseoir à la décision d’inscrire une hypothèque en attendant le jour où la retenue contractuelle devient payable. À nouveau, pour ceux à qui il vient des états d’âme à l’idée de grever le titre d’une hypothèque pour une créance non exigible, il y a lieu de leur rappeler que le fait d’agir ainsi leur est imposé par un cadre légal dont ils sont justifiés de prendre avantage et qu’ils n’ont pas la responsabilité de réformer. La Loi étant ainsi faite, il faut souvent s’abstenir de procéder à l’inscription de l’hypothèque en séquence avec le moment où la retenue devient exigible pour être en mesure de se prévaloir du droit à l’hypothèque afin de se doter d’une garantie de paiement de cette retenue.

 

Conclusion

Des aspects quelque peu archaïques de l’hypothèque légale de la construction peuvent faire hésiter certains à en faire usage ou encore peuvent induire une approche de la gestion du droit à l’hypothèque qui s’accompagne du risque de perdre ce droit. Nous l’avons observé fréquemment et nous le déplorons. Les risques de faire affaire en construction étant ce qu’ils sont, il nous semble que ceux qui prennent ces risques devraient se convaincre qu’ils sont pleinement justifiés de se prévaloir, en respectant les exigences de la bonne foi, des droits leur étant procurés par le législateur pour contrebalancer ces risques. Cela devrait selon nous aller de soi.

 

Miller Thomson avocats

 

Miller Thomson avocats

Cet article est paru dans l’édition du 12 janvier 2023 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.